Publié initialement sur LesAffaires.com

BLOGUE. Si, sur le plan géopolitique, tous se demandent qui est à l’origine du tir ayant causé la catastrophe survenue récemment en Ukraine, pour les proches des 298 victimes, c’est la question de la responsabilité de Malaysia Airlines qui est plus pertinente.

À cet égard, ils peuvent, du moins selon le droit québécois, réclamer des dommages-intérêts pour souffrance, perte de soutien moral et perte de soutien matériel.

Cette question pourrait d’ailleurs faire couler beaucoup d’encre, selon la position qui sera adoptée par le transporteur ou ses assureurs. 

Responsabilité stricte

En effet, la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international (Convention de Montréal), qui régit la responsabilité des compagnies aériennes, prévoit un régime particulier en matière, notamment, d’atteinte aux personnes. Selon celui-ci, le transporteur est responsable du préjudice survenu en cas de mort dès que l’accident s’est produit à bord de son appareil. Par conséquent, la victime est déchargée de tout fardeau de preuve à cet égard.

Indemnité et moyens de défense

Quant à l’étendue de l’indemnité, la convention prévoit deux paliers.

D’une part, le transporteur ne peut exclure ou limiter sa responsabilité pour les premiers 166 000 $ par passager. C’est donc dire qu’elle ne pourra invoquer aucun moyen de défense quant aux premiers 50 millions de dollars (298 passagers x 166 000 $) de dommages-intérêts prouvés par les proches des victimes.

D’autre part, pour tout dommage excédent cette somme, le transporteur pourra faire valoir: 1) que le dommage ne résulte pas de sa négligence ou de celle de ses employés ou mandataires; ou 2) que le dommage résulte uniquement d’un acte ou d’une omission préjudiciable d’un tiers.

Négligence

Ainsi, l’étendue potentielle de la responsabilité de Malaysia Airlines dépendra vraisemblablement de la réponse apportée à la question suivante: compte tenu de toutes les circonstances, le transporteur a-t-il fait preuve de négligence en survolant la zone de conflit en cause?

Dans l’affirmative, la responsabilité de Malaysia Airlines risque d’être illimitée.

En effet, n’eût été le plan de vol choisi, la catastrophe aurait certainement été évitée. Dans un tel contexte, on peut soutenir que le dommage est le résultat de fautes conjointes, soit celle de Malaysia Airlines et celle du tiers ayant procédé au tir du missile balistique, ce qui fermerait l’accès aux deux moyens de défense mentionnés plus haut.

À cet égard, il me semble que, en 2014, des avions civils ne devraient pas survoler, même à grande altitude, une zone où fusent des missiles balistiques, d’autant moins que, dans le cas qui nous occupe, un avion-cargo et un jet de combat avaient été abattus par de tels engins un peu plus tôt dans la semaine.

D’ailleurs, certaines compagnies aériennes, comme British Airways, avaient déjà décidé de contourner la zone à risque afin d’assurer la sécurité des passagers.

En défense, Malaysia Airlines soutiendra certainement que l’espace aérien survolé n’était pas fermé, qu’elle respectait la norme de 9 800 mètres recommandée par l’Ukraine et qu’il n’existait aucune directive de l’Organisation de l’aviation civile internationale prohibant d’y voler. Elle alléguera également que l’accident était difficilement prévisible, qu’aucun avion de ligne n’avait jamais été touché à une telle altitude et que la portée des roquettes normalement utilisées par les rebelles ne dépasse généralement pas 15 000 pieds.

Bref, la question est loin d’être simple.

En tout état de cause, même si la conduite de Malaysia Airlines ne semble pas s’apparenter à celle de Ford dans l’affaire Pinto, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit manifestement d’un cas où une société fait primer son intérêt économique à court terme (en l’occurrence, des économies d’essence) sur la sécurité d’êtres humains.

Or, lorsqu’on considère le nombre de victimes, l’indemnité à laquelle leurs proches auront droit, le coût de l’aéronef détruit et la chute du cours de l’action de Malaysia Airlines, le choix de cette dernière se révèle aujourd’hui funeste à tous égards.

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