La soirée s’annonce intime et vous décidez d’ajouter du piquant à celle-ci en ayant recours à quelques accessoires disponibles dans ces boutiques érotiques aux noms évocateurs. Eh bien, dorénavant, après 17 h, n’y pensez plus! En effet, la Loi sur les heures et les jours d’admission dans les établissements commerciaux ne permet l’admission du public en dehors des périodes légales que lorsque : 

7. 1o l’établissement n’offre principalement en vente, en tout temps, que les produits ou un ensemble des produits suivants: des produits pharmaceutiques, hygiéniques ou sanitaires, des journaux, des périodiques, des livres, du tabac ou des objets requis pour l’usage du tabac et pourvu qu’au plus quatre personnes assurent le fonctionnement de l’établissement en dehors des périodes légales d’admission;

[…]

Pour l’application du paragraphe 1o du premier alinéa, le mot «personnes» exclut les professionnels régis par la Loi sur la pharmacie (chapitre P-10) et les personnes affectées exclusivement à la préparation des médicaments.

Or, le samedi, les commerces ferment à 17 h. Cela n’a rien de bien nouveau et est connu du grand public. Toutefois, dans l’affaire qui nous intéresse (Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Trans-Asia Tours inc.), la défenderesse, une boutique érotique, s’est appuyée sur l’article 7 de la loi et a soutenu qu’elle vendait principalement des «produits hygiéniques ou sanitaires». L’idée fait sourire, mais elle a quand même entraîné le témoignage d’experts sur la question.

La défense :

La défenderesse a soutenu que l’entreprise était spécialisée en santé sexuelle et a fait témoigner un psychologue et sexologue détenteur d’un doctorat en psychologie sexuelle. Ce dernier a fait valoir que le terme «sanitaire» veut dire santé et que, dans le contexte du présent dossier, il s’agit de la santé sexuelle. Selon cet expert, le terme «hygiénique» touche aussi à la santé, mais davantage à la santé physique reliée à la sexualité. Par exemple, devraient être qualifiés d’hygiéniques des produits pouvant empêcher les infections transmises sexuellement ou des désinfectants de godemichés ou autres produits érotiques. Ainsi, selon sa compréhension de la loi, les produits sanitaires sont des articles reliés à la santé publique. Enfin, il rapporte que : «l’Organisation mondiale de la santé […] définit la santé sexuelle comme un état de bien-être physique, émotionnel, mental et social en lien avec la sexualité et non pas, simplement, l’absence de maladies, de dysfonctions ou d’infirmités» (paragr. 31). Après évaluation des produits vendus dans le commerce, il arrive à six catégories de produits qu’il qualifie de sanitaires, soit:

  1. Des accessoires, soit des produits vibrants ou non, sans forme phallique, conçus pour aider, exciter, stimuler et/ou aider sexuellement l’homme et/ou la femme, incluant des accessoires consignés, accessoires de type anal, anneaux et sleeves (rallonges), anneaux vibrants, boules chinoises, bullets (tiges vibrantes), pompes pour aider l’érection, rallonges, dilatateurs ou autres produits similaires;
  2. Des lotions, huiles de massage et crèmes pour homme ainsi que des lubrifiants pour femme, désinfectants et nettoyants;
  3. Des produits naturels et alimentaires de type suppléments visant à augmenter la libido et à favoriser l’érection;
  4. Des prothèses ou orthèses et produits vibrants en général de forme phallique, des vibrateurs et masturbateurs (charmeurs) munis d’un excitateur clitoridien et tout autre produit conçu pour la stimulation et l’excitation de l’homme ou de la femme, seul-e ou en couple, incluant des harnais pour maintenir la prothèse ou l’orthèse en place;
  5. Des livres, revues ainsi que diverses cartes de souhait; et
  6. Des condoms, préservatifs et digues dentaires.

La poursuite :

La poursuite a produit une contre-expertise. Fait intéressant, au départ, son témoin expert, un psychologue et sexologue clinicien en pratique privée depuis près de 25 ans, souscrit à l’opinion de l’expert de la défense quant aux facteurs qui favorisent et constituent la santé sexuelle ainsi que le rôle que cette dernière peut jouer sur le bien-être, la qualité de vie et la santé globale des personnes.

