Dans mon dernier billet portant sur la diffamation, il était question du droit à la réputation des personnes engagées dans le service public, en l’occurrence, le maire Labeaume. Je m’intéresse maintenant à la situation inverse, soit la conduite fautive d’un maire à l’égard d’un ancien conseiller municipal. Dans l’affaire Perkins c. Demers, sur la foi d’une information obtenue d’un citoyen, le maire de la Ville de Dunham, Demers, a divulgué, lors d’une séance du conseil municipal, que Perkins, un ancien conseiller municipal, avait profité de travaux d’aménagement aux frais de la Ville. Le maire a également déclaré qu’il avait déposé une plainte auprès de la Sûreté du Québec, laquelle était jugée sérieuse. Dans les faits, cette plainte a été déposée deux jours plus tard et l’enquêteur au dossier a expliqué au maire qu’il ne voulait pas mettre sa crédibilité en jeu en transmettant au procureur un dossier qu’il savait mal fondé. Plutôt que de comprendre l’ampleur de son erreur, le maire a persévéré et, s’adressant au supérieur de l’enquêteur, il a insisté pour que le dossier soit soumis au procureur, ce qui a été fait.

À cette époque, en parallèle au battage médiatique de cette affaire, des questions à ce sujet étaient régulièrement posées au maire, lequel n’a jamais révélé la décision finale du procureur de fermer le dossier. De plus, il a répété à plusieurs reprises que le ministère effectuait une enquête sur Perkins, alors que son rapport n’y fait aucune allusion.

Le juge a conclu que le maire avait tenu des propos diffamatoires à l’endroit de Perkins. Ses affirmations ainsi que les insinuations qu’elles sous-entendaient amenaient un citoyen ordinaire à se questionner sur l’honnêteté de Perkins et à remettre en cause sa réputation. De plus, si le maire avait effectué des vérifications quant à la véracité de ses allégations, il aurait découvert que Perkins n’avait commis aucune fraude. En outre, les citoyens et la Ville de Dunham ne retiraient aucun bénéfice de cet acharnement du maire contre un ancien conseiller. Ainsi, le contexte et les devoirs de la charge publique du maire ne constituaient pas une justification à sa conduite.

Étant donné que Perkins, un agent immobilier, a tardé à reprendre ses activités en raison de la médiatisation du dossier sur le territoire où il exerçait son métier, le maire a été condamné à lui verser 35 000 $ pour sa perte de capacité de gains nets. Perkins a également eu droit à 15 000 $ à titre de dommages moraux ainsi qu’à 7 500 $ en dommages exemplaires. Enfin, pour faire contrepoids aux nombreuses publications qui ont porté atteinte à la réputation de ce dernier, le juge a ordonné au maire de faire publier, à ses frais, dans deux journaux locaux, l’en-tête du jugement ainsi que certains paragraphes de celui-ci. L’avis publié devrait aussi indiquer à quel endroit sur Internet le texte intégral est disponible.

Or, dans une action en diffamation contre un élu municipal, la préservation de son droit à la liberté d’expression est importante, vu le rôle qu’il joue dans l’institution démocratique. Cette liberté de parole de l’élu municipal n’est cependant pas absolue. Aussi libre qu’il soit d’aborder des sujets d’intérêt public, l’élu municipal doit agir en personne raisonnable et respecter le droit d’autrui à la protection de sa réputation, ce qui n’était vraisemblablement pas le cas en l’espèce!

Si le comportement des maires en matière de diffamation vous intéresse, je vous renvoie à un autre de mes billets, celui-là sur un cas mettant en cause le maire Gendron, de Ville de Huntingdon.

Référence

Perkins c. Demers (C.S., 2012-11-16), 2012 QCCS 5777, SOQUIJ AZ-50913701

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