«On ne peut pas tout faire ou tout dire au nom de la liberté d’expression et de la création artistique: ce qui est acceptable et compréhensible sur le plan artistique ne l’est pas toujours dans une société démocratique». Voilà la conclusion à laquelle en est venu le juge Charest, de la Cour du Québec, appelé à se prononcer dans une affaire inusitée où un étudiant en arts visuels a dû répondre à des accusations de menaces proférées à l’endroit de jeunes enfants dans le cours d’un projet artistique.

L’article 264.1(1)a(2)b du Code criminel se lit comme suit : 

264.1(1) Commet une infraction quiconque sciemment profère, transmet ou fait recevoir par une personne, de quelque façon, une menace :

a) de causer la mort ou des lésions corporelles à quelqu’un;

b) de brûler, détruire ou endommager des biens meubles ou immeubles;

c) de tuer, empoisonner ou blesser un animal ou un oiseau qui est la propriété de quelqu’un.

(2) Quiconque commet une infraction prévue à l’alinéa (1) a) est coupable :

a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans;

b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de dix-huit mois.

 (3) Quiconque commet une infraction prévue à l’alinéa (1) b) ou c) est coupable :

a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans;

b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

L’étudiant en question devait fournir une description du projet qu’il comptait réaliser pour l’exposition des finissants. Il a expliqué que son projet serait performatif, qu’il était pour kidnapper le plus d’enfants possible, les enfermer dans des sacs qu’il accrocherait au plafond afin de les frapper avec une masse, les yeux bandés, le sens de l’œuvre étant de démontrer que les enfants innocents sont les adultes amorphes de demain. Cet étudiant était reconnu pour provoquer. En outre, dans le cours d’une performance, il s’était présenté nu et masqué devant les étudiants et s’était mutilé avec un couteau de type X-acto sur la musique d’une bande vidéo de Rocco Magnotta, cet individu qui, en 2012, a été accusé d’un meurtre commis dans des circonstances horribles. Un technicien en arts visuels a expliqué avoir eu à travailler avec cet étudiant sur un projet de jeu vidéo modifié: une chasse aux canards devenue une tuerie sur fond de classe, la fin du jeu survenant lorsque tous les élèves et les bandits étaient tués. C’est dans ce contexte que le directeur de l’école, informé du projet d’exposition de l’étudiant, a fait appel à la police. Le texte en question, intitulé «Description du projet pour l’expo des finissant (sic) de David Dulac», se lit comme suit :

Je n’ai pas d’image à fournir du projet pour le moment, je vais décrire en gros ce que je vais présenter.

Mon projet sera performatif et consistera d’abord à kidnapper le plus d’enfant possible en les attirant dans ma voiture près d’une école primaire de la région à l’aide de bonbon, de jeu vidéo ou de gadget, style iPod, et de les enfermer dans des vieilles poches de patates ou de sacs de pailles, et pendant une performance, une fois qu’ils serons tous accroché au plafond, je me banderai les yeux je les frapper avec une masse de fer. Le sens de l’œuvre sera de démontrer comment les beaux et petits enfants innocents vont vieillir au travers le monde contemporain pour devenir des adultes amorphes de demain. Moi je représenterai bien sûr l’humanité, ou son héritage, cela dépend du point de vue. (sic)

Des accusations ont finalement été portées contre lui, et ce dernier s’est trouvé à subir un procès au cours duquel tant la poursuite que la défense ont fait entendre des étudiants et des enseignants sur la démarche artistique de l’étudiant, certains faisant part de leurs inquiétudes quant à celle-ci alors que d’autres, au contraire, ne s’en inquiétaient pas. Pour sa part, le défendeur a expliqué au tribunal que la bande vidéo dont il est question se voulait une protestation contre les armes à feu, qu’il avait volontairement soumis une idée exagérée pour le projet d’exposition dans le but de contester le système institutionnel, que l’automutilation était un art performatif et qu’il avait décidé de passer outre aux instructions du directeur de ne pas présenter de projet inquiétant, estimant que celles-ci constituaient une tentative de censure.

Au départ, le juge rappelle que les témoins, dont le directeur de l’école, sont tous des artistes et que «l’appréciation des témoignages n’est pas un exercice mathématique en fonction du nombre de témoins qui soutiennent une thèse et ceux qui la rejettent». Il ajoute que le fardeau de la preuve qui incombe à la poursuite est de démontrer l’actus reus de l’infraction, à savoir que l’écrit contesté constitue une menace de causer la mort ou des lésions corporelles, et la mens rea, définie ainsi par la Cour suprême dans Clemente: «La mens rea est l’intention de faire en sorte que les paroles prononcées ou les mots écrits soient perçus comme une menace de causer la mort ou des blessures graves, c’est-à-dire comme visant à intimider ou à être pris au sérieux.» La poursuite n’a pas à prouver que l’auteur de la menace avait l’intention de passer à l’action. Quant à la personne visée, le juge cite Rudnicki et Bonneville, de la Cour d’appel, pour expliquer que la victime n’a pas à être identifiée, du moment qu’elle est identifiable. 

Fort de ces principes, le juge en vient à la conclusion de la culpabilité du défendeur. Quant au texte litigieux, il a retenu que les termes utilisés avaient une signification réelle et exprimaient des actions propices à créer un message ou un climat de violence. Pour ce qui est du contexte  de la production de cet écrit, pour certains artistes, cette description du projet était loufoque, alors que d’autres en ont été inquiétés. En outre, le juge rappelle que la description du projet présentait des points communs avec d’autres événements ou travaux du défendeur qui ont une connotation violente. Enfin, il tient compte du fait que ce dernier savait ou devait savoir que le fait de cibler des jeunes enfants, qui constituent une partie vulnérable et fragile de la population, est un sujet délicat et particulièrement sensible. À l’argument du défendeur, qui a soutenu avoir présenté son texte en toute connaissance de cause et tenté de justifier son message par le non-sens et par l’absurde, le juge a répondu que la violence destinée à des enfants est en soi un non-sens et que, dans de telles circonstances, ce genre de défense n’est pas acceptable. Il en arrive à la conclusion que, tout comme le ferait une personne raisonnable ordinaire, qui n’est pas initiée à l’activité artistique, mais qui est au courant du contenu du texte et qui prend en considération l’ensemble des circonstances et le contexte, les mots utilisés par le défendeur constituent une menace et que ce dernier avait l’intention de faire en sorte que ses propos soient perçus ainsi. 

L’expérience artistique a ses limites, et le défendeur a transgressé celles permises par la société.

Références

  • R. c. Dulac (C.Q., 2013-07-19), 2013 QCCQ 8200, SOQUIJ AZ-50993640, 2013EXP-2751, J.E. 2013-1487
  • R. c. Clemente (C.S. Can., 1994-07-14), SOQUIJ AZ-94111076, J.E. 94-1146, [1994] 2 R.C.S. 758
  • Rudnicki c. R. (C.A., 2004-11-03), SOQUIJ AZ-50278464, J.E. 2004-2218, [2004] R.J.Q. 2954
  • Bonneville c. R. (C.A., 1996-09-09), SOQUIJ AZ-96011865, J.E. 96-1858
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