La nouvelle division d’un Conseil de discipline, formée après que son président nommé juge eut rendu la décision sur culpabilité, a-t-elle compétence pour entendre l’audience sur sanction du professionnel en cause ?

Le présent billet se penchera sur cette question à la lumière d’une décision rendue en mai dernier par le Conseil de discipline de l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec saisi d’une requête visant à le faire déclarer sans compétence pour entendre les parties au sujet de la sanction, ainsi que de celle rendue par le Tribunal des Professions qui a accueilli la requête pour permission d’en appeler de cette décision.

Chronologie des faits :

31 janvier 2005 

Une plainte disciplinaire comportant sept chefs est déposée contre le médecin vétérinaire intimé.

Du 14 septembre 2005 au 25 février 2008 

La plainte est entendue : 30 jours d’audience au cours desquels 23 témoins sont entendus.

2 octobre 2009 

La présidente du Conseil de discipline est nommée juge à la Cour supérieure.

1er avril 2011 

Décision sur culpabilité : le médecin vétérinaire est reconnu coupable sous six des sept chefs d’accusation.

2 mai 2011 

La présidente du Conseil avise la secrétaire du Conseil du fait qu’elle n’a pas l’intention de présider l’audience sur sanction.

11 novembre 2011 

Le médecin vétérinaire présente sa requête pour perte de compétence à la nouvelle division du Conseil, qui a été constituée et qui est composée d’une nouvelle présidente ainsi que des deux autres membres qui sont les mêmes.

3 mai 2013 

Le Conseil rend sa décision et se déclare compétent.

30 mai 2013 

Le médecin vétérinaire demande la permission d’interjeter appel de la décision du Conseil.

Interprétation de l’article 119 du Code des professions

Comme l’a mentionné le Conseil, le principe de base édicté par le Code des professions (C.prof.)veut qu’un conseil de discipline siège en formation de trois membres et soits composé d’un président avocat ainsi que de deux membres de l’ordre professionnel en cause. Après avoir rappelé que l’article 119 C.prof. exigeait initialement que l’instruction d’une plainte disciplinaire ait lieu en tout temps — jusqu’à et incluant la décision sur sanction — en présence d’une formation composée des trois mêmes personnes, il a ensuite indiqué que ces exigences ne sont pas absolues : «Dans un souci de s’assurer que le processus disciplinaire entrepris se poursuive, le législateur a apporté diverses modifications à l’article 119 du Code des professions et au fil de ces amendements, il en a atténué le caractère strict, pour en arriver à la formulation actuelle». Que voici :

119. Lorsqu’un membre du conseil est absent ou empêché d’agir, il peut être remplacé par une personne qui exerce ses fonctions; cette personne est désignée suivant le même mode de désignation que la personne à remplacer et son traitement, ses honoraires ou indemnités sont fixés de la même façon que ceux de cette dernière.

Poursuite de l’instruction.

Toutefois, l’instruction peut être validement poursuivie et une décision peut être validement rendue par les deux autres membres, pourvu que l’un d’eux soit le président ou le président suppléant.

Nomination du président.

Le président ou le président suppléant du conseil qui est nommé dans un tribunal ou dans un organisme dans lequel il est tenu à l’exercice exclusif de ses fonctions conserve compétence et peut continuer, sans rémunération à ce titre, à exercer ses fonctions au sein du conseil pour terminer les affaires dont ce dernier avait débuté l’instruction au moment de cette nomination.

Sanction.

Toutefois, si la nomination intervient après que le conseil se soit prononcé sur la culpabilité et que la personne nommée ne se prévaut pas de la faculté prévue au troisième alinéa, une autre division est formée sans délai pour entendre les parties au sujet de la sanction et imposer celle-ci. Cette division du conseil impose la sanction dans les 90 jours suivant sa formation. Les décisions interlocutoires rendues antérieurement à la reprise de l’instance par une autre division demeurent valides.

1973, c. 43, a. 117; 1994, c. 40, a. 106; 1999, c. 40, a. 58; 2002, c. 32, a. 1; 2008, c. 11, a. 1, a. 84.

Le Conseil, énumérant les divers amendements apportés à l’article 119 C.prof. depuis 1994, a également mentionné l’adoption de l’article 118.3 C.prof., en 1996, et a relevé qu’il s’agissait là d’«une manifestation du législateur en faveur de la continuité du processus disciplinaire lors du ?remplacement? d’un membre déjà saisi d’une plainte». Selon le Conseil : «les motivations derrière tous ces amendements sont facilement identifiables à la lumière de la jurisprudence ayant conclu à plusieurs reprises à la nécessité d’annuler les décisions rendues et de reprendre du début du processus disciplinaire déjà largement entrepris. Ces motivations ont au surplus été clairement exprimées par certains commentaires formulés au moment de l’adoption d’amendements».

