Le 13 juillet dernier, la Cour suprême a rendu cinq jugements fort intéressants en matière de droit d’auteur, lesquels ont notamment fait réagir la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN), qui était partie à certains de ces dossiers.

Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Bell Canada

La SOCAN représente les compositeurs, les auteurs et les éditeurs de musique, et elle gère leurs droits d’exécution et de communication. Elle a demandé à la Commission du droit d’auteur de fixer les redevances exigibles lors de la communication au public d’œuvres musicales sur Internet. La Commission a convenu que la SOCAN pouvait percevoir une redevance pour le téléchargement d’une œuvre musicale, mais non pour l’écoute préalable d’un extrait de celle-ci, d’une durée de 30 à 90 secondes, avant que le consommateur ne décide d’acheter l’œuvre ou non. À son avis, l’écoute préalable ne viole pas le droit d’auteur, car elle peut être assimilée à l’«utilisation équitable» aux fins de recherche que permet l’article 29 de la Loi sur le droit d’auteur et, partant, elle n’emporte pas le versement de redevances à la SOCAN. La Cour d’appel fédérale a confirmé la décision de la Commission.

Selon la Cour suprême, la Commission a conclu avec raison que l’écoute préalable constitue une utilisation équitable. Le point de vue qu’il convient d’adopter est celui de l’utilisateur final, le consommateur. Le fournisseur de services facilite la recherche, la fin que poursuit le consommateur, et des mesures garantissent raisonnablement que l’écoute préalable a lieu à cette fin. En ce qui a trait à la nature de l’utilisation, l’utilisateur n’obtient pas de copie permanente; le fichier transmis en continu est en effet supprimé automatiquement dans l’ordinateur de l’utilisateur une fois l’écoute terminée, ce qui exclut toute reproduction ou nouvelle diffusion. La transmission en continu d’un extrait de quelques secondes constitue une utilisation modeste par rapport à l’œuvre en entier.

Alberta (Éducation) c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright)

Access Copyright représente les auteurs et les éditeurs d’œuvres littéraires et artistiques. Elle a demandé à la Commission du droit d’auteur d’homologuer un projet de tarif applicable lorsque des œuvres de son répertoire sont reproduites en vue d’une utilisation dans les écoles élémentaires et secondaires de chacune des provinces (sauf le Québec) et de chacun des territoires. La Commission a conclu que les copies tirées du propre chef de l’enseignant et que ce dernier donne à lire à ses élèves sont produites aux fins d’«étude privée ou de recherche», comme le permet l’article 29 de la loi. La Cour d’appel fédérale a confirmé la conclusion de la Commission du droit d’auteur selon laquelle les copies ne satisfaisaient pas aux conditions de l’utilisation équitable.

La Cour suprême a conclu que la conclusion selon laquelle ces copies d’extraits ne pouvaient bénéficier de l’exception de l’«utilisation équitable» résulte d’une application erronée des éléments énoncés dans CCH Canadienne ltée c. Barreau du Haut-Canada (C.S. Can., 2004-03-04), 2004 CSC 13, SOQUIJ AZ-50223890, J.E. 2004-602, [2004] 1 R.C.S. 339, et elle a renvoyé le dossier à la Commission pour examen.

Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique

Les appelantes représentent une coalition d’éditeurs et de distributeurs de jeux vidéo qui permettent à leurs clients de télécharger des jeux vidéo sur Internet. La copie téléchargée est identique à l’exemplaire acheté en magasin ou expédié par la poste. Les jeux vidéo renferment des œuvres musicales protégées par le droit d’auteur. Les redevances de reproduction de l’œuvre musicale sont négociées avant la vente au public du jeu qui la renferme. La SOCAN a demandé à la Commission d’homologuer un tarif applicable au téléchargement Internet d’œuvres musicales.

La Cour suprême a déterminé que la conclusion de la Commission du droit d’auteur selon laquelle livrer par Internet une copie permanente d’un jeu vidéo qui renferme une œuvre musicale équivaut à «communiquer» cette œuvre pour l’application de l’article 3 (1) f) de la loi doit être annulée. Selon elle, appliquer un tarif distinct au téléchargement pour la «communication» d’une œuvre musicale va à l’encontre du principe de la neutralité technologique, à savoir que la loi s’applique uniformément aux supports traditionnels et aux supports plus avancés sur le plan technologique, alors que, dans les faits, il n’y a aucune différence entre acheter un exemplaire durable de l’œuvre en magasin, recevoir un exemplaire par la poste ou télécharger une copie identique dans Internet.

Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique

 En 1995, la SOCAN a proposé un tarif pour diverses utilisations d’œuvres musicales sur Internet pour les années 1996 à 2006. Lorsque la Commission a entrepris d’établir un tarif de communication d’œuvres musicales sur Internet, elle a décidé que la transmission en continu d’une œuvre musicale protégée par le droit d’auteur relevait du droit du créateur de communiquer son œuvre au public par télécommunication reconnu à l’article 3 (1) f) de la loi et que des redevances de communication étaient réclamées à juste titre.

Selon la Cour suprême, la transmission en continu d’une œuvre musicale dans Internet n’est pas une opération privée qui échappe au droit de communiquer au public; transmettre un fichier contenant une œuvre musicale du site Internet du fournisseur à l’ordinateur du consommateur, à la demande de ce dernier, équivaut dès la première fois à «communiquer au public, par télécommunication, une œuvre» au sens de l’article 3 (1) f).

Ré:Sonne c. Fédération des associations de propriétaires de cinémas du Canada

 L’appelante a déposé deux projets de tarifs qui établissaient une redevance pour l’utilisation d’enregistrements sonores intégrés dans un film par un cinéma ou par un autre établissement projetant des films et pour leur utilisation lors d’une télédiffusion commerciale en direct, ou par une télévision spécialisée, payante ou autre. Les intimées ont contesté les projets de tarifs, au motif que la définition d’«enregistrement sonore» exclurait la bande sonore d’une œuvre cinématographique.

Selon la Cour suprême, la Commission a eu raison de conclure qu’une «bande sonore» comprend les enregistrements sonores préexistants et que ces enregistrements sont exclus de la définition d’«enregistrement sonore» lorsqu’ils accompagnent une œuvre cinématographique. Cette interprétation du terme «bande sonore» est compatible avec l’esprit de la loi, l’intention du législateur et les obligations internationales du Canada. Un enregistrement sonore préexistant qui fait partie d’une bande sonore ne peut pas donner de droit, en application de l’article 19 de la loi, de percevoir une redevance conforme à un tarif quand cette bande sonore accompagne une œuvre cinématographique.

Dans un communiqué, Ré:sonne affirme : «Cela signifie que, contrairement aux auteurs-compositeurs et éditeurs, artistes (y compris les artistes interprètes ou exécutants, les interprètes de second plan, les musiciens de séances etc…) et les maisons de disques continueront à ne pas avoir droit à une indemnisation, même si leurs enregistrements contribuent de manière significative à la réussite d’un film ou d’un programme TV.»

La question se pose : nos créateurs sont-ils suffisamment rémunérés?

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