On connaît bien l’article 253 du Code criminel (C.Cr.), en vertu duquel commet une infraction celui qui conduit avec les facultés affaiblies ou encore avec une alcoolémie supérieure à la limite permise. Or, pour certains conducteurs, la consommation d’alcool tout court est simplement interdite. Ainsi, l’article 202.2 du Code de la sécurité routière prévoit que:

Il est interdit aux personnes suivantes de conduire un véhicule routier ou d’en avoir la garde ou le contrôle s’il y a quelque présence d’alcool dans leur organisme:

10 le titulaire d’un permis d’apprenti-conducteur ou d’un permis probatoire, s’il n’a jamais été titulaire d’un permis de conduire autre qu’un permis de conduire autorisant uniquement la conduite d’un cyclomoteur ou autorisant uniquement la conduite d’un tracteur de ferme;

20 la personne âgée de 22 ans ou plus qui est titulaire d’un permis de conduire autorisant uniquement la conduite d’un cyclomoteur ou d’un tracteur de ferme depuis moins de cinq ans;

30 le titulaire d’un permis restreint délivré en vertu de l’article 118 lorsque le permis a été délivré à la suite de la révocation d’un permis probatoire ainsi que le titulaire d’un permis délivré en vertu du quatrième alinéa de l’article 73 ou de l’un des articles 76.1.1, 76.1.3, 76.1.5, 76.1.6, 76.1.8, 76.1.11 ou 76.1.12;

40 la personne âgée de 21 ans ou moins qui est titulaire d’un permis de conduire.

L’interdiction prévue au premier alinéa s’applique également à une personne qui, sans jamais avoir été titulaire d’un permis de conduire autre qu’un permis de conduire autorisant uniquement la conduite d’un cyclomoteur ou autorisant uniquement la conduite d’un tracteur de ferme, conduit un véhicule routier ou en a la garde ou le contrôle.

Voici trois décisions récentes qui illustrent certains aspects liés à l’application de cet article par les tribunaux. La première traite de l’interdiction du «double péril». Dans l’affaire Victoriaville (Ville de) c. René, le conducteur détenait un permis de conduire probatoire. Il a été interpellé par les policiers et, comme son haleine dégageait une odeur d’alcool, il a été soumis à un test de détection à l’aide d’un appareil de détection approuvé (ADA). Les échantillons d’haleine obtenus ont révélé une alcoolémie supérieure à la limite permise. René a été reconnu coupable des infractions prévues aux articles 253 b) et 255 (1) C.Cr.et condamné à payer une amende de 1 000 $ ainsi qu’une suramende de 150 $, en plus de se voir imposer une ordonnance d’interdiction de conduire pour une période de 12 mois. Or, il a aussi été accusé d’avoir contrevenu à l’article 202.2 du Code de la sécurité routière, ce qu’il a contesté, de bon droit. En effet, la juge St-Yves, de la cour municipale, a conclu que le principe de l’interdiction des condamnations multiples, ou res judicata, qui empêche que des déclarations de culpabilité doubles ou multiples soient prononcées sur la base des mêmes événements lorsque les infractions visées ne comportent pas d’éléments supplémentaires ou distincts, s’appliquait en l’espèce. Un arrêt des procédures a été prononcé.

Le cas du Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Boucher-Vachon illustre la difficulté de connaître le moment où l’organisme ne porte plus de trace d’alcool ainsi que celle de le démontrer. Dans cette affaire, la condition «X» inscrite au permis de conduire du défendeur obligeait ce dernier à conduire un véhicule muni d’un dispositif détecteur d’alcool. Son véhicule était donc équipé d’un antidémarreur éthylométrique accrédité par la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ). La veille de son interpellation, le défendeur avait consommé de l’alcool au bar de l’hôtel où il passait la nuit. Le lendemain, avant de quitter pour son travail, il a soufflé dans le dispositif avec succès à deux reprises. Or, il a pu quitter les endroits où il se trouvait, sans contre-indication, avant que, une fois rendu sur l’autoroute, il soit contraint d’immobiliser son véhicule à la suite d’un échec au test d’alcoolémie aléatoire exigé par l’antidémarreur. Il a tenté à deux reprises de redémarrer, mais en vain. Son véhicule en panne a été signalé à la Sûreté du Québec. Rendu sur place, un agent a détecté une odeur d’alcool provenant du défendeur et ce dernier a dû fournir un échantillon d’haleine à l’aide d’un ADA. Il a échoué au test mais, lorsqu’il a essayé de nouveau avec son propre dispositif, il a passé le test avec succès. Or, selon la documentation de la SAAQ, le dispositif détecteur d’alcool empêche le démarrage du véhicule s’il détecte la présence d’alcool dans l’organisme du conducteur. Malgré cela, l’agent lui a remis un constat d’infraction fondé sur le résultat de l’ADA.

