La Cour d’appel a récemment refusé au syndicat d’interjeter appel d’une décision de la Cour supérieure qui avait confirmé la sentence d’un arbitre de griefs ayant donné raison à la Ville de Québec d’exiger une «bonne connaissance de l’anglais parlé et écrit» de la part des candidats appelés à pourvoir certains postes d’agent de perception.

Il s’agit de l’affaire Syndicat des fonctionnaires municipaux de Québec (FISA) et Québec (Ville de), sur laquelle j’ai écrit un précédent billet, où l’arbitre de griefs avait décidé que l’employeur pouvait exiger une «bonne connaissance de l’anglais parlé et écrit» de la part des candidats qui sont appelés à pourvoir deux des huit postes d’agent de perception des sommes dues faisant partie du service des finances. Selon l’arbitre, même si la clientèle anglophone ne représentait pas un fort pourcentage, cette exigence satisfaisait au critère de «nécessité» au sens de l’article 46 de la Charte de la langue française.

Après avoir exprimé différentes approches jurisprudentielles visant à interpréter le critère de «nécessité» contenu à l’article 46 de la Charte de la langue française, l’arbitre a écrit que le texte même de l’article 46 alinéa 5 de la charte associait la notion de «nécessité» à celle de l’«accomplissement de la tâche», ce qui obligeait à considérer tous les aspects de la situation, qu’ils soient qualitatifs ou quantitatifs.

Il a ajouté qu’il n’y avait rien de déraisonnable de la part de l’employeur à imposer une telle exigence.

Requête en révision judiciaire devant la Cour supérieure :

Au soutien de sa requête en révision judiciaire, le syndicat a prétendu que l’arbitre avait erronément interprété les courants jurisprudentiels concernant les critères applicables à l’article 46 de la charte puisque, selon lui, il n’existe pas de controverse jurisprudentielle.

Il a également prétendu que l’arbitre avait repoussé le fardeau de la preuve de sorte qu’il incombait au demandeur, alors que ce dernier a écrit qu’«il ne s’agit pas d’effectuer un contrôle d’opportunité au regard de la décision [de l’employeur] contestée, mais bien de vérifier si elle ne comporte pas un quelconque caractère abusif, déraisonnable ou discriminatoire» (paragr. 36 de la sentence arbitrale).

La Cour supérieure n’a pas retenu les arguments du syndicat et a refusé d’intervenir. Selon elle, la décision de l’arbitre fait partie des issues possibles et raisonnables au regard des faits et du droit.

Requête pour permission d’appeler devant la Cour d’appel :

Le syndicat allègue que :

  • la question tranchée par l’arbitre de griefs est d’intérêt et il s’agit d’un problème d’interprétation du verbe «nécessiter», contenu à l’article 46 de la charte, qui devrait être étudié par la Cour d’appel;
  • l’arbitre a créé une controverse jurisprudentielle et a mal appliqué le critère de «nécessité»;
  • il a opéré un renversement du fardeau de la preuve.

À propos du conflit jurisprudentiel, la Cour déclare :

[9] […] l’argument du conflit jurisprudentiel me semble voué à un échec certain en raison du principe selon lequel l’arbitre de grief n’est pas lié par la règle du stare decisis.

[10] Même si je conviens que la cohérence jurisprudentielle est un objectif pour les tribunaux administratifs à ne pas perdre de vue, il n’en demeure pas moins que l’application de ce principe comporte ses propres limites […].

Au sujet de la question de l’interprétation de l’article 46 de la charte, la Cour s’exprime ainsi :

[11] […] ce n’est pas parce que notre Cour accepterait de se prononcer sur la question d’interprétation proposée […] qu’il ne serait pas possible pour un tribunal d’arbitrage d’entrevoir pour l’avenir un résultat différent de celui énoncé par la Cour à la condition bien entendu que ce résultat fasse partie des issues raisonnables […].

La Cour poursuit en soulignant que l’arbitre n’a pas ménagé ses efforts pour faire l’analyse de la jurisprudence et en tirer des enseignements raisonnables. Elle cite à ce sujet le passage suivant de sa sentence arbitrale, lequel provient lui-même d’un autre décideur, soit l’arbitre Boivin :

Seule l’analyse de faits plus précis peut permettre de décider si la connaissance de l’anglais, dans un poste donné, est nécessaire à l’accomplissement de la tâche. (p. 136)

À cet égard, la Cour est d’avis que la jurisprudence étudiée par ce dernier visait à lui permettre de déterminer si «nécessairement, dans son ensemble», l’usage d’une autre langue, même limitée dans le temps et les occasions était nécessaire pour accomplir de façon efficace les tâches rattachées au poste affiché.

Enfin, quant au renversement du fardeau de la preuve qui aurait été effectué par l’arbitre, la Cour n’a pas retenu cette prétention.

Selon la Cour d’appel, il ne s’agit pas d’un débat pouvant être élevé au rang de question d’intérêt général.

Références

  • Syndicat des fonctionnaires municipaux de Québec (FISA) c. Québec (Ville de), (C.A., 2014-10-31), 2014 QCCA 1987, SOQUIJ AZ-51119310.  À la date de diffusion, la décision n’avait pas fait l’objet de pourvoi à la Cour suprême du Canada.
  • Syndicat des fonctionnaires municipaux de Québec (FISA) et Québec (Ville de) (grief syndical), (T.A., 2013-10-29), SOQUIJ AZ-51018644, 2013EXPT-2232, D.T.E. 2013T-818.  
  • Syndicat des fonctionnaires municipaux de Québec (FISA) c. Ménard (C.S., 2014-05-14), 2014 QCCS 2293, SOQUIJ AZ-51077002, 2014EXP-1954, 2014EXPT-1137, J.E. 2014-1103, D.T.E. 2014T-419.
  • Université de Montréal et Syndicat des employés de l’Université de Montréal (section locale 1244, SCFP – FTQ), (T.A., 1987-01-19), SOQUIJ AZ-87142025, D.T.E. 87T-257, [1987] T.A. 133, Me Jean-Roch Boivin, arbitre.
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