Dans un récent billet, je vous ai présenté des décisions illustrant des cas où des voyageurs avaient obtenu compensation en raison de la faute d’une agence de voyages ou d’un grossiste. Ces derniers étant tenus à une obligation de résultat, ils ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu’en prouvant la force majeure, laquelle est définie à l’article 1470 (2) du Code civil du Québec :

1470. Toute personne peut se dégager de sa responsabilité pour le préjudice causé à autrui si elle prouve que le préjudice résulte d’une force majeure, à moins qu’elle ne se soit engagée à le réparer.

 La force majeure est un événement imprévisible et irrésistible; y est assimilée la cause étrangère qui présente ces mêmes caractères.

Aujourd’hui, je vous propose d’examiner certains cas où la force majeure a été invoquée par les agences de voyages, avec ou sans succès, pour se dégager de leurs obligations de résultat.

Dans Béland c. Voyage Charterama Trois-Rivières ltée, les demandeurs avaient acheté un voyage à forfait à destination du Mexique qui devait avoir lieu du 25 avril au 9 mai 2009. Or, le 30 avril, ils ont été avisés par le grossiste qu’ils allaient être rapatriés au Canada le 1er mai. En effet, un communiqué de l’Agence de la santé publique du Canada en date du 27 avril 2009 recommandait aux voyageurs canadiens de reporter tout voyage non essentiel au Mexique en raison de l’éclosion soudaine de cas d’infection au virus de la grippe A (H1N1). Les demandeurs désiraient demeurer au Mexique, mais ils ont été contraints d’accepter de mettre fin à leurs vacances puisque le transporteur avait cessé toute vente vers ce pays et qu’aucun vol de retour ne pouvait leur être garanti. Ils ont obtenu un crédit de 410 $ par personne, sous forme de bons de voyages, mais ils ont réclamé le remboursement du coût de leur voyage (2 030 $ par personne) à titre de dommages-intérêts. Or, le juge a retenu que la situation qui avait cours au Mexique à la fin du mois d’avril 2009 était suffisamment préoccupante pour justifier la décision du grossiste, le 29 avril, de cesser les vols vers cette destination et de rapatrier ses clients. Il s’agissait d’une situation imprévisible et, au moment de l’achat du forfait (le 17 mars 2009), rien ne permettait à l’agence de voyages et au grossiste de prévoir l’importance de l’éclosion des cas d’infection au virus ni la réaction de l’Agence de la santé publique du Canada. Les voyageurs n’ont donc obtenu que la restitution de la portion terrestre du forfait non utilisée.

Dans une autre affaire (Doyon c. Vacances Air Transat), les demandeurs reprochaient à l’agence de voyages et au grossiste «d’avoir refusé d’annuler leur voyage, mais au contraire de les avoir amenés à destination trois jours avant qu’une tornade de force considérable ne frappe les côtes de la péninsule du Yucatan, à l’endroit même de leur destination, mettant ainsi leur sécurité en péril et leur faisant vivre des moments de terreur». Ils demandaient le remboursement du coût de leur voyage (3 974 $) plus des dommages-intérêts de 2 000  $. Selon eux, la tornade Emily qui a fait tourner leur voyage de noces au cauchemar n’avait rien d’imprévisible. En effet, il est connu que des tempêtes tropicales et même des ouragans surviennent en période estivale dans la mer des Caraïbes, les Antilles et le Golfe du Mexique. Ainsi, le juge a conclu que la force majeure ne résultait pas de l’imprévisibilité de l’ouragan lui-même, mais plutôt de sa trajectoire, qui est toujours capricieuse et imprévisible. Celle-ci a empêché les défenderesses de mener à bien l’exécution de leurs obligations contractuelles et les demandeurs ont eu droit à un remboursement de 1 000 $ chacun. Leur réclamation de dommages-intérêts a toutefois été rejetée.

