On peut être un commerçant des mieux intentionnés et se voir reprocher d’avoir toléré qu’une personne fume dans son salon de thé avec le narguilé qu’on lui a fourni. C’est ce qui est arrivé récemment dans l’affaire L’Orienthé alors qu’on a poursuivi le salon de thé pour avoir contrevenu à l’article 11 de la Loi sur le tabac en servant à sa clientèle le narguilé, aussi appelé shisha, soit une pipe à eau aromatisée par laquelle passe de la fumée qu’une personne aspire par un long boyau.

Le propriétaire du salon a témoigné que, avant l’entrée en vigueur de la loi, il offrait à ses clients des produits contenant du tabac à fumer dans le narguilé mais que, depuis, il n’offrait que des produits sans tabac, ne contenant donc pas de nicotine. Le problème est né de l’application de l’article 1 du Règlement d’application de la Loi sur le tabac, qui prévoit que, aux fins de la loi, «est assimilé à du tabac tout produit qui ne contient pas de tabac et qui est destiné à être fumé». Avant l’entrée en vigueur de cet article du règlement, le commerce du propriétaire exerçait en toute légalité puisque le champ d’application de la loi ne s’étendait pas aux produits sans tabac.

Partant de l’idée que le législateur avait à l’esprit le bien-être public en adoptant des mesures interdisant l’usage du tabac dans les lieux publics définis par la loi, le juge s’est demandé si c’était la fumée émanant des produits du tabac qui était visée ou si n’importe quelle fumée était interdite par la loi. Heureusement pour le propriétaire du salon de thé en question, il a conclu qu’il était illogique que la loi, par l’entremise de son règlement, sanctionne l’usage de «tout produit qui ne contient pas de tabac», simplement parce que ce produit pourrait être fumé. Pour le juge, donner une autre interprétation ne respecterait pas l’objet de la loi, lequel vise à contrer les méfaits du tabac. De plus, donner une interprétation littérale à ces dispositions enlèverait à la poursuite l’obligation de preuve l’actus reus, car tout produit qui se fume serait assimilé à du tabac et priverait ainsi le citoyen de la présomption d’innocence.

Au bout du compte, le salon de thé a été acquitté. Le juge a considéré, d’une part, que le témoignage du propriétaire était crédible et, d’autre part, que la poursuite ne s’était pas déchargée de son fardeau de démontrer que le produit utilisé dans les narguilés du commerce de la défenderesse contenait du tabac. Parions que le propriétaire du salon s’est réjoui de cette décision, d’autant qu’il avait connu une baisse de son chiffre d’affaires de 20 à 30 % depuis qu’il n’offrait plus de narguilés.

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