L’article 326 alinéa 1 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) prévoit que la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) «impute à l’employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail survenu à un travailleur alors qu’il était à son emploi». L’alinéa 2 de cet article énonce toutefois que la CSST peut, de sa propre initiative ou à la demande d’un employeur, imputer le coût de ces prestations aux employeurs d’une de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet, notamment, de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident attribuable à un tiers

La jurisprudence reconnaît qu’un étudiant est un tiers puisqu’il n’a aucun rapport juridique ni aucun lien de droit avec l’employeur (Commission scolaire Sir Wilfrid-Laurier).

Quant à l’effet injuste de l’imputation, la Commission des lésions professionnelles (CLP) a rendu une décision de principe par une formation de trois juges administratifs dans Québec (Ministère des Transports) et Commission de la santé et de la sécurité du travail. Il en ressort que la notion d’«injustice» doit être appréciée à la lumière des risques inhérents aux activités de l’employeur, c’est-à-dire qui sont liés de manière étroite et nécessaires à celles-ci.

En règle générale, on considère qu’il n’est pas injuste que l’employeur supporte le coût d’un accident du travail subi par un enseignant et attribuable à un élève, à moins toutefois qu’il ne s’agisse de circonstances exceptionnelles ou anormales.

Suivent quelques exemples tirés de la jurisprudence. Il est à noter que, peu importe que la demande de l’employeur soit accueillie ou rejetée, elle ne concerne que l’imputation des coûts découlant de la lésion professionnelle et que, dans tous les cas, les travailleuses ont été indemnisées.

Un taille-crayon lancé au tableau

Une enseignante au secondaire a subi un stress post-traumatique lorsque, tandis qu’elle écrivait au tableau et qu’elle avait le dos tourné, un élève a jeté un taille-crayon qui a frappé le tableau près de sa tête. Le juge administratif Bouvier a rejeté la demande de l’employeur. Il a considéré que le fait de lancer un taille-crayon en direction d’un professeur, bien qu’il soit imprévisible, ne constituait pas un acte extraordinaire, rare, inusité ou exceptionnel dans le contexte de l’exercice de la tâche d’enseignant au secondaire (Commission scolaire de Montréal).

Surveillante dans une école et adolescent autiste

Une surveillante travaillait dans une école offrant des services aux personnes handicapées. Alors qu’elle accompagnait un élève aux toilettes, un adolescent autiste l’a heurtée à l’épaule avec sa tête en fonçant sur elle. La juge administrative Bergeron a rejeté la demande de l’employeur. Elle a d’abord cité l’article 36 de la Loi sur l’instruction publique, lequel prévoit que la mission des écoles est d’instruire, de socialiser et de qualifier les élèves afin de permettre la réussite de leur parcours scolaire, puis l’article 1 de cette loi, qui précise que les personnes visées par la loi sont notamment les personnes handicapées. Elle a ensuite rappelé que, dans la poursuite de cette mission, les activités d’enseignement devaient être modulées en fonction du type d’élèves ou de classes confiés au professeur, et qu’elles s’exerçaient auprès d’élèves qui ne sont pas tous nécessairement pareils sur le plan intellectuel, social, familial ou comportemental. La juge a conclu que l’élève avait eu un comportement inapproprié, mais qu’il ne s’agissait pas d’une agression violente et gratuite débordant le cadre normal de la relation surveillante-élève (Commission scolaire Pointe-de-l’Île et Commission de la santé et de la sécurité du travail).

Victime d’une dispute

Une enseignante a été projetée au sol et sa tête a heurté un mur de béton après qu’un étudiant qui se chamaillait avec un autre dans le corridor l’eut accidentellement frappée. La juge administrative Lavoie a accueilli la demande de l’employeur. Après avoir convenu que le travail de l’enseignante exigeait qu’elle circule dans les corridors de l’établissement pour se rendre d’un local à l’autre et qu’il y avait donc un risque d’être frappée par mégarde par un élève, elle a estimé que le fait d’être frappée avec une telle violence par un étudiant qui se chamaille est une situation imprévisible, inusitée et exceptionnelle (Commission scolaire Sir Wilfrid-Laurier).