Ce même ouragan est également à l’origine de la réclamation d’une famille de voyageurs (Blouin c. Transat Tours Canada (Nolitour Vacances)) qui réclamaient des dommages-intérêts de 500 $ et environ 70 % du prix de leur voyage au Mexique auquel ils ont dû couper court en raison de la tempête, qui s’est abattue sur la région deux jours après leur arrivée. À la date de leur départ, aucun avis officiel n’avait été émis qui aurait fondé la défenderesse à ne pas exécuter son obligation. De plus, toute l’industrie du transport et de l’hôtellerie fonctionnait normalement au lieu de leur destination. Le juge a donc retenu que Nolitour n’avait commis aucune faute et que l’ouragan constituait un cas de force majeure :

[40]            En vertu du deuxième alinéa de l’article 1470 C.c.Q., la force majeure est un événement imprévisible et irrésistible.

[41]            Le Tribunal est d’avis que la preuve démontre clairement que les caractéristiques de ce que constitue la force majeure représentée par l’ouragan Emily étaient présentes : l’extériorité, l’imprévisibilité et l’irrésistibilité d’un tel phénomène climatique. Il était également impossible que Nolitour puisse empêcher l’ouragan de frapper là où il l’a fait.

[42]            Nolitour est donc fondée de s’exonérer de toute responsabilité à l’égard des demandeurs en invoquant la force majeure que représentait Emily.

Cependant, la survente de chambres d’hôtel ne constitue pas une force majeure, mais une situation résultant d’un choix purement commercial en vue de rentabiliser au maximum la location des chambres (Lozeau c. Vacances tours Mont-Royal). Les demandeurs ont donc obtenu le remboursement du prix payé pour un voyage à forfait à Cuba parce qu’ils n’ont pu loger à l’hôtel où ils avaient réservé en raison d’une telle survente.

Par ailleurs, l’approvisionnement déficient en eau au complexe hôtelier répond aux critères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité assimilables à un cas de force majeure (Beaulieu c. Agence de voyages Nouveau-Monde). Toutefois, cela n’exonère pas les voyagistes de la diminution des activités offertes ni de la mauvaise qualité de la nourriture servie qui en a découlé. Toutefois, dans Leblanc c. Touristour, alors qu’une pompe servant à l’approvisionnement en eau d’un hôtel cubain a cessé de fonctionner et que les clients ont dû être relogés ailleurs, le juge a décidé qu’il ne s’agissait pas d’un cas de force majeure puisqu’un simple programme d’inspection et d’entretien périodique de la pompe aurait évité le sinistre.

Enfin, ainsi que l’a appris Nolitours dans Girard c. Voyages Laurier du Vallon, la fermeture d’une plage pendant quatre jours pour la réalisation de travaux bruyants et fort incommodants ne constituent pas non plus un cas de force majeure permettant de vendre des forfaits au plein tarif alors qu’un service essentiel comme l’utilisation de la plage n’est pas disponible.

Références

  • Béland c. Voyage Charterama Trois-Rivières ltée 2010 QCCQ 2842, SOQUIJ AZ-50628483, 2010EXP-2169, J.E. 2010-1199
  • Doyon c. Vacances Air Transat 2009 QCCQ 5672, SOQUIJ AZ-50561883, B.E. 2009BE-732
  • Blouin c. Transat Tours Canada (Nolitour Vacances) 2007 QCCQ 9151, SOQUIJ AZ-50447395, B.E. 2007BE-972
  • Lozeau c. Vacances tours Mont-Royal 2007 QCCQ 2573, SOQUIJ AZ-50424943, B.E. 2007BE-690
  • Beaulieu c. Agence de voyages Nouveau-Monde 2007 QCCQ 2346, SOQUIJ AZ-50424131, B.E. 2007BE-647
  • Leblanc c. Touristour 2011 QCCQ 15843, SOQUIJ AZ-50819909
  • Girard c. Voyages Laurier du Vallon 2011 QCCQ 13748, SOQUIJ AZ-50805902
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