En 2007, le Comité de discipline de l’Ordre des pharmaciens du Québec a déclaré le pharmacien bien connu Jean Coutu coupable d’avoir entravé le syndic de l’Ordre dans l’exercice de ses fonctions en refusant de le rencontrer lors d’une enquête tenue en vertu du Code des professions (C.prof.), contrevenant ainsi aux dispositions des articles 114 et 122 C.prof. Le pharmacien avait soutenu que le syndic plaignant n’avait pas de motif suffisant pour mener une enquête ni le pouvoir de le convoquer et de lui enjoindre de le rencontrer dans ce contexte. Le Comité  a conclu que, bien que le Code des déontologie des pharmaciens n’oblige pas de façon explicite le pharmacien à rencontrer le syndic à la demande de celui-ci, l’ensemble des pouvoirs conférés au syndic par le Code des professions et l’infraction définie à l’article 114 C.prof. invitent à donner à ces dispositions l’interprétation qui convient à l’objectif poursuivi, soit la protection du public. Il a décidé que le syndic peut exiger une rencontre avec l’intimé afin d’obtenir les renseignements nécessaires et les documents relatifs à son enquête.

Jean Coutu a interjeté appel devant le Tribunal des professions, alléguant que le syndic d’un ordre professionnel n’a pas le pouvoir, aux termes de l’article 122 C.prof., d’obliger un membre de l’Ordre qui fait l’objet d’une enquête de le rencontrer.

Selon le Tribunal, l’enquête du syndic ne se limite pas à l’obtention de renseignements ou de documents, et l’expression «faire enquête» employée à l’article 122 C.prof. a une portée plus large que celle que lui accorde l’appelant. En effet, affirme le Tribunal, le but de l’enquête n’est pas d’établir la culpabilité d’un professionnel, mais plutôt de permettre au syndic d’obtenir une connaissance complète des faits et de déterminer s’il y a matière à plainte. Nier au syndic le pouvoir de contraindre un professionnel à le rencontrer aurait comme effet de nuire à l’objectif premier de protection du public.

Le Tribunal a déterminé que, contrairement à ce que prétend Jean Coutu, le pouvoir d’enquête du syndic n’est pas un pouvoir d’assignation, comme c’est le cas dans la Loi sur les commissions d’enquête, et le résultat du refus d’un professionnel d’obtempérer à une demande de rencontrer est la plainte pour entrave. Finalement, il a conclu que, à la lumière de l’article 122 C.prof. et de l’arrêt Pharmascience Inc. c. Binet (C.S. Can., 2006-10-26), 2006 CSC 48, SOQUIJ AZ-50395824, J.E. 2006-2096, [2006] 2 R.C.S. 513, le syndic a le pouvoir d’obliger le professionnel à le rencontrer au même titre qu’il a la possibilité de rencontrer des tiers.

Jean Coutu a déposé une requête en révision judiciaire devant la Cour supérieure. Selon celle-ci, il faut lire ensemble les textes du Code des professions et ceux du Code de déontologie des pharmaciens ainsi qu’ils existaient en 2005. Elle a conclu que, à l’époque pertinente, il n’existait pas d’obligation pour un pharmacien visé par une enquête de se rendre disponible pour une rencontre requise par le syndic.

Enfin, la Cour d’appel a affirmé que la conclusion du Tribunal des professions selon laquelle il y a eu entrave au sens de l’article 114 C.prof. n’est pas déraisonnable puisque cette disposition énonce expressément, à titre d’exemple d’entrave, le fait de refuser de fournir un renseignement au syndic. Ainsi, le membre d’un ordre professionnel a l’obligation légale de collaborer avec le syndic qui enquête. En l’espèce, Jean Coutu pouvait être considéré comme ayant refusé de collaborer en choisissant de ne pas donner suite aux demandes répétées du syndic de le rencontrer. Selon la Cour, le Tribunal a adopté une interprétation du mot «entrave» conforme à celle énoncée par la Cour suprême dans Moore c. R. (C.S. Can., 1978-10-17, SOQUIJ AZ-79111019, [1979] 1 R.C.S. 195, soit l’omission de donner suite à une obligation légale à la demande d’une personne en situation d’autorité.

Références 

  • Pharmaciens (Ordre professionnel des) c. Coutu (C.D. Pha., 2007-02-01), SOQUIJ AZ-50413302, D.D.E. 2007D-64, [2007] D.D.O.P. 147
  • Coutu c. Pharmaciens (Ordre professionnel des), (T.P., 2009-03-10), 2009 QCTP 17, SOQUIJ AZ-50544592, D.D.E. 2009D-50, [2009] D.D.O.P. 320
  • Pharmascience Inc. c. Binet (C.S. Can., 2006-10-26), 2006 CSC 48, SOQUIJ AZ-50395824, J.E. 2006-2096, [2006] 2 R.C.S. 513
  • Coutu c. Tribunal des professions (C.S., 2010-12-08), 2010 QCCS 6076, SOQUIJ AZ-50699059, 2011EXP-397, J.E. 2011-215
  • Chartrand c. Coutu (C.A., 2012-12-10), 2012 QCCA 2228, SOQUIJ AZ-50922002
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