Il n’est pas rare que le mot «scénario» figure dans les décisions rendues en droit fiscal. Par ailleurs l’expression «écran de fumée» a également été utilisée cette année. Voici deux décisions qui ont attiré notre attention: 

Scénario

Dans Bellemare c. 9135-9265 Québec inc.*, la Cour supérieure, a été saisie par les demandeurs d’une requête pour jugement déclaratoire «visant à rectifier une situation fiscale ayant eu pour effet qu’une transaction qu’ils croyaient faite à l’abri du fisc (du moins en partie) a plutôt débouché sur une cotisation de l’Agence du revenu du Canada de l’ordre de quelque 550 000,00$». Le juge, qui a conclu que la situation ne permettait pas aux demandeurs de prétendre à l’avantage fiscal réclamé, a d’abord indiqué que :

[60] En montant de toutes pièces un scénario où 9135 « cède » à GFBI 10 % des actions votantes de GBI pour 25,00 $ et que le même jour (mais avec prise d’effet quinze jours plus tar) GFBI « rétrocède » à 9135 ces mêmes actions pour le même 25,00 $, on ne peut réellement prétendre que pendant ces quinze jours, GFBI est le véritable propriétaire desdites actions.

[61] Donc, il faut déduire de ce qui précède que les mesures correctives mises en place ex-post-facto n’accomplissent même pas le résultat escompté.

 Il a ensuite précisé que : 

[78] Ce qu’il ne faut surtout pas perdre de vue, c’est que les Demandeurs ne pouvaient pas, à l’origine, bénéficier de l’avantage fiscal recherché parce qu’ils n’étaient pas détenteurs d’actions votantes de GBI. Donc, ils ne pouvaient pas avoir l’intention d’effectuer une transaction leur donnant un avantage fiscal que seule la véritable propriété d’un bloc d’actions de GBI pourrait leur donner. Ne l’étant pas au moment de la mise en place du processus ne leur permet pas de prétendre à une quelconque erreur de leur part entre le « negotium » et l’ « instrumentum ».

[…]

[81] Tous et chacun d’entre nous veulent effectuer des transactions ayant le moins d’impact fiscal possible, dans les limites de la légalité. Écrire une telle phrase dans le contrat P-1 ne donne pas carte blanche à la réécriture du scénario, même si ce scénario aurait peut-être pu être rédigé différemment à l’origine.

Enfin, en ce qui a trait à la question de savoir si le recours approprié était l’annulation de la transaction P-1, le juge a précisé qu’il croyait que cette approche était purement «procédurale et technique». Il a ajouté que, selon lui, «[l]a véritable question [était] de voir si les correctifs apportés produis[aient] l’effet escompté sans refaire le scénario» et a conclu qu’il y avait lieu de rejeter la requête des demandeurs pour jugement déclaratoire en confirmation, en rectification et en annulation.

Si la question vous intéresse, je vous invite également à lire deux autres décisions rendues en 2012. Dans Mac’s Convenience Stores inc. c. Couche-Tard inc.*,la Cour supérieure a rejeté une requête en jugement déclaratoire par laquelle la demanderesse cherchait à obtenir l’annulation du versement d’un dividende au bénéfice de la défenderesse et de le remplacer par une réduction de capital d’un montant équivalant afin de permettre la déductibilité des intérêts payés. Il est d’ailleurs précisé dans le jugement que :

[74] Selon la demanderesse, sa demande de rectification est tout à fait légitime.

[75] Elle précise qu’il ne s’agit pas de réécrire l’histoire fiscale du dossier, mais simplement lui permettre de corriger certains documents afin de rendre ceux-ci conformes à l’histoire conçue et écrite par les parties à partir du scénario proposé par leur professionnel conformément aux lois fiscales.

Les autorités fiscales mises en cause n’étaient évidemment pas de cet avis, pas plus la juge, qui a refusé de valider leurs prétentions.