Toutefois, selon lui, parmi les produits érotiques vendus par la défenderesse, seul un petit nombre mérite d’être qualifié de produits hygiéniques ou sanitaires puisque ces produits contribuent expressément à protéger et à préserver la santé de la personne, ainsi que la santé publique. Il a reconnu que certains produits érotiques pouvaient avoir une valeur thérapeutique et contribuer à l’accomplissement sexuel et, par le fait même, à la santé sexuelle. Toutefois, et c’est là où le bât blesse pour nos tourtereaux du samedi soir, selon cet expert, qui précise par ailleurs croire à l’importance de promouvoir l’épanouissement sexuel et la santé sexuelle dans la population en générale, tant d’un point de vue physique que psychologique, l’indisponibilité des produits en question en dehors des heures d’ouverture n’a pas de lien avec la santé générale d’une personne ni avec la santé publique.

La décision:

La juge saisie du dossier rappelle que la loi ne précise pas ce qu’elle entend par «produits hygiéniques ou sanitaires» et que, d’autre part, le but d’une telle loi est d’encadrer les périodes d’activités commerciales. Or, pour la juge, l’interprétation des termes «produits sanitaires ou hygiéniques» suggérée par le témoin expert de la défense n’est pas une interprétation plausible s’harmonisant avec l’intention du législateur, cela étant d’autant plus vrai que, selon l’expert de la poursuite — lequel n’a pas été contredit sur cette question –, même la communauté professionnelle à laquelle il appartient  n’utilise pas l’expression «produits hygiéniques et sanitaires» pour désigner la majorité des produits vendus en boutique érotique. Pour la juge, la définition proposée par l’expert de la défense fait en sorte que, lorsqu’un objet ou un produit a un effet bénéfique sur la santé, que ce soit sur le plan physique, psychologique ou sexuel, cela suffit pour le qualifier de «produit sanitaire» et, en désaccord avec cette idée, elle s’en explique ainsi : «en suivant cette logique, les commerces d’équipements sportifs pourraient admettre le public en dehors des périodes légales puisque les produits qu’ils vendent ont un effet bénéfique sur la santé. Est-ce bien là l’intention du législateur?» (paragr. 63). Philosophe, elle mentionne que ce n’est pas parce qu’un objet peut avoir un usage thérapeutique qu’il devient nécessairement un produit sanitaire ou hygiénique et reprend l’exemple suivant : « certains thérapeutes utilisent des animaux pour soigner leurs clients. Cela a même un nom, la zoothérapie. Est-ce que cela signifie pour autant que les animaleries vendent principalement des « produits sanitaires » et qu’elles peuvent bénéficier des exceptions prévues à la Loi?» (paragr. 64). De même, se rapportant à un fait mis en preuve par la défense, elle considère que le fait qu’un hôpital montréalais ait acheté d’une concurrente de la défenderesse une cinquantaine de dilatateurs vaginaux ne fait pas en sorte qu’une boutique érotique vend principalement des produits sanitaires ou hygiéniques au sens de la loi. Dans cette optique, elle conclut que les objets mentionnés par le témoin expert de la défense, tels que boules chinoises, anneaux vibrants, prothèses et orthèses de forme phallique et autres, ne constituent pas, pour la vaste majorité des citoyens, des biens d’utilité courante «dont la nécessité peut se faire sentir en dehors des heures d’ouverture des établissements commerciaux» (paragr. 66). Quant à l’interprétation qu’il faut donner aux termes «hygiéniques et sanitaires», la juge en arrive à la conclusion que le sens courant des mots utilisés à l’article 7 de la loi ne paraît pas s’appliquer à une multitude d’objets mentionnés dans la liste de produits «sanitaires ou hygiéniques» dressée par l’expert de la défenderesse. 

La défenderesse s’est vu imposer une amende de 1 500 $. La juge conclut ainsi : «bien que conscient que cette décision pourrait avoir une incidence sur la santé financière de la défenderesse, le Tribunal ne croit pas que la santé publique s’en portera plus mal. Il n’appartient pas au Tribunal d’élargir la portée de la Loi en écartant l’intention du législateur. Pour faire modifier la Loi, c’est au législateur que les parties doivent s’adresser» (paragr. 92). » D’ici là, après 17 h, vaut mieux passer à la pharmacie!

NDLR 21 février : Le billet a été modifié pour refléter le fait que le jugement qu’il signale a été rectifié et qu’une phrase du paragraphe 92 a été retranchée.

Référence

Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Trans-Asia Tours inc. (C.Q., 2014-01-28), 2014 QCCQ 289, SOQUIJ AZ-51038822.

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