Or, selon le médecin vétérinaire en cause : «puisqu’il s’agit d’une dérogation au principe selon lequel la culpabilité et la sanction doivent être prononcées par les mêmes personnes, cette disposition doit recevoir une interprétation restrictive». Appliqué aux faits en l’espèce, cette interprétation implique selon lui que «les conditions strictes pour lesquelles une nouvelle division pourrait être nommée pour entendre la sanction ne sont pas rencontrées. En effet, la nomination à la magistrature de la première présidente du Conseil n’est pas survenue après que le Conseil se soit prononcé sur la culpabilité, mais avant et cette dernière a alors choisi de conserver compétence et de rendre la décision sur culpabilité, pour ensuite décliner compétence pour la sanction». Toujours selon lui, la nomination de la présidente à la Cour supérieure du Québec survenue pendant le délibéré sur culpabilité est une «situation non prévue au quatrième alinéa de l’article 119 de sorte que son option de terminer l’étape de l’instruction de la plainte sur culpabilité en rendant sa décision l’obligeait à procéder également à l’audition sur sanction».

Le Conseil a écarté l’interprétation ainsi soumise par le médecin vétérinaire, estimant qu’elle ajoutait indûment au troisième alinéa de l’article 119 du Code des professions et ne respectait pas l’intention du législateur «d’éviter les situations désastreuses où une audition, comme celle dans le présent dossier qui a duré 24 jours, doit être reprise du début à cause de la nomination du président dans un tribunal». Selon le Conseil, «l’alinéa 4 de l’article 119 C.prof. permet au président d’un conseil de discipline nommé dans un tribunal après qu’il eut rendu sa décision sur culpabilité de choisir de conserver compétence et d’instruire l’audition sur sanction ou de ne pas se prévaloir de cette faculté, auquel cas une nouvelle division est formée sans délai.» Quant à l’alinéa 3 de cet article, le Conseil a ajouté que le législateur n’y précisait pas «quelles sont “les affaires” dont le président nommé dans un autre tribunal “avait débuté l’instruction au moment de cette nomination” ni ce qu’il entend par la faculté de “terminer” ces affaires.»

Le Conseil, qui a tenu à rappeler que, «par sa requête visant à faire déclarer la présente division sans compétence pour entendre l’audition sur sanction et statuer sur cette sanction, le procureur de l’intimé veut imposer au syndic ainsi qu’à son client le fardeau de recommencer une longue audition sur culpabilité avec tous les frais inhérents, ce qui est contraire aux intérêts des parties en cause», a finalement conclu que la nouvelle division était validement formée pour statuer sur la sanction à imposer et que, en conséquence, la requête du médecin vétérinaire devait être rejetée.  

Permission d’interjeter appel

Le Tribunal des professions saisi de la requête du médecin vétérinaire pour permission d’appeler de cette décision du Conseil de discipline s’est préalablement questionné sur l’effet des diverses modifications apportées au Code des professions et entrées en vigueur le 12 juin 2013, notamment en ce qui concerne l’article 164, sur ce dossier. Après voir mentionné que les décisions interlocutoires des conseils de discipline ne pourront plus dorénavant faire l’objet d’une permission d’appel au Tribunal des professions, il a considéré que le médecin vétérinaire avait néanmoins un droit acquis, qui ne saurait être compromis par l’adoption subséquente de dispositions législatives abrogeant ce droit d’appel sur permission.

Même si le Tribunal a estimé qu’il était difficile de qualifier d’apparente la faiblesse de la décision du Conseil, il a néanmoins considéré que la question soulevée portait sur la compétence même du Conseil, ce qui lui conférait un caractère sérieux. En outre, il a relevé qu’elle paraissait d’intérêt général puisque des situations de nature semblable sont susceptibles de survenir dans d’autres dossiers. Enfin, il a également rappelé que le Tribunal des professions a eu peu d’occasions d’interpréter l’article 119 C.prof. et qu’il serait utile d’en préciser la portée et les balises à l’occasion d’un appel au fond. Il a donc accueilli la requête pour permission d’appeler de la décision du Conseil de discipline de l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec rendue le 3 mai 2013.

Conclusion

Le Conseil de discipline a tranché en faveur de la continuité du processus disciplinaire, après avoir procédé à une analyse fouillée, comme le Tribunal des professions l’a d’ailleurs relevé. La décision que rendra ce dernier sur la question, qu’elle confirme ou non la décision du Conseil, apportera un éclairage déterminant sur l’interprétation à donner à l’article 119 C.prof.

Références

  • Médecins vétérinaires (Ordre professionnel des) c. Lubrina* (C.D. Méd. vét., 2013-05-03), SOQUIJ AZ-50961973
  • Lubrina c. Médecins vétérinaires (Ordre professionnel des), (T.P., 2013-07-08), 2013 QCTP 65, SOQUIJ AZ-50987176
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