«De tout temps, en vertu des principes fondateurs de notre droit criminel, il répugne de responsabiliser un individu pour ses actes alors qu’il en était inconscient ou que ses actes étaient involontaires.» Il s’agit là des propos tenus par le juge Vanchestein, appelé à se prononcer dans le cas d’une personne qui, accusée de conduite avec les facultés affaiblies, a fait valoir qu’elle n’avait jamais eu l’intention de conduire son véhicule en état d’ébriété et que son comportement était involontaire.

Les faits

À la fin d’un cocktail de la période des Fêtes, l’accusée a fait appel aux services d’un organisme de raccompagnement d’automobilistes (Nez rouge) pour rentrer chez elle. Durant le parcours, elle a soudainement été prise d’une grave crise de panique qui a fait en sorte que, craignant que les accompagnateurs ne connaissent son adresse, elle s’est fait déposer en face de la résidence d’un voisin plutôt qu’à son domicile. Se croyant seule et en sécurité, elle est montée dans sa voiture et s’est déplacée de quelques centaines de mètres pour finalement garer son véhicule dans la cour d’un voisin, où elle est demeurée terrée à l’intérieur de son véhicule jusqu’à l’arrivée des policiers, qui l’ont arrêtée alors qu’elle était couchée sur son volant.

L’accusée a expliqué que son état de panique résultait de plusieurs traumatismes antérieurs liés à une invasion de domicile par des étrangers dont elle avait été victime et en raison desquels elle est suivie par une psychologue. Le rapport du médecin psychiatre rencontré aux fins de ce dossier fait état que l’accusée présente le cas classique d’une personne souffrant de désordre de stress post-traumatique, ce désordre appartenant à la grande famille des troubles anxieux. Ainsi, pour l’accusée, le fait que l’on puisse connaître son adresse a déclenché un état de panique ayant créé un état de paralysie cérébrale, ce qui a fait en sorte qu’elle était incapable d’analyser adéquatement la situation. Lors des événements, ce qui prédominait, c’était d’adapter son comportement pour se protéger. Dans ce cas, la fuite dans le véhicule était nécessaire pour échapper à une menace.

La décision

Tout d’abord, le juge a conclu que l’accusée s’était trouvée dans un tel état de panique qu’elle ne pouvait plus former quelque intention que ce soit. Pour lui, il est manifeste que le soir en question «l’accusée n’a pas utilisé son véhicule dans l’intention de conduire mais pour fuir un péril imminent et pour se cacher». Puis, le juge se reporte à R. c. Boivin, affaire dans laquelle la Cour d’appel explique que «[l]’automatisme sans troubles mentaux est un moyen de défense qui, s’il est retenu, permet à un accusé d’être acquitté purement et simplement de l’accusation portée contre lui. L’automatisme se définit « comme étant un état de conscience diminué, plutôt qu’une perte de conscience, dans lequel la personne, quoique capable d’agir, n’a pas la maîtrise de ses actions »» et nous enseigne que cette «défense équivaut à nier le caractère volontaire de l’acte lequel constitue une composante de l’actus reus».

Cela dit, le juge devait dès lors se demander si l’accusée avait prouvé le caractère involontaire de l’acte selon la prépondérance des probabilités. Il note alors que la défense de stress post-traumatique a déjà été accueillie dans MacInnes. Dans cette affaire, le juge avait reçu une preuve d’expert confirmant l’état de stress post-traumatique de l’accusé et, appliquant les critères établis par la Cour suprême dans R. c. Stone, il avait acquitté ce dernier après en être arrivé à la conclusion qu’il avait agi dans un état d’automatisme sans troubles mentaux rendant son action involontaire. Fort de cette jurisprudence, le juge en vient à la conclusion que, en l’espèce, l’accusée n’avait aucune motivation d’agir comme elle l’avait fait si ce n’est que par automatisme, l’élément déclencheur de son état de panique lié au désordre de stress post-traumatique s’étant produit lorsqu’elle s’était rendu compte à mi-parcours que des étrangers, soit les bénévoles qui la raccompagnaient, connaîtraient son adresse.

Ainsi, au moment des événements,l’accusée était dans un état d’automatisme rendant ses actes involontaires. Cela étant, le juge devait dès lors se demander s’il s’agissait d’un automatisme avec troubles mentaux, auquel cas il lui fallait appliquer l’article 16 du Code criminel (C.Cr.), ou sans troubles mentaux, auquel cas il devait prononcer purement et simplement un acquittement. À cet égard, le juge a retenu le témoignage du psychiatre qui a affirmé de façon précise que l’état mental de l’accusée ne pouvait être considéré comme un trouble mental au sens de l’article 16 C.Cr. compte tenu du fait que c’était un stresseur externe et non une maladie mentale qui avait produit l’état de panique. Devant ce constat, le juge a donc retenu que l’accusée avait présenté une défense d’automatisme sans troubles mentaux et que, par conséquent, il n’avait d’autre choix que de l’acquitter.

Références

  • R. c. Bélanger (C.Q., 2013-09-27), 2013 QCCQ 11330, SOQUIJ AZ-51006455
  • R. c. Boivin (C.A., 2007-01-10), 2007 QCCA 39, SOQUIJ AZ-50405086, J.E. 2007-283
  • R. c. Stone (C.S. Can., 1999-05-27), SOQUIJ AZ-50065805, J.E. 99-1128, [1999] 2 R.C.S. 290
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