En février 2012, le Conseil de discipline de l’Ordre des optométristes du Québec, saisi de plaintes disciplinaires à l’encontre de quatre optométristes — Brisson, Coulombe, Hardy et Chassé —, a été appelé à décider si le syndic de l’Ordre des opticiens d’ordonnances du Québec, en tant que plaignant privé, avait un intérêt suffisant pour porter plainte contre des optométristes.

Dans ses décisions portant sur une requête pour réouverture d’enquête, il a répondu par la négative et a rejeté les plaintes disciplinaires. Ces dernières reprochaient essentiellement aux optométristes en cause d’avoir omis de s’assurer du respect de la Loi sur l’optométrie et du Code des professions (C.prof.) par une personne non membre de l’Ordre des optométristes ou de l’Ordre des opticiens d’ordonnances qui aurait procédé à l’ajustement de lentilles ophtalmiques par la prise de mesures lors de l’achat ou de de la livraison, contrevenant ainsi à l’article 14 du Code de déontologie des optométristes, aux articles 16 et 25 de la Loi sur l’optométrie et à l’article 59.2 C.prof.

Infirmant cette décision au motif qu’elle comportait une erreur manifeste et dominante, le Tribunal des professions a plutôt conclu non seulement que le plaignant avait un intérêt personnel mais qu’il pouvait également revendiquer un intérêt public pour porter la plainte contre les quatre intimées, et il a renvoyé les dossiers devant le Conseil afin qu’il décide des plaintes sur le fond.

Avant d’en venir à cette conclusion, il a rappelé les principaux faits ayant entouré le dépôt de telles plaintes par le syndic de l’Ordre des opticiens d’ordonnances :

  • Lalonde est syndic de l’Ordre des opticiens d’ordonnances depuis 1986.
  • Il a été mandaté en novembre 2007 pour mener des enquêtes relativement à l’exercice illégal de la profession d’opticien d’ordonnances à l’intérieur de bureaux exploités par des optométristes.
  • Ces enquêtes ont été menées dans des cliniques de neuf optométristes qui sont parmi les dirigeants de l’Ordre des optométristes, dont Chassé, présidente de l’Ordre à l’époque, Brisson, membre du Comité d’inspection professionnelle, et Coulombe et Hardy, membres du Conseil de discipline de l’Ordre.
  • Au terme de ces enquêtes, l’Ordre des opticiens d’ordonnances a déposé des plaintes de nature pénale contre les personnes qui, alors qu’elles étaient assistantes des optométristes, auraient illégalement exercé la profession d’opticien d’ordonnances, contrevenant ainsi à l’article 15 de la Loi sur les opticiens d’ordonnances.
  • L’Ordre des opticiens d’ordonnances s’est adressé à l’Ordre des optométristes pour que des plaintes disciplinaires soient portées contre les optométristes qui auraient permis l’exercice illégal de la profession d’opticien d’ordonnances.
  • À la suite du refus de l’Ordre des optométristes, l’Ordre des opticiens d’ordonnances a demandé à Lalonde de déposer, à titre personnel, des plaintes contre les optométristes en cause.

Dans son analyse, le Tribunal a rappelé que, au moment de décider si le plaignant a l’intérêt requis pour porter plainte aux termes du second alinéa de l’article 128 C.prof., il faut tenir pour avérés les faits allégués dans la plainte. Dans un premier temps, il a reconnu au plaignant un intérêt personnel en indiquant que :

«[46] Sans l’appui de son ordre professionnel, il n’avait pas la motivation pour porter plainte, ce qui ne lui enlève toutefois pas l’intérêt pour le faire.

«[47] Le membre d’un ordre professionnel a certes intérêt à ce que les exigences posées dans le code de déontologie d’un autre ordre professionnel soient respectées, si le non-respect de l’une ou l’autre des dispositions qui y sont contenues se répercute sur sa profession.

«[48] Que les autres membres de la profession aient le même intérêt n’enlève pas à l’appelant son intérêt direct, personnel et particulier.»

Il conclut, dans un deuxième temps, que le plaignant avait également l’intérêt public pour le faire, précisant que : «L’intérêt en droit disciplinaire s’évalue en prenant en compte que la finalité de ce droit est la protection du public.» Après avoir relevé l’existence d’un conflit entre les deux ordres professionnels visés et le fait que les plaintes ciblaient des dirigeants de l’un d’eux, le Tribunal a indiqué qu’il n’était pas possible de conclure que celles-ci avaient été portées à des fins uniquement vexatoires ou de propagande.

Enfin, pour ceux qui sont particulièrement intéressés à la question, je tiens à attirer votre attention sur le fait que le Tribunal a souligné que «l’emploi répandu de l’expression « plainte privée » pour désigner la plainte portée en vertu du second alinéa de l’article 128 du Code des professions, est une création de la jurisprudence et ne se retrouve pas dans le libellé de cette disposition législative». Il précise qu’il s’agit d’une formulation visant à distinguer une telle plainte de celle portée par le syndic mais que, «dans un cas comme dans l’autre, il s’agit essentiellement de plaintes».

Références

  • Lalonde c. Brisson (C.D. Opto., 2012-02-09), SOQUIJ AZ-50828982, 2012EXP-1699
  • Lalonde c. Chassé (C.D. Opto., 2012-02-09), SOQUIJ AZ-50828983
  • Lalonde c. Coulombe (C.D. Opto., 2012-02-09), SOQUIJ AZ-50828984
  • Lalonde c. Hardy (C.D. Opto., 2012-02-09), SOQUIJ AZ-50828985
  • Lalonde c. Chassé (T.P., 2013-04-22 (jugement rectifié le 2013-05-17)), 2013 QCTP 36 et 2013 QCTP-36-A, SOQUIJ AZ-50961188
  • Bergeron c. Ordre des opticiens d’ordonnances du Québec (C.S., 2009-11-11), 2009 QCCS 5612, SOQUIJ AZ-50587953
  • Ordre des opticiens d’ordonnances du Québec c. Bergeron (C.Q., 2009-03-23), 2009 QCCQ 4931, SOQUIJ AZ-50559640, J.E. 2009-1264
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