De l’intérêt à déposer une plainte

Le Tribunal des professions s’est récemment penché sur l’interprétation à donner aux termes «toute autre personne» mentionnés au deuxième alinéa de l’article 128 du Code des professions (C.prof.). Une plaignante privée avait, sans succès, porté plainte en décembre 1999 contre un avocat ayant omis d’enregistrer un testament signé par son frère en 1989. Le Conseil de discipline du Barreau du Québec (Engel c. Lack* (C.D. Bar., 2010-06-16), 2010 QCCDBQ 081, SOQUIJ AZ-50652242) avait alors décidé qu’elle n’avait pas l’intérêt légal requis pour déposer cette plainte et que, par ailleurs, le reproche fait à l’avocat ne présentait pas le degré de sérieux suffisant pour constituer une faute déontologique. Saisi de l’appel de cette décision, le Tribunal a relevé que la plaignante, sœur du défunt, dont le testament n’avait pas été enregistré, n’était pas, à ce titre, «complètement désintéressée au regard de l’omission qu’elle reproche à l’intimé», d’autant que le défunt n’avait pas été informé de cette omission et que ses héritiers s’étaient désintéressés de la succession de leur père. Il a conclu que : «Lui refuser de porter plainte contre l’intimé, sur la base d’une absence d’intérêt plus spécifique, aurait pour effet d’inclure à l’article 128 du C. prof. une exigence que le législateur n’a pas prévue.»

Condamnation aux débours, un pensez-y-bien!

Notons toutefois que le Tribunal a relevé que le législateur précisait implicitement à cet article qu’une personne portant plainte de mauvaise foi pourrait être poursuivie en justice, tout en rappelant qu’aux articles 151 et 175 C.prof. il est spécifié que la personne qui a porté plainte conformément au second alinéa de l’article 128 ne peut être condamnée aux débours que si le professionnel est acquitté sous tous les chefs de la plainte et que celle-ci est abusive, frivole ou manifestement mal fondée.

Le sort de l’appel

Bien qu’il ait été en partie fondé, l’appel de la plaignante a néanmoins été rejeté, notamment du fait que l’infraction d’omission d’enregistrer le testament avait perdu toute son importance et était devenue purement théorique : l’infraction remontait à 1989 et elle n’avait existé que pendant un peu plus de trois ans, le testament non enregistré ayant été révoqué en 1992 par un autre testament valide à partir duquel la dévolution des biens avait pu être faite. Conséquent avec son analyse voulant que le législateur ait voulu sanctionner après coup une personne qui porte plainte de façon inconsidérée, plutôt que de lui imposer des conditions préalables au dépôt de la plainte, le Tribunal a condamné la plaignante aux débours, estimant que traduire l’intimé en discipline près de 20 ans après les faits constituait dans les circonstances une démarche abusive.

Engel c. Lack, une décision déjà appliquée deux fois

Cette décision, qui vient apporter un éclairage des plus intéressants sur l’expression «toute autre personne», a déjà été citée par deux Conseils de discipline, soit celui du Barreau du Québec et celui des optométristes du Québec.

Le plaignant privé agissant pour un tiers

Le premier a rendu une décision (Avocats (Ordre professionnel des) c. Me Myriam Des Marchais (C.D. Bar., 2012-02-22), SOQUIJ AZ-50836298) portant sur une requête en rejet de la plainte d’un plaignant privé. Tout en reconnaissant que ce dernier portait plainte pour une tierce personne, en l’occurrence un médecin, le Conseil a indiqué que la décision Engel c. Lack avait clairement établi que cette expression «ne peut être restreinte en exigeant que le plaignant ait un intérêt juridique pour porter plainte» et qu’il ne pouvait donc exiger que le plaignant ait un intérêt direct, personnel et particulier pour porter plainte. La requête a été rejetée.

Un syndic peut-il agir en qualité de plaignant privé?

Quant au Conseil de discipline de l’Ordre des optométristes du Québec, saisi d’une «requête en réouverture d’enquête afin de décider si un plaignant privé a un intérêt suffisant» (Lalonde c. Brisson (C.D. Opto., 2012-02-09), SOQUIJ AZ-50828982, Lalonde c. Chassé (C.D. Opto., 2012-02-09), SOQUIJ AZ-50828983, Lalonde c. Coulombe (C.D. Opto., 2012-02-09), SOQUIJ AZ-50828984, Lalonde c. Hardy (C.D. Opto., 2012-02-09), SOQUIJ AZ-50828985), il a retenu que dans la récente décision du Tribunal «l’appelante avait un intérêt qui, sans être particulièrement spécifique, était présent» pour retenir que, dans le dossier dont il était saisi, il n’y avait pas lieu de créditer le plaignant privé d’un intérêt quelconque, même éloigné. Toutefois, dans cette affaire, il faut souligner que ce plaignant avait ceci de particulier qu’il est syndic de l’Ordre des opticiens d’ordonnances du Québec. Le Conseil a déclaré à ce propos que «permettre à un syndic d’agir comme plaignant privé sans motif pour des gestes commis par des membres de divers Ordres reviendrait à dénaturer complètement la fonction du syndic».

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