L’histoire connaît un bon départ. En juin 2010, l’accusé, un jeune homme âgé de 18 ans, décide de participer à une manifestation dont le but était de protester la tenue du G20 à Toronto. Or, la manifestation a tourné en émeute et il a été arrêté et inculpé sous six chefs d’accusation, dont notamment vol et méfait. Des images vidéo le montrent, armé d’un marteau, brisant les vitres de deux véhicules non marqués de la police, volant un manteau appartenant au corps policier, fracassant les vitrines de deux magasins, les faisant voler en éclats, et détruisant l’écran d’un guichet automatique. Questionné sur les événements, l’accusé a déclaré avoir voulu protester sur ce qu’il considère comme «le summum de l’hypocrisie des pays riches». Il a soutenu que son groupe avait été victime de répression violente de la part des policiers et qu’il avait commis ces actes dans un accès de rage qu’il accumulait depuis un certain temps. Le juge Beaulieu, appelé à se prononcer sur la peine dans R. c. Bicari, s’est alors penché sur le principe de la démocratie et de son application dans notre société.

Tout d’abord, le juge a rappelé que le législateur a prévu à l’article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés que chaque individu jouit des libertés fondamentales que sont la liberté de conscience, de religion, de pensée, de croyance, d’opinion, d’expression, d’association et de réunions pacifiques mais que par ailleurs, ainsi que l’a établi la Cour suprême dans Greater Vancouver Transportation Authority, l’expression violente ou la menace de recourir à la violence ne bénéficient pas de la garantie constitutionnelle, ce qui était le cas des actions reprochées au délinquant. Dans un deuxième temps, le juge a expliqué que ces crimes ne pouvaient être traités comme s’il s’agissait de banales incivilités ou de simples désordres publics, précisant que des peines trop clémentes pourraient avoir comme conséquence de faire douter les manifestants pacifiques du bien-fondé de respecter les ordres des autorités policières qui doivent s’assurer que la manifestation se déroule dans le calme et la sécurité. Le juge insiste pour dire que les manifestants ont le droit de manifester de manière à ce que le public retienne de leur manifestation leurs idées et non pas la violence reportée, que les propriétaires privés ont le droit de jouir de leurs biens et que la population ne doit pas avoir à payer de taxes pour réparer ou remplacer le matériel appartenant à l’État. Enfin, il pointe du doigt les «casseurs», dont les actions peuvent entraîner de la part du corps policier, qui doit réagir rapidement afin de ramener le calme, certaines prises de décisions ou de moyens inacceptables, comme l’a démontré, note-t-il, le rapport du Bureau du Directeur indépendant de l’examen de la police au sujet des actions policières accomplies par les forces policières lors de la tenue du Sommet du G20 à Toronto. Faisant ainsi la part des choses, il termine sa réflexion en rappelant que plusieurs policiers devront répondre de leurs gestes, qui contrevenaient à la charte des droits et libertés, et que cette dénonciation a été possible justement parce que la société canadienne est un État démocratique, non totalitaire, dans lequel la règle de droit est la règle suprême.

Le juge Beaulieu le dit sans ambages: «À cause de ces délinquants, l’image de notre démocratie canadienne est déformée. La société canadienne est reconnue comme une société dans laquelle la tolérance, le respect des idées des autres et de leurs biens, la sécurité de la personne ainsi que le respect de la paix sociale sont des valeurs fondamentales de celle-ci. Contrairement à d’autres pays où la violence se doit d’être utilisée afin de renverser des gouvernements totalitaires qui n’ont aucun respect envers les droits individuels, notre société est sur la gouverne d’un régime démocratique dans lequel la séparation des pouvoirs se vit quotidiennement. Les tribunaux doivent par leurs décisions rappeler à la communauté internationale et aux Canadiens que les manifestants violents ne mettront jamais en péril les valeurs fondamentales de la société canadienne.»

Enfin, le juge conclut que les tribunaux doivent, par l’imposition de leurs peines, convaincre les manifestants violents ou ceux tentés de le devenir que cette voie est inacceptable et que les critères de dissuasion collective ou personnelle auront priorité. C’est ainsi que, appliquant les principes pénologiques au cas de l’accusé, qui a admis avoir réfléchi depuis sur sa façon de s’impliquer et de militer et désire dorénavant participer à des manifestations pacifiques, il condamne ce dernier à une peine de sept mois de détention ferme.

Dans cette ère où la grogne populaire se fait de plus en plus entendre par la voie de manifestations et où la présence de «casseurs» est une réalité incontournable, ce jugement fort détaillé nous rappelle que, dans notre société démocratique, ces actes répréhensibles ne servent aucunement à la reconnaissance de nos libertés fondamentales et ne sauront être reconnus comme une expression de celles-ci.

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