Une enquête policière d’envergure amorcée en 2001 s’est conclue en 2005 par l’arrestation de plus d’une cinquantaine de personnes, dont plusieurs ont fait face à d’innombrables chefs d’accusation reliés à la production de marijuana. Parmi celles-ci, certaines ont interjeté appel de leur condamnation, avec succès, mais non en raison de l’insuffisance de la preuve retenue contre elles, d’où l’intérêt de ce propos. Il s’agit notamment du cas Clohosy et de l’affaire Gagnon, deux arrêts récents de la Cour d’appel, qui a conclu à la tenue d’un nouveau procès en raison de la violation des droits linguistiques des accusés.

Le Code criminel prévoit, aux articles 530 et ss, le droit de l’accusé de subir un procès dans l’une des deux langues officielles du pays, celui d’obtenir la traduction de certains documents ou encore des services d’interprétation. Dans les affaires en question, la Cour a eu à se prononcer sur l’application de ces articles, sur les exigences qui en résultent et sur les conséquences qui découlent du non-respect de celles-ci.

Dans Gagnon, la Cour d’appel a décidé que les droits linguistiques des appelants avaient été violés de façon telle que le seul remède approprié était la tenue d’un nouveau procès. Au départ, la Cour n’a pas retenu, dans le cas de l’appelant Kyling, que son droit avait été bafoué du fait que le juge avait rejeté sa demande de subir un procès unilingue anglais. La poursuite avait demandé au juge d’ordonner à Kyling de subir son procès en compagnie de 18 autres coaccusés. Or, l’article 530 (6) C.Cr. prévoit, parmi les circonstances pouvant justifier l’utilisation des deux langues officielles, le cas d’un accusé devant être jugé conjointement avec des coaccusés pour un crime commun alors que sa langue maternelle n’est pas celle des coaccusés. Pour la Cour, l’ordonnance pour un procès bilingue résultait de l’application judicieuse du principe reconnu au nom duquel tous ceux qui participent à une aventure criminelle commune doivent, sauf exception, être poursuivis de façon conjointe.

Elle n’a pas non plus remis en question la constitution d’un jury mixte composé d’autant de jurés anglophones que francophones, jugeant même que cela conférait aux appelants un atout additionnel en ce qu’au moins six jurés, en plus d’être bilingues, provenaient de leur communauté linguistique respective. Toutefois, c’est sur la question des compétences linguistiques du jury que la Cour en vient à la conclusion de la violation des droits conférés aux appelants par l’article 530 (1) C.Cr. Elle a jugé que le juge du procès avait commis une erreur déterminante en conduisant une enquête trop sommaire sur les capacités linguistiques de certains des candidats jurés et en confiant à ces derniers le soin d’évaluer eux-mêmes leur niveau de compétence en ce domaine. Le juge aurait ensuite commis une autre erreur déterminante en n’exigeant des candidats jurés qu’une connaissance rudimentaire des deux langues officielles. Selon la Cour, le niveau de compréhension exigé par le juge se situait nettement en dessous du seuil acceptable pour qualifier un juré de bilingue, laissant planer ainsi un doute sérieux sur les habiletés linguistiques de certains membres du jury, de sorte que les appelants n’étaient pas assurés d’avoir été jugés par un jury bilingue. Cette violation se traduisant par un risque de préjudice sérieux ne pouvant être rangé parmi les simples irrégularités procédurales, pour la Cour, la seule réparation efficace résidait dans la tenue d’un nouveau procès. 

Dans Clohosy, la tenue d’un nouveau procès a aussi été ordonnée, mais la Cour a conclu à la violation des droits linguistiques de l’appelant pour d’autres raisons, dont le mode d’interprétation utilisé durant le procès. Selon la Cour, en ordonnant l’interprétation simultanée plutôt que l’interprétation consécutive, le juge devait s’assurer que le dossier comporterait en tout temps la totalité de l’enregistrement de l’interprétation, ce qui n’a pas été le cas. Elle a conclu qu’il s’agissait là d’une erreur qui avait irrémédiablement porté atteinte aux droits linguistiques de l’appelant, et, autre fait intéressant, que l’omission de ce dernier de faire valoir ses droits en temps utile ne pouvait constituer une renonciation implicite de sa part. Une autre raison pour laquelle la tenue d’un nouveau procès a été ordonnée réside dans la langue des jugements. L’article 530.1 h) C.Cr. crée une obligation pour le tribunal de rendre disponibles ses jugements dans la langue officielle de l’accusé. Or, dans le cas de Clohosy, parmi les nombreux jugements interlocutoires rendus par le juge, 10 avaient été écrits en français seulement et 2 l’avaient été dans les 2 langues officielles. Pour la Cour, l’article 530.1 h) C.Cr. exigeait davantage et, encore une fois, elle a rappelé qu’il n’était pas nécessaire pour l’appelant de présenter une demande officielle au tribunal afin de forcer le respect des droits que cette disposition lui confère. 

Il est facile d’imaginer que la tenue de nouveaux procès ne sera pas une mince affaire lorsqu’on regarde l’historique de ces cas. La constitution d’un jury bilingue, l’embauche d’interprètes et de traducteurs, le cas échéant, et tout ce que comporte la tenue de tels procès, conjoints dans certains cas, laissent présager qu’il s’écoulera quelque temps avant que de nouveaux verdicts ne soient rendus, que ce soit dans la langue de Molière ou dans celle de Shakespeare.

Références

  • Clohosy c. R. (C.A., 2013-10-10), 2013 QCCA 1742, SOQUIJ AZ-51008485, 2013EXP-3407, J.E. 2013-1852
  • Gagnon c. R. (C.A., 2013-10-10), 2013 QCCA 1744, SOQUIJ AZ-51008487, 2013EXP-3406, J.E. 2013-1851
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