Billet paru en primeur sur Droit-Inc.com.

Tandis que l’employeur veut adopter ou faire respecter son règlement d’entreprise en matière d’apparence personnelle et de tenue vestimentaire par l’imposition de mesures disciplinaires, le salarié brandit son droit à la liberté d’expression, à la vie privée ou à la protection de l’intégrité de sa personne. Cela vous dit quelque chose ?

Voici donc des situations récentes retrouvées dans la jurisprudence.

Le port du carré rouge : l’affaire Société canadienne des postes et Syndicat des travailleuses et travailleurs des postes (Stephan Brassard)

En 2012, un facteur a porté le carré rouge sur son uniforme afin d’exprimer son appui aux revendications étudiantes. À la Société canadienne des Postes, une politique décrit quels insignes peuvent porter les salariés sur leur uniforme. L’employeur a également donné une directive claire interdisant le port du carré rouge, mais le facteur en cause a délibérément refusé d’obtempérer.

L’arbitre a confirmé la suspension de un jour imposée au motif d’insubordination. La restriction imposée par l’employeur vise à s’assurer que le port d’un symbole par un salarié n’ait pas pour effet de l’associer à un point de vue défini sur une question politique très controversée. La nature de la fonction du plaignant l’amène à véhiculer l’image que l’employeur projette auprès du public.

La préoccupation de l’employeur de vouloir protéger sa réputation constitue un motif suffisant pour restreindre le droit à la liberté d’expression du plaignant.

Le port du jeans : l’affaire Société canadienne des postes et Syndicat des travailleuses et travailleurs des postes (griefs individuels, François Bécotte et autres)

De nouveau à la Société canadienne des postes, les facteurs ont effectué la livraison du courrier en portant un jean. L’employeur les a suspendus en raison du non-respect de la politique en vigueur sur le port de l’uniforme et parce qu’ils avaient volontairement fait fi des directives.

L’arbitre de griefs a cité un arrêt de la Cour d’appel rendu dans Montréal (Communauté urbaine de) c. Fraternité des policiers et policières de la Communauté urbaine de Montréal inc., qui a déjà reconnu que le port du jean pouvait être un moyen de pression acceptable s’il n’était pas de nature à nuire à l’employeur.

Le port du jean est protégé par le droit à la liberté d’expression reconnu par les chartes. L’arbitre a donc annulé les suspensions de un jour imposées aux salariés.

Le port de lunettes fumées : l’affaire Syndicat québécois des employées et employés de service, section locale 298 et Société de réadaptation et d’intégration communautaire

L’employeur exploite deux résidences accueillent des personnes qui présentent des problèmes de santé mentale graves ou des adultes vivant une période de crise psychosociale. Pour des raisons de sécurité, l’employeur a imposé un code vestimentaire qui interdit notamment aux salariés de porter un chapeau, une casquette ainsi que des lunettes fumées à l’intérieur de l’établissement. Le même règlement existe à l’égard des usagers.

Un intervenant portait des lunettes fumées sur sa tête pour son «look». Aucune mesure disciplinaire n’a été imposée, mais le syndicat a contesté le règlement d’entreprise interdisant de porter de tels accessoires.

L’arbitre a reconnu que l’image de la personne et son apparence physique étaient protégées en vertu de son droit à la vie privée et de sa liberté d’expression. L’employeur en l’espèce, par sa politique, viole ces droits. Toutefois, l’arbitre a conclu que l’exigence de l’employeur était permise en vertu de l’article 9.1 de la Charte des droits et libertés de la personne.

En effet, l’objectif poursuivi par l’employeur est important. L’intervenant est un modèle pour l’usager, qui pourrait être tenté de l’imiter. Il veut s’assurer que les usagers, qui souffrent de maladie mentale, n’auront pas de verres fumés devant les yeux à l’occasion d’une intervention à leur égard. De plus, l’exigence de l’employeur est rationnelle parce qu’elle est reliée à l’objectif poursuivi et elle est proportionnelle à l’atteinte au droit à la liberté d’expression du salarié en question. Le salarié peut ne pas porter ses lunettes sans devoir renoncer à son apparence personnelle. L’atteinte à sa liberté d’expression est donc minime.

Le port de minijupes, camisoles, jeans, bijoux, pendentifs, barbes, sarraus : affaire Syndicat de l’enseignement de Lanaudière et Commission scolaire des Samares

Le syndicat a contesté la légalité du règlement d’une commission scolaire relatif à l’apparence personnelle et applicable aux personnes qui enseignent à la formation professionnelle dans des programmes du secteur de la santé.

D’abord, l’arbitre de griefs a déclaré que l’image d’une personne ainsi que son apparence personnelle étaient protégées. Le règlement a été déclaré invalide parce que plusieurs directives brimaient le droit à la liberté d’expression et celui à la vie privée des salariés et n’étaient pas justifiées au sens de l’article 9.1 de la Charte des droits et libertés de la personne.

Directives justifiées et raisonnables :

  • Obligation de l’enseignant de se couvrir la barbe, en classe pratique, lors de soins particuliers. Cette directive correspond aux recommandations des ordres professionnels.
  • Interdiction du port de minijupes et camisoles.

Directives non justifiées et déraisonnables :

  •  Interdiction des cheveux teints de certaines couleurs. Cela viole le droit des enseignants à leur vie privée.
  •  Interdiction du jean.
  •  Obligation selon laquelle les bijoux corporels, anneaux et pendentifs doivent en tout temps être sobres, solidement fixés et couverts. Cette restriction est large, générale et imprécise.
  • Obligation de porter le sarreau blanc pendant les cours théoriques.

Le port de la barbe : affaire Rebuts solides canadiens inc. et Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP-301).

Il s’agit d’une situation qui a fait l’objet d’un billet précédent, intitulé «Congédié pour avoir refusé de se raser la barbe afin de porter un masque de protection respiratoire», que je vous invite à lire afin de savoir si un congédiement pour cette raison a été maintenu ou annulé. Dans cette affaire, c’est le droit à l’intégrité de la personne du salarié qui était en cause.

Références

  • Société canadienne des postes et Syndicat des travailleuses et travailleurs des postes (T.A., 2013-11-21), SOQUIJ AZ-51022156, EXP 2014-78, EXPT 2014-35, D.T.E. 2014T-13.
  • Société canadienne des postes et Syndicat des travailleuses et travailleurs des postes (T.A., 2013-09-04), SOQUIJ AZ-51015783, EXP 2013-3759, EXPT 2013-2182, D.T.E. 2013T-800
  • Montréal (Communauté urbaine de) c. Fraternité des policiers et policières de la Communauté urbaine de Montréal inc. (C.A., 1995-09-11), SOQUIJ AZ-95011790, J.E. 95-1840, D.T.E. 95T-1127, [1995] R.J.Q. 2549.
  • Syndicat québécois des employées et employés de service, section locale 298 et Société de réadaptation et d’intégration communautaire (T.A., 2013-02-11), SOQUIJ AZ-50962746, EXP 2013-1785, EXPT 2013-1024, D.T.E. 2013T-365.
  • Syndicat de l’enseignement de Lanaudière et Commission scolaire des Samares (T.A., 2012-10-09), SOQUIJ AZ-50914116, EXP 2012-4348, EXPT 2012-2428, D.T.E. 2012T-862, [2012] R.J.D.T. 1223.
  • Rebuts solides canadiens inc. et Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP-301) (T.A., 2013-12-02), SOQUIJ AZ-51025065, EXP 2014-165, EXPT 2014-78, D.T.E. 2014T-33.
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