Une copie d’un document de type «aide-mémoire» rédigé par une gestionnaire s’est retrouvé six mois plus tard entre les mains du syndicat. Ce dernier a assigné la gestionnaire à témoigner au sujet du document dans le contexte d’un arbitrage de griefs. Il croit que la cessation d’emploi de certains syndiqués est reliée au contenu du document.

L’employeur et la gestionnaire ont obtenu une injonction interlocutoire provisoire sur la base d’une déclaration sous serment de cette dernière selon laquelle le document avait vraisemblablement été subtilisé ou obtenu par intrusion illégale dans son ordinateur. Même si des interrogatoires ont ensuite révélé que tel n’était pas le cas, ils maintiennent leur réclamation à l’endroit du syndicat, de sa présidente et d’un conseiller de la CSN pour une somme de 800 000 $. Ils allèguent que c’est sans droit que les défendeurs détiennent le document et invoquent la crainte d’une utilisation préjudiciable de celui-ci. Les défendeurs ont demandé le rejet des procédures.

Dans V Interactions inc. c. Syndicat des employées et employés de l’ingénierie de TQS inc. (FNC-CSN), la Cour supérieure vient de décider que le recours de l’employeur contre les représentants syndicaux constituait une poursuite abusive.

La juge Mandeville écrit :

«Poursuivre personnellement, pour des centaines de milliers de dollars, des représentants syndicaux dont les actions s’inscrivent strictement dans l’exercice de leurs fonctions habituelles et qui se sont limités à agir comme tel, sans identifier de faute qui entraînerait leur responsabilité individuelle constitue nettement un acte de grande témérité, un «comportement blâmable».

Après avoir rappelé le contexte plutôt difficile des relations entre l’employeur et le syndicat, la juge poursuit : «Bref, sans être de la nature d’une poursuite–bâillon, la démarche judiciaire entreprise par V Interactions y est assimilable car elle a comme objectif de créer un effet dissuasif sur la volonté d’exercer des fonctions syndicales. En ce sens, elle constitue un abus, un détournement des fins de la justice qui doit être sanctionné par le rejet du recours.»

À son avis, le recours de l’employeur contre le syndicat est également abusif. La juge estime que l’introduction du recours en Cour supérieure a pour effet de paralyser les instances pendantes devant les tribunaux spécialisés en droit du travail. Le débat portant sur la recevabilité en preuve du document devrait se faire devant l’arbitre de griefs. De plus, ce dernier a compétence pour accorder des dommages-intérêts, le cas échéant. De toute façon, la réclamation de l’employeur est grossièrement exagérée.

La juge a décidé que le recours de la gestionnaire contre les représentants syndicaux constituait aussi une poursuite abusive. Elle a par contre conclu que la gestionnaire avait démontré, prima facie, que le syndicat détenait sans son autorisation des informations confidentielles sur sa personne et qu’il en avait pris connaissance. Par conséquent, son recours contre le syndicat ne paraît pas sans fondement aucun. La juge ajoute que, même si les sommes réclamées à titre de dommages-intérêts peuvent sembler exagérées, compte tenu de la diffusion très limitée du document, la gestionnaire n’a pas eu le bénéfice de faire la preuve de son préjudice. Ainsi, la juge n’est pas en mesure, à ce stade, de conclure que l’importance de sa réclamation résulte d’une intention de nuire au syndicat.

Référence

V Interactions inc. c. Syndicat des employées et employés de l’ingénierie de TQS inc. (FNC-CSN), (C.S., 2013-02-08), 2013 QCCS 485, SOQUIJ AZ-50935834

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