« Tout inculpé a le droit de ne pas recevoir une peine additionnelle à l’égard d’une infraction pour laquelle il a déjà été puni. »

Les tribunaux qui se sont penchés sur l’application de cette garantie constitutionnelle prévue à l’article 11 h) de la Charte canadienne des droits et libertés1 devaient notamment cerner la notion de «peine additionnelle».

Échantillons d’ADN : peine ou traitement ?

Avant de déclarer qu’un prélèvement d’échantillons d’ADN en vertu de l’article 487.055 du Code criminel2 constituait un traitement (art. 12 de la charte) et non une peine, la juge Charron, dans Rodgers c. R.3, reconnaissait que, si la notion de «peine» au sens de l’article 11 n’était pas encore parfaitement circonscrite, elle ne devait pas être limitée, dans une instance criminelle, à l’emprisonnement et à l’amende substantielle.

Deux ans plus tard, la Cour d’appel du Québec4 a considéré que les ordonnances ou les obligations découlant de la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels5 ne faisaient pas «partie de l’arsenal des sanctions mis à la disposition des tribunaux6» et, par conséquent, ne pouvaient constituer une peine au sens de l’article 11 de la charte. Les arguments de l’accusé Morin qu’il n’avait pas à se conformer aux exigences de cette loi, entrée en vigueur après la commission des infractions dont il a été déclaré coupable, n’ont donc pas été retenus.

La notion de peine additionnelle a refait surface dans l’actualité juridique récemment alors que s’est posée la question de la validité constitutionnelle de l’abolition rétroactive de la procédure d’examen expéditif de mise en liberté sous condition (PEE), qui permettait à un détenu condamné à une première peine fédérale de plus de deux ans pour un crime non violent d’être mis en libération conditionnelle au sixième de sa peine. Le 28 mars 2011, le législateur fédéral a changé les règles du jeu et a fait en sorte que les personnes purgeant alors une peine de détention fédérale perdent le bénéfice d’une remise en liberté au sixième de leur peine en vertu de critères moins sévères. Saisie d’une requête afin de faire déclarer inconstitutionnelles ces nouvelles dispositions, la Cour supérieure du Québec7 a retenu les arguments des requérants, qui avaient invoqué deux jugements rendus par les tribunaux de Colombie-Britannique dans Whaling8.

La juge Bourque résume très bien l’analyse de la juge Holmes, de la Cour suprême de Colombie-Britannique, qui a estimé que la disposition transitoire de l’article 109 constituait une peine additionnelle et violait l’article 11 h) de la charte. La juge Bourque a ensuite procédé à l’examen de l’arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique10 ayant maintenu le jugement de première instance après avoir conclu que la loi modificative était punitive autant dans son but que dans ses effets, ce qui avait eu pour résultat d’augmenter la durée de la peine initialement imposée à Whaling. Elle explicite ensuite le raisonnement du plus haut tribunal de Colombie-Britannique, qui a appliqué la définition de peine telle qu’énoncée dans Rogers11 et qui a rejeté les arguments du PGC, qui soutenait que les modifications législatives ne constituaient en fait que des mesures administratives de la peine. Appliquant ces principes au débat qu’elle devait trancher, la juge Bourque a déclaré inconstitutionnelle l’abolition rétroactive de la PEE.

La Cour suprême du Canada a récemment rejeté le pourvoi du PGC dans Whaling12. Selon le juge Wagner, il va de soi que la protection accordée à l’article 11 h) s’applique au délinquant qui a été condamné en l’absence de nouvelles procédures judiciaires, un aspect de la question qui n’avait pas été abordé par les instances inférieures. Il conclut que «le changement apporté rétrospectivement aux règles régissant l’admissibilité à la libération conditionnelle qui a pour effet de prolonger automatiquement l’incarcération du délinquant emporte une peine supplémentaire, contrairement à l’al. 11 h) de la Charte. Un changement qui trompe si catégoriquement l’attente en matière de liberté d’un délinquant qui a déjà été condamné et puni représente l’un des cas les plus manifestes d’un changement rétrospectif qui emporte une double peine dans le contexte de l’al. 11 h)13». Comme le PGC n’avait pas réussi à démontrer qu’il n’existait pas de moyen moins attentatoire que l’application rétroactive de la loi, la Cour suprême a déclaré que la PEE continuait de s’appliquer aux délinquants condamnés avant le 28 mars 2011.

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