Les manifestations étudiantes contre la hausse des frais de scolarité annoncée par le gouvernement du Québec au printemps 2012 ont donné lieu à toutes sortes d’incidents. Nous avons d’ailleurs publié quelques billets sur le sujet. Voici la question abordée cette fois sous l’angle des lésions professionnelles. 

L’article 326 alinéa 1 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles prévoit que la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) «impute à l’employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail survenu à un travailleur alors qu’il était à son emploi». L’alinéa 2 de cet article énonce toutefois que la CSST peut, de sa propre initiative ou à la demande d’un employeur, imputer le coût de ces prestations aux employeurs d’une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet, notamment, de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident attribuable à un tiers.

Deux constables de l’Université de Montréal ont été blessés dans le contexte des manifestations contre la hausse des frais de scolarité. L’un d’eux a été projeté sur un mur par un individu qui voulait dégager une porte afin de faire entrer dans l’immeuble une foule de manifestants. Quant à l’autre, il a subi une plaie à l’avant-bras en tentant de protéger des locaux pris d’assaut par quelques centaines de manifestants qui s’étaient introduits par effraction dans le pavillon administratif de l’Université.

Dans les deux cas, l’Université a demandé un transfert des coûts, alléguant que l’accident était attribuable à un tiers. La CSST a rejeté les demandes, mais le juge administratif Therrien, de la Commission des lésions professionnelles, les a accueillies.

Les arguments de la CSST : Les travailleurs ont été blessés en exerçant des tâches prévues à leur contrat de travail. L’Université avait accepté les risques de blessure de ses employés en demandant à ses constables d’assurer la sécurité tout en connaissant le contexte exceptionnel des manifestations.

Le juge Therrien partage cette analyse mais la considère comme incomplète.

Ses motifs :

Certes, […] l’employeur pouvait prévoir qu’une manifestation aurait lieu dans le cadre des contestations de la hausse des frais de scolarité.

Par définition, un constable a également pour fonction d’assurer la sécurité des étudiants et du personnel dans les pavillons et immeubles appartenant à l’employeur. En embauchant des constables plutôt que de faire appel aux services d’agences de sécurité, l’employeur en assume également les risques inhérents à cette activité.

Cependant, en s’inspirant des critères élaborés dans l’affaire Ministère des Transports Québec (Ministère des Transports) et Commission de la santé et de la sécurité du travail (C.L.P., 2008-03-28), 2008 QCCLP 1795, SOQUIJ AZ-50482296, C.L.P.E. 2007LP-281, [2007] C.L.P. 1804, le tribunal est d’avis que le fait de faire face à un groupe de manifestants agressifs qui s’introduit par effraction dans un pavillon universitaire, par son ampleur et son contexte, outrepasse les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur.

En effet, bien que le fait d’être impliqué dans un accrochage ou une bousculade avec des manifestants puisse faire partie des risques inhérents à l’exercice de la fonction de constable, cette activité n’est qu’accessoire aux activités principales de l’employeur au présent dossier qui sont l’enseignement supérieur et la recherche. […] l’employeur n’est pas un corps policier et n’opère pas une entreprise de sécurité ou de transport d’argent.

Ensuite, les circonstances dans lesquelles le travailleur subit sa lésion professionnelle, soit d’être agressé par un manifestant qui s’introduit par effraction avec un groupe agressif dans un pavillon universitaire, sont imprévisibles et constituent une situation extraordinaire, inusitée, rare et exceptionnelle.

Cette situation est tellement exceptionnelle qu’une vingtaine de policiers sont intervenus le 19 mars 2012 pour contrôler la foule […]. La Cour supérieure a également émis une ordonnance d’injonction provisoire à la lumière des faits exceptionnels relatés […].

Le juge Therrien a conclu qu’il serait injuste de faire supporter à l’Université de Montréal les coûts afférents aux lésions professionnelles subies par les deux constables.

Références

  • Université de Montréal et Commission de la santé et de la sécurité du travail (C.L.P., 2013-11-29 (décision rectifiée le 2013-12-03)), 2013 QCCLP 6895, SOQUIJ AZ-51024077, 2013EXPT-2250
  • Université de Montréal et Commission de la santé et de la sécurité du travail (C.L.P., 2013-11-29), 2013 QCCLP 6896, SOQUIJ AZ-51024078
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