Saisi du dossier, le juge de paix magistrat Kouri, de la Cour du Québec, a acquitté le défendeur. Il a retenu que le véhicule du défendeur était muni du seul modèle de détecteur d’alcool autorisé par la SAAQ et que la loi ainsi que la documentation de la SAAQ reconnaissaient que cet instrument servait, tout comme l’ADA, à mesurer le taux d’alcool dans l’organisme d’un conducteur. Ainsi, de dire le juge, on ne pouvait écarter la réaction du dispositif installé dans le véhicule du défendeur au moment des événements alors que sa principale et essentielle fonction est d’empêcher la mise en marche du véhicule dès la détection de la moindre présence d’alcool dans l’organisme du conducteur. Par conséquent, puisque ce dispositif avait permis un redémarrage instantané du véhicule, on pouvait raisonnablement croire à l’absence d’alcoolémie du défendeur.

Enfin, l’affaire Notre-Dame-du-Laus (Municipalité de) c. Lajeunesse est intéressante sous l’angle de la suffisance de la preuve. Le litige portait sur la question de savoir si la seule preuve d’une odeur d’alcool émanant de l’haleine du défendeur était suffisante pour établir sa culpabilité. Il ne faut pas oublier que le texte de l’article 202.2 du Code de la sécurité routière renvoie à «quelque présence d’alcool dans l’organisme». Cela dit, dans notre affaire, le défendeur avait les yeux rouges et son haleine dégageait une odeur d’alcool. Questionné par les policiers sur son état, il leur a répondu avoir consommé de l’alcool au courant de la soirée. Comme les piles de l’ADA étaient à plat, ceux-ci l’ont alors soumis à une série de tests symptomatiques. Ces tests ayant été exécutés avec succès, les policiers ont considéré que la capacité de conduire du défendeur n’était pas affaiblie par l’effet de l’alcool. Toutefois, comme ce dernier était titulaire d’un permis probatoire, ils lui ont remis un constat d’infraction en vertu de l’article 202.2 du code. D’entrée de jeu, le juge Lalande, de la cour municipale, rappelle que, en vertu de l’article 202.3, le policier pouvait avoir recours à l’ADA, mais que ce n’était pas obligatoire et que la poursuite pouvait faire la preuve de la présence d’alcool dans l’organisme par tout moyen. À l’instar de Mont-Tremblant (Ville de) c. Gagné Saindon, le juge a conclu que la preuve d’une haleine dégageant une odeur d’alcool chez le défendeur pouvait constituer une preuve suffisante de la «présence d’alcool dans son organisme» au sens de l’article 202.2 du code puisque, de dire le juge, «l’on ne peut percevoir que ce qui existe» (paragr. 28). Il faut préciser que le juge a considéré que, même si la preuve ne permettait pas de savoir quand ni en quelle quantité le défendeur avait consommé de l’alcool, le fait demeurait que ce dernier avait admis sa consommation.

Références

  • Victoriaville (Ville de) c. René (C.M., 2014-09-30), 2014 QCCM 241, SOQUIJ AZ-51117835, 2014EXP-3483, J.E. 2014-1970.
  • Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Boucher-Vachon (C.Q., 2014-10-09), 2014 QCCQ 9647, SOQUIJ AZ-51116209, 2014EXP-3484, J.E. 2014-1971.
  • Notre-Dame-du-Laus (Municipalité de) c. Lajeunesse (C.M., 2014-10-23), 2014 QCCM 239, SOQUIJ AZ-51117587, 2014EXP-3482, J.E. 2014-1969.  À la date de diffusion, la décision n’avait pas été portée en appel.
  • Mont-Tremblant (Ville de) c. Gagné Saindon (C.M., 2011-11-21), 2011 QCCM 298, SOQUIJ AZ-50806651.
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