Un conseil de discipline à qui il est demandé d’imposer une sanction à un professionnel reconnu coupable d’avoir enfreint le Code des professions ou son code de déontologie se voit proposer, plus souvent qu’autrement, des recommandations communes par les parties. Il lui appartient alors de les entériner ou non.

Deux appels visant des décisions sur sanction dans lesquelles le Conseil de de discipline du Collège des médecins du Québec a refusé de donner suite aux sanctions ainsi suggérées ont permis au Tribunal des professions de faire le point sur la question.

L’affaire Médecins (Ordre professionnel des) c. Gauthier

Dans cette décision, le Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec, désapprouvant la recommandation commune des partie (radiation temporaire de neuf mois et amende de 1 000 $) sur le cinquième chef de la plainte déposée contre le médecin intimé, qui lui reprochait d’avoir omis de conserver une conduite irréprochable à l’endroit d’une patiente, lui a plutôt imposé une radiation temporaire de trois ans et une amende de 1 000 $ (il est à noter que cette décision a déjà fait l’objet d’un billet sur notre blogue).

Le médecin en cause, qui a interjeté appel de cette décision, a présenté une requête pour être entendu d’urgence ainsi qu’en sursis d’exécution de la radiation, laquelle a été accueillie par le Tribunal des professions, celui-ci ayant estimé que l’article 171 du Code des professions lui conférait le pouvoir discrétionnaire nécessaire pour décider du bien-fondé de la demande à être entendu d’urgence. Dans sa décision portant sur le fond, le Tribunal des professions a précisé que l’appel ne visait que la sanction relative au chef no 5.

Il a d’abord conclu que le fait que le Conseil de discipline n’ait pas convoqué de nouveau les parties avant d’écarter leur recommandation commune constituait une violation de l’engagement pris par son président. Puis, après avoir rappelé les règles établies par la jurisprudence relativement au décideur s’apprêtant à écarter une suggestion commune dont l’importation en droit professionnel a été reconnue, il a conclu que celles-ci n’avaient pas été respectées en l’espèce et qu’il s’agissait là d’un vice invalidant la décision du Conseil.

Il a alors précisé qu’en pareilles circonstances son rôle n’était pas d’arbitrer en se substituant à quiconque pour imposer la sanction lui paraissant indiquée mais que la véritable question en litige consistait plutôt à déterminer si la suggestion commune était «déraisonnable, inadéquate, contraire à l’intérêt public ou de nature à déconsidérer l’administration de la justice», suivant les termes utilisés par la Cour d’appel dans Boivin c. R. Il a conclu que, dans la mesure où elle s’inscrivait dans le spectre des sanctions imposées en semblable matière, la suggestion commune n’était pas déraisonnable, inadéquate, contraire à l’intérêt public ou de nature à déconsidérer l’administration de la justice et qu’il n’y avait donc pas lieu de l’écarter. Il s’est également prononcé ainsi sur la possibilité pour un conseil de discipline d’effectuer un «réajustement» semblable à celui tenté sans succès par le Conseil de discipline du Collège des médecins:

[31] Il est certes possible pour un conseil de discipline d’amorcer un virage mais il doit formuler les explications et les justifications qui le motivent à prendre cette orientation. L’exercice ne saurait résulter d’une réflexion arbitraire à l’égard de laquelle les parties n’ont pas pu fournir leurs propres arguments.

L’affaire Chan

Le tribunal des professions s’est prononcé de nouveau sur cette question des suggestions communes dans Chan c. Médecins (Ordre professionnel des). Dans cette affaire, où il n’était pas question d’inconduite sexuelle, la patiente est malheureusement décédée dans le contexte de complications d’une fausse couche. Le médecin en cause avait plaidé coupable sous cinq chefs d’accusations qui lui reprochaient notamment d’avoir négligé de se présenter au chevet de sa patiente. Le Conseil de discipline du Collège des médecinsa refusé de suivre la recommandation commune de sanction soumise par les parties, soit des périodes de radiation temporaire ne dépassant pas 2 mois, et il a plutôt imposé au médecin en cause des périodes de radiation temporaire allant jusqu’à 12 mois. Il s’en est expliqué en ces termes :

[62] Ainsi, le Conseil de discipline estime être dans une situation exceptionnelle où il lui est impératif d’intervenir face à des sanctions proposées qu’il juge déraisonnables, afin de préserver l’intégrité et la crédibilité du système de justice disciplinaire. C’est pourquoi il ne donnera pas suite à la recommandation commune soumise par les parties et imposera des sanctions plus sévères, adaptées aux circonstances de cette affaire et notamment, au degré de gravité des gestes posés ainsi qu’à la nécessité d’envoyer un message clair à l’ensemble de la profession concernant une situation susceptible de se produire à nouveau.

Le Tribunal des professions a conclu que le Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec avait commis une erreur révisable en ne suivant pas la suggestion conjointe d’imposer à l’appelant une sanction globale de radiation temporaire de deux mois, et il en a profité pour réitérer la démarche s’imposant en cas de suggestion commune de sanction, qui consiste à :

  • aviser les parties qu’il ne retient pas, du moins à ce stade, la suggestion commune;
  • expliquer sommairement l’objet de sa préoccupation;
  • donner l’occasion aux parties de réagir.

Il a également indiqué que si, au terme d’un débat contradictoire, il appartient au Conseil de discipline de déterminer la juste et raisonnable sanction en tenant compte des différents facteurs, la suggestion commune invite le Conseil non pas à décider de la sévérité ou de la clémence de la sanction, mais plutôt à déterminer si elle s’avère déraisonnable au point d’être contraire à l’intérêt public et de nature à déconsidérer l’administration de la justice. Quant à la latitude accordée au Conseil, il a tenu à préciser ce qui suit :

[74] Il est loisible aux conseils de discipline de déroger au corpus jurisprudentiel existant et de hausser la barre sur le plan des sanctions si les pairs jugent que les circonstances le justifient. Cependant, dans une telle éventualité, ils doivent étayer leurs motifs qui présideraient à des sanctions plus sévères.

Ces deux décisions du Tribunal des professions n’ont pas fait l’objet d’appel. Il sera intéressant de voir de quelle manière les conseils de discipline, qui, rappelons-le, ne sont pas liés par les sanctions qui leurs sont suggérées, suivront les principes qui y sont édictés dans les cas où ils refuseront d’entériner une recommandation commune. 

Références

  • Médecins (Ordre professionnel des) c. Gauthier (C.D. Méd., 2012-08-14), SOQUIJ AZ-50889655, EXP 2012-3634.
  • Gauthier c. Médecins (Ordre professionnel des), (T.P., 2013-05-09), 2013 QCTP 47, SOQUIJ AZ-50965655, EXP 2013-2775.
  • Gauthier c. Médecins (Ordre professionnel des), (T.P., 2013-11-25), 2013 QCTP 89, SOQUIJ AZ-51028048, EXP 2014-1223.
  • Boivin c. R. (C.A., 2010-11-25), 2010 QCCA 2187, SOQUIJ AZ-50695825, EXP 2010-4052, J.E. 2010-2182.
  • Chan c. Médecins (Ordre professionnel des), (T.P., 2014-01-21 (jugement rectifié le 2014-02-03)), 2014 QCTP 5 et 2014 QCTP 5-A, SOQUIJ AZ-51037439, 2014EXP-1567.
  • Médecins (Ordre professionnel des) c. Chan (C.D. Méd., 2013-01-16), SOQUIJ AZ-50931258.
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