Menaces de mort

Une enseignante a expulsé de sa classe un élève âgé de 16 ans qui ne faisait pas les exercices proposés, préférant écouter de la musique, et qui avait pressé une bouteille d’eau afin d’en extraire le bouchon bruyamment. Le lendemain, l’étudiant a écrit un texte — confisqué par une surveillante –, contenant des insultes et des menaces de mort à l’endroit de l’enseignante. Un diagnostic de syndrome de stress post-traumatique a été posé. Le juge administratif Gagnon a donné gain de cause à l’employeur. Il a considéré que, même si la gestion de certains comportements fait partie d’une relation dite «normale» dans un établissement d’enseignement, un enseignant ne peut s’attendre à ce que la discipline qu’il impose entraîne une réaction aussi excessive et démesurée de la part d’un étudiant que celle d’une menace de mort. Le juge a rappelé que la mission d’un établissement scolaire de niveau secondaire consiste à instruire les jeunes en leur offrant un environnement de nature à permettre leur réussite scolaire et que, dans l’exécution de ce mandat, un enseignant ne peut s’attendre à recevoir des menaces à sa vie (Commission scolaire de la Région-de-Sherbrooke).

Intervention dans une bagarre

Une enseignante a été frappée au visage en tentant de séparer deux élèves qui se battaient. La juge administrative Roiseux a accueilli la demande de l’employeur. Elle a estimé que l’événement dépassait le cadre de travail normal d’une enseignante. La juge a ajouté que, même si le travail d’enseignant comportait l’imposition de directives, l’intervention physique pour séparer deux élèves qui se bagarrent excédait le contexte normal de l’enseignement et ne faisait pas partie du risque relié à l’activité de l’employeur, dont la vocation est d’instruire les jeunes (Commission scolaire Lester B. Pearson).

Une sortie au théâtre

Une enseignante au secondaire a subi une lombalgie lorsque le chauffeur d’autobus scolaire qui l’emmenait au théâtre avec ses élèves a franchi deux fois un dos d’âne sans ralentir. La juge administrative Juteau a rejeté la demande de l’employeur. Elle a estimé que l’activité de l’employeur était de donner des services d’enseignement et qu’une sortie au théâtre, bien que cela soit occasionnel, faisait partie de cette activité. D’autre part, cette sortie au théâtre était organisée par les enseignantes, qui étaient tenues d’y participer, et elle s’inscrivait dans le calendrier scolaire, lequel prévoyait quatre ou cinq sorties par année. La juge a ajouté que l’enseignement ne se limitait pas aux activités réalisées à l’intérieur de l’école et que les sorties comportaient des risques d’accidents associés aux déplacements (Commission scolaire English-Montréal).

Références

  • Commission scolaire Sir Wilfrid-Laurier (C.L.P., 2013-08-02), 2013 QCCLP 4802, SOQUIJ AZ-50993641, 2013EXPT-1643
  • Québec (Ministère des Transports) et Commission de la santé et de la sécurité du travail (C.L.P., 2008-03-28), 2008 QCCLP 1795, SOQUIJ AZ-50482296, C.L.P.E. 2007LP-281, [2007] C.L.P. 1804.
  • Commission scolaire English-Montréal (C.L.P., 2012-03-30), 2012 QCCLP 2481, SOQUIJ AZ-50845463, 2012EXPT-935
  • Commission scolaire de Montréal (C.L.P., 2011-04-04), 2011 QCCLP 2495, SOQUIJ AZ-50739587, 2011EXPT-893
  • Commission scolaire Pointe-de-l’Île et Commission de la santé et de la sécurité du travail (C.L.P., 2013-09-25), 2013 QCCLP 5690, SOQUIJ AZ-51005620, 2013EXPT-1855
  • Commission scolaire Sir Wilfrid-Laurier (C.L.P., 2013-08-02), 2013 QCCLP 4802, SOQUIJ AZ-50993641, 2013EXPT-1643
  • Commission scolaire de la Région-de-Sherbrooke (C.L.P., 2013-04-29), 2013 QCCLP 2470, SOQUIJ AZ-50961520, 2013EXPT-955
  • Commission scolaire Lester B. Pearson (C.L.P., 2012-12-04), 2012 QCCLP 8232, SOQUIJ AZ-50937545, 2013EXPT-421
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