Tout juste embauchée par l’employeur à titre de réceptionniste dans un hôtel, la plaignante s’est présentée au travail et elle a annoncé à l’adjoint de la directrice générale de l’entreprise qu’elle était enceinte. Ce dernier lui a dit que ce poste était trop exigeant physiquement pour une femme enceinte et qu’il requérait une longue formation qui serait à recommencer auprès d’un autre employé à l’occasion de son remplacement pendant son congé de maternité. Il a mis fin à l’emploi de la plaignante sans qu’elle s’oppose à cette décision.

Il s’agit de l’affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Innvest Hotels GP II Ltd. (Boucherville Comfort Inn par Journey’s End).

Devant le Tribunal des droits de la personne, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse allègue que l’employeur et son représentant ont compromis le droit de la plaignante à l’égalité dans l’emploi, qui doit être exempt de discrimination fondée sur la grossesse, en la congédiant dès l’annonce de sa grossesse, contrevenant ainsi aux articles 10 et 16 de la Charte des droits et libertés de la personne.

Le Tribunal a d’abord déterminé que, au moment où la plaignante s’est présentée sur les lieux du travail afin de recevoir sa formation, elle était une employée de l’hôtel. Il a conclu que son emploi avait pris fin la journée même de cette formation et que la divulgation de sa grossesse constituait le facteur déterminant de la cessation de son emploi.

Y a-t-il eu un commun accord pour mettre fin à l’emploi et discrimination?

L’employeur a tenté de convaincre le Tribunal que la plaignante était empêchée d’exercer un recours fondé sur la discrimination, soutenant que la décision de mettre fin au lien d’emploi avait été prise d’un commun accord, sans opposition de cette dernière.

Or, le Tribunal se dit d’avis que la fin d’emploi, au contraire, n’a pas été prise d’un commun accord. Elle provient du représentant de l’employeur, l’adjoint de la directrice générale. Il ajoute que la réaction mitigée de la plaignante ne peut équivaloir à un consentement de sa part à la cessation de son emploi ou à l’empêcher d’exercer un recours. La plaignante a donc été victime de discrimination fondée sur sa grossesse en vertu des articles 10 et 16 de la charte.

Encore plus : le Tribunal a ajouté que, même en concluant que l’emploi de la plaignante aurait pris fin en vertu d’un commun accord, il y aurait tout de même eu discrimination à l’endroit de celle-ci.

Premièrement, les propos que le représentant de l’employeur a tenus à l’endroit de la plaignante en insistant sur les aspects les plus exigeants du poste avaient pour objectif d’amener celle-ci à douter de sa capacité à exercer le poste et étaient fondés sur des préjugés. Le Tribunal mentionne que l’employeur ne lui a pas demandé si elle s’estimait capable d’effectuer le travail exigé. À noter qu’à l’audience ni l’employeur ni son représentant n’ont tenté d’établir que le poste comportait des exigences qu’une femme enceinte ne serait pas capable de respecter.

Deuxièmement, le Tribunal ajoute que si la plaignante avait volontairement consenti à mettre fin à son emploi, ce consentement n’aurait pas été valablement donné, étant donné l’absence d’une proposition d’accommodement de la part de l’employeur.

La réparation du préjudice

Quant à la réparation du préjudice, une indemnité afin de compenser le préjudice matériel équivalant à la perte de salaire pendant une période de 18 semaines, soit celle s’étendant de la première journée de travail jusqu’au début du versement des prestations d’assurance parentale, est accordée. À cet effet, des dommages pécuniaires de 8 640 $ doivent être versés. De plus, des dommages non pécuniaires équivalant à 6 500 $ sont accordés afin de compenser le préjudice moral subi par la plaignante. Enfin, l’employeur ne pouvait ignorer le statut précaire dans lequel il plaçait la plaignante en lui refusant le poste pour lequel elle avait été embauchée. Des dommages exemplaires de 3 000 $ sont justifiés à la lumière des critères énoncés à l’article 1621 du Code civil du Québec.

Par ailleurs, le Tribunal a rendu des ordonnances mandatoires. Comme ici les réceptionnistes n’étaient pas protégées par la convention collective ni par un contrat de travail particulier, il est notamment ordonné à l’employeur de mettre en œuvre une politique visant à contrer la discrimination au travail relativement à ses employés non visés par une accréditation syndicale.

Référence

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Innvest Hotels GP II Ltd. (Boucherville Comfort Inn par Journey’s End), (T.D.P.Q., 2013-09-03), 2013 QCTDP 31, SOQUIJ AZ-51004144, 2013EXP-3289, 2013EXPT-1931, D.T.E. 2013T-711

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