Il a également été question de scénario dans Groupe Jean Coutu (PJC) inc. c. Jean Coutu Group (PJC) USA * mais, cette fois, la Cour supérieure a accueilli la requête pour ordonnance de rectification de livres et de registres et pour jugement déclaratoire. Le juge a notamment noté que :

[25] Le tribunal ne partage pas l’avis du Procureur Général à l’effet qu’il n’y ait pas d’écart entre le negotium et l’instrumentum. Selon le Procureur Général la demanderesse a été induite en erreur par ses conseillers en ce qui concerne le coût ou la valeur des conséquences découlant des transactions de février 2005, erreur qu’il qualifie «d’erreur économique» qui ne pourrait déboucher que sur la nullité du contrat et non sur sa correction. Évidemment, chaque cas et un cas d’espèce. Dans la présente instance il ne s’agit pas d’un seul contrat mais d’une série d’actes juridiques visant à produire un scénario comptable permettant d’annuler les impacts de la variation du taux de change dans les états financiers. La situation juridique créée par ce scénario ne devait pas se traduire par une conséquence fiscale importante. Il ne s’agit pas d’une erreur économique mais plutôt véritablement d’un écart entre l’intention commune des parties (le negotium) et les actes juridiques conclus pour y donner suite (instrumentum).

Écran de fumée

Dans A c. B*, les autorités fiscales ont obtenu la rétractation d’un jugement déclaratoire ayant annulé une série de transactions financières intervenues entre les parties au litige dans le contexte d’une restructuration d’entreprise. Dans cette décision, l’arrêt de la Cour d’appel Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Services environnementaux AES inc a été invoqué, plus particulièrement ses paragraphes 11 et 21. À ce sujet, la juge a relevé :

[39] L’écran de fumée est désormais dissipé. Un temps raisonnable a maintenant été alloué au Tribunal pour cerner les questions qui sont véritablement en cause dans cette affaire.

[40] Partant, le Tribunal est aujourd’hui en mesure d’apprécier que le paragraphe 21 précité ne permet pas d’affirmer sans nuance que les autorités fiscales n’ont pas l’intérêt pour intervenir afin de débattre des deux questions que soulève une demande de rectification (planification fiscale rétroactive) :

1- la rectification pour cause d’erreur est-elle permise en droit civil québécois ou seulement en Common law?

2- Dans l’affirmative, y a-t-il ici une erreur justifiant la rectification demandée?

[41] Par le truchement de manœuvres et de représentations fumeuses, les avocats des parties sont néanmoins parvenus à convaincre le Tribunal du contraire.

[42] Lors de l’audience devant l’honorable Christiane Alary, les parties ont procédé, à toutes fins utiles, ex parte. Les autorités fiscales, principales intéressées dont les intérêts étaient clairement opposés à la demande des parties, brillaient par leur absence.

[43] Le Tribunal était alors à la merci des parties qui sollicitaient un jugement déclaratoire. Dans ce contexte, ces dernières ne se sont pas acquittées de leur devoir de l’informer de tous les points de fait ou de droit qui étaient connus d’elles et qui favorisaient l’autre partie (obligation of full and frank disclosure).

Le jugement de la Cour d’appel Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Services environnementaux AES inc, qui a d’ailleurs également été mentionné sinon discuté dans toutes les décisions qui font l’objet de ce billet, a été porté en appel devant la Cour suprême, qui est appelée à rendre une décision à ce sujet (no de dossier 34235).

Conclusion

Même s’il ne s’agit pas nécessairement de déclarations fiscales «cousues de fil blanc» ou encore de transactions «arrangées avec le gars des vues», il semble que les acteurs fiscalistes ont autant de ressort que les plus fins scénaristes et, si nous restons en haleine cette année, c’est dans l’attente de «la suite» qui sera donnée à ces cinq décisions, qui ont toutes été portées en appel. Sur un écran d’ordinateur près de chez vous!

Références

  • Bellemare c. 9135-9265 Québec inc.* (C.S., 2013-02-20), 2013 QCCS 642, SOQUIJ AZ-50938933, 2013EXP-1729
  • Mac’s Convenience Stores inc. c. Couche-Tard inc.* (C.S., 2012-06-19), 2012 QCCS 2745, SOQUIJ AZ-50866686, 2012EXP-2576, J.E. 2012-1355, [2012] R.J.Q. 1348
  • Groupe Jean Coutu (PJC) inc. c. Jean Coutu Group (PJC) USA* (C.S., 2012-11-30), 2012 QCCS 6917, SOQUIJ AZ-50931255, 2013EXP-587, J.E. 2013-314
  • Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Services environnementaux AES inc.* (C.A., 2011-03-04), 2011 QCCA 394, SOQUIJ AZ-50727855, 2011EXP-879, J.E. 2011-470
  • A c. B* (C.S., 2013-02-08), 2013 QCCS 575, SOQUIJ AZ-50937803, 2013EXP-1167, J.E. 2013-641

NDLR du 7 février 2014 : Le pourvois a été rejeté par la Cour suprême du Canada dans l’affaires Services environnementaux AES inc.

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