Horaire de travail irrégulier, heures supplémentaires imprévisibles et quart de travail rotatif, voilà une situation d’horaire atypique caractérisant certains milieux de travail. Peut-être est-ce la vôtre ?

Dans ce cas, si vos employés, vos clients ou vous-mêmes avez de jeunes enfants, il est vraisemblable que vous ayez été dans des difficultés similaires à celles vécues par Mme Jonhstone, une agente de l’Agence des services frontaliers à l’aéroport de Toronto, relativement au peu de disponibilité de services de garde adéquats, à la gestion d’un horaire de travail atypique et au maintien d’un statut d’employé à temps plein avec tous les avantages qui y sont associés.

Cette salariée a demandé à son employeur, une entreprise de compétence fédérale, de pouvoir bénéficier d’un horaire de travail stable tout en conservant le droit de travailler à temps plein. L’employeur a refusé d’accéder à sa demande, se fondant sur une politique non écrite selon laquelle les employés invoquant leurs responsabilités parentales ne peuvent bénéficier d’un horaire stable à temps plein. Il lui a plutôt proposé de devenir une employée à temps partiel, la privant ainsi de certains avantages rattachés au statut d’employé à temps plein.

Mme Johnstone a alors déposé une plainte en vertu des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, prétendant qu’elle avait fait l’objet d’un traitement discriminatoire en emploi basé sur le motif interdit de la «situation de famille» prévue à l’article 3 de la loi précitée.

On parle désormais de l’affaire Canada (Attorney General) c. Johnstone, rendue par la Cour d’appel fédérale le 2 mai dernier.

La Cour s’est prononcée sur la portée et la signification du motif de discrimination de la «situation de famille» prévu à l’article 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et a établi les critères à considérer et à démontrer aux fins de la détermination d’une situation qui, à première vue, présente de la discrimination fondée sur ce motif. Quant à ces deux questions de droit, elle a établi que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

Motif de la situation de famille

Selon la Cour, il faut adopter une interprétation large et libérale, laquelle requiert une approche qui inclut les circonstances reliées à la famille, comme les obligations reliées aux soins de l’enfant. Plus particulièrement, le motif de la situation de famille inclut les obligations parentales qui engagent la responsabilité légale du parent à l’égard de son enfant, telles les obligations reliées à la garde, à l’éducation et aux soins de l’enfant, tout en excluant les choix personnels d’activités.

Par exemple, la Cour précise que des activités comme des tournois de hockey, des cours de danse ou toute autre activité volontairement choisie par le parent ne pourraient faire partie des obligations parentales couvertes par le motif de la situation de famille.

Détermination d’une situation prima facie de discrimination fondée sur le motif de la situation de famille

Le salarié doit prouver que:

  1. l’enfant est sous ses soins ou sa supervision;
  2. son obligation parentale engage sa responsabilité légale à l’égard de cet enfant et ne constitue pas seulement un choix personnel;
  3. le salarié a fait des efforts raisonnables afin de satisfaire à ses obligations parentales, et ce, par des moyens raisonnables et qu’aucune autre solution n’est raisonnablement accessible;
  4. la pratique ou le règlement d’entreprise brime le salarié d’une façon plus que substantielle dans l’accomplissement de l’obligation parentale.

Enfin, la Cour ajoute que chaque situation doit être examinée individuellement eu égard à toutes les circonstances existantes et la preuve requise dépendra également de chaque situation.

Ordonnances :

Dans le dossier de Mme Johnstone, la Cour a confirmé en majeure partie les ordonnances du Tribunal canadien des droits de la personne, en effectuant quelques petites modifications. L’employeur doit donc :

  • cesser ces pratiques discriminatoires;
  • consulter la Commission canadienne des droits de la personne afin de mettre en œuvre un plan de prévention et d’adopter une politique écrite dans un délai de six mois;
  • rembourser à la plaignante le salaire et les avantages dont elle a été privée en étant empêchée de travailler à temps plein, tout en modifiant à la baisse l’indemnité pour perte de revenus;
  • verser une indemnité de 15 000 $ en vertu de l’article 53 (2) e) de la loi, à titre de dommages non pécuniaires, ainsi qu’une indemnité spéciale maximale de 20 000 $ en vertu de l’article 53 (3) de la loi.

Cette décision aura-t-elle des échos à l’égard de situations de fait semblables au Québec mais exigeant l’interprétation du motif de discrimination de l’«état civil» contenu à l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne ?

Une belle réflexion à venir…

Référence

Canada (Attorney General) c. Johnstone (C.A.F., 2014-05-02), 2014 FCA 110, SOQUIJ AZ-51071802, 2014EXP-1884, 2014EXPT-1129, J.E. 2014-1064, D.T.E. 2014T-412.

À la date de diffusion, la décision n’avait pas été portée en appel.

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