NDLR : Ce billet a fait l’objet de mises à jour les 13 avril et 23 avril 2012.


Un étudiant  a présenté une requête en injonction interlocutoire provisoire afin d’enjoindre à l’Université Laval et à des associations étudiantes de mettre fin aux lignes de piquetage qui bloquent physiquement l’accès aux salles de cours de cette université (Proulx c. Université Laval).

Depuis le 13 février 2012, le cours d’anthropologie qu’il doit suivre pour être admis dans un programme de baccalauréat à l’automne prochain n’a pas été donné en raison des moyens de pression exercés par des étudiants à la suite de la décision du gouvernement du Québec d’augmenter les frais de scolarité.

À ce stade-ci, la Cour n’avait pas à trancher la question relative à l’existence ou non du droit de grève des étudiants. Toutefois, elle a jugé que la situation personnelle du demandeur, qui doit travailler l’été pour subvenir à ses besoins, ainsi que l’urgence, l’apparence de droit, la prépondérance des inconvénients et le préjudice sérieux et irréparable qu’il subirait militaient en sa faveur. Selon le juge Godbout, même si les tribunaux doivent prendre garde de ne pas s’immiscer dans une démarche politique, ils doivent trancher les revendications des justiciables à la lumière des faits en cause et des règles de droit. Par conséquent, il a ordonné à l’Université Laval et aux associations étudiantes de laisser le demandeur accéder librement aux salles de cours où est donné son cours d’anthropologie selon l’horaire prévu.

Cette ordonnance n’étant valide que jusqu’au 12 avril prochain, il sera intéressant de suivre l’évolution politique et juridique de la situation.

Mise à jour du 13 avril 2012

Les 10 et 11 avril dernier, la Cour supérieure a accueilli deux autres requêtes d’injonction interlocutoire provisoire présentées par l’Université de Montréal et le Conservatoire de musique et d’art dramatique du Québec.

Vous pouvez prendre connaissance de ces ordonnances, qui sont valides jusqu’au 20 avril 2012:

Conservatoire de musique et d’art dramatique du Québec c. Association des étudiants du conservatoire de musique de Montréal (C.S., 2012-04-10), 2012 QCCS 1445, SOQUIJ AZ-50846153

Université de Montréal c. Fédération des associations étudiantes du campus de l’Université de Montréal (C.S., 2012-04-11), 2012 QCCS 1446, SOQUIJ AZ-50846154

Mise à jour du 23 avril 2012

Contrairement au juge Godbout dans Proulx c. Université Laval, le juge Larouche, bien qu’il ait également été saisi d’une requête en injonction au stade provisoire, n’a pas hésité à conclure à l’inexistence du droit de grève des étudiants. Voici de quelle façon il s’est prononcé sur l’apparence de droit de l’Université du Québec à Chicoutimi dans la décision Université du Québec à Chicoutimi c. Mouvement des associations générales étudiantes de l’Université du Québec à Chicoutimi (MAGE-UQAC), rendue le 5 avril dernier (extrait reproduit textuellement) :

[20] Le tribunal, bien qu’il en soit à l’étape d’une demande d’injonction provisoire et que le défendeur MAGE-UQAC ne conteste pas la requête et que les associations bona fide s’en remettent à la justice, tient à préciser que la demanderesse a un droit qui est plus qu’apparent. Il est clair qu’elle a droit de poursuivre le cours normal de ses activités avec tout ce que cela comporte et de s’adresser au tribunal pour obtenir une ordonnance comportant les conclusions appropriées dans les circonstances.

[21] Elle est bien fondée de ce faire en raison du résultat du vote pris en assemblée générale par les membres du MAGE-UQAC. Il s’agit de la seule association accréditée au sens de la Loi sur l’accréditation et le financement des associations d’élèves ou d’étudiants[1]. Les membres du MAGE-UQAC, qui représente l’ensemble des étudiants de la demanderesse, a majoritairement pris, en assemblée générale, la décision de ne pas faire de «grève générale illimitée».

[22] Ceci étant dit, il ne peut s’agir d’une grève bien que ce terme soit communément utilisé dans la présente confrontation avec le gouvernement du Québec. Une grève est une cessation concertée de travail par un groupe de salariés en vue d’appuyer leurs demandes ou revendications. Dans le cas qui nous intéresse, il s’agit plutôt d’un boycott. Les règles qui s’appliquent en cas de grève que l’on retrouve dans la législation du travail ne peuvent, à notre avis, s’appliquer dans le présent cas.

[23] Il en résulte, malgré le résultat du vote, que rien n’empêche certains étudiants de boycotter leurs cours s’ils le jugent à propos. La demanderesse ne peut les forcer à les suivre, ce qu’elle ne demande d’ailleurs pas. Les étudiants qui veulent faire un boycott ne peuvent cependant forcer ou empêcher les étudiants qui ne sont pas d’accord avec cette mesure à suivre les cours qui leurs sont destinés en prenant les moyens décrits par la demanderesse dans sa requête. Ils ne peuvent faire de même à l’égard des professeurs ou chargés de cours pour les forcer ou les empêcher de dispenser leurs cours.

Pour sa part, le juge Gaétan Dumas, dans Carrier c. Université de Sherbrooke, en concluant également qu’il s’agit d’un mouvement de boycottage et non d’une entrave légale du même type qu’une grève, a poussé l’analyse encore plus loin en écrivant ceci (extrait reproduit textuellement) :

[23] Le mouvement de boycottage des cours organisé par les associations étudiantes s’apparente à tout autre boycottage qui pourrait être organisé contre un fabricant de jus de raisin ou d’un magasin à grande surface. On ne peut obliger ou empêcher une personne de faire affaire avec un fabricant de jus de raisin ou un magasin de grande surface. Il s’agit d’un choix individuel. Si un groupe décide d’organiser un boycottage de quelque entreprise que ce soit, il peut le faire. Par contre, si une personne décide de boycotter une entreprise il ne pourra pas pour autant bloquer l’accès de cette entreprise.

[24] Il en est de même dans le cas des universités.

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