L’histoire de Guy Turcotte, ce cardiologue accusé du meurtre au premier degré de ses deux enfants, n’a pas fini de faire couler beaucoup d’encre. On se souviendra que, en juillet 2011, un jury a prononcé un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux. Depuis détenu à l’Institut Philippe-Pinel, l’accusé Turcotte a été libéré le 12 décembre 2012, la commission d’examen ayant conclu que la sécurité du public ne commandait plus qu’il soit gardé dans un établissement hospitalier. Le 13 novembre 2013, la Cour d’appel a ordonné la tenue d’un nouveau procès (2013 QCCA 1916). Turcotte s’est alors constitué prisonnier et a été détenu jusqu’au jugement prononcé par la Cour supérieure, qui a ordonné sa remise en liberté (2014 QCCS 4285). Rappelant qu’«il ne faut pas confondre non plus les principes qui guident la mise en liberté provisoire avec l’issue du procès» (paragr. 82), le juge André Vincent a apprécié les quatre facteurs énumérés à l’alinéa 515 (10) c) du Code criminel, à savoir si l’accusation paraît fondée, la gravité de l’infraction, les circonstances de sa perpétration et si elle implique une longue peine d’emprisonnement; il a conclu que le public raisonnablement informé des faits de la cause et du droit applicable ne perdrait pas confiance dans l’administration de la justice si l’accusé Turcotte retrouvait sa liberté assortie de conditions en attendant son procès. Cette décision a été vertement critiquée par certains, qui en ont fait leurs choux gras dans les journaux et autres médias. Il y a quelques jours, la Cour d’appel (2014 QCCA 2190) a rejeté la requête en révision de ce jugement, confirmant ainsi la décision du juge Vincent d’autoriser l’accusé Turcotte à rester en liberté sous certaines conditions en attendant la tenue de son nouveau procès.

La personne raisonnable

Seul le critère de la nécessité de la détention de l’accusé Turcotte pour ne pas miner la confiance du public dans l’administration de la justice a été examiné. D’entrée de jeu, citant R. c. Coates la Cour a rappelé la déférence qu’elle devait exercer à l’égard de la décision du juge de première instance en matière de détermination des faits. Cela dit, elle n’a retenu aucun des moyens proposés par la poursuite. En outre, la Cour a considéré que l’interprétation qu’avait faite le juge de la Cour supérieure, en première instance, de la notion de «personne raisonnable» était sans faille. Elle a rejeté l’argument de la poursuite, qui soutenait que le juge avait haussé le standard de la «personne raisonnable» à celui de juriste, précisant que le public informé est celui qui est «en mesure de se former une opinion éclairée, en pleine connaissance des faits de la cause et du droit applicable, et qui n’est pas mû par la passion, mais par la raison (paragr. 35). La Cour a retenu que, en l’espèce, le «public informé» savait que l’accusé bénéficiait de la présomption d’innocence; que, pour le déclarer coupable, il fallait démontrer qu’il avait eu l’intention de commettre le meurtre reproché; qu’il avait une défense fondée sur les troubles mentaux; qu’il jouissait de la protection constitutionnelle de ne pas être privé de sa liberté sans juste cause; qu’il tenait pour acquis que sa détention n’était pas nécessaire pour assurer sa présence au procès ni pour la protection du public; et que, s’il était déclaré coupable, il purgerait la peine imposée.

La revue de presse

Pour étayer son point de vue quant au «public informé», la poursuite a déposé une revue de presse comprenant 21 coupures de journaux parus à la suite du jugement de la Cour supérieure, dont certains articles, selon ses dires, exprimaient l’opinion d’un «public informé». Or, à cela, la Cour a répondu : «La lecture des coupures de presse montre à quel point il est dangereux de recourir à ce mode de preuve. On y retrouve des opinions diverses, plus ou moins nuancées, plus ou moins objectives, plus ou moins mesurées, plus ou moins superficielles. Plusieurs exposent des faits inexacts ou ne rapportent pas ceux qui sont essentiels. La plupart taisent les principes juridiques essentiels à la prise de décision en matière de mise en liberté. Certaines opinions attisent la colère et dénaturent le débat. Peu rapportent fidèlement les faits et rappellent correctement les principes applicables. Globalement, il faut convenir qu’elles ne satisfont pas au critère de la personne raisonnable définie par la jurisprudence» (paragr. 68). Pour la Cour : « En recourant à des articles de journaux pour établir le critère de la confiance du public, l’appelante tente de laisser à l’humeur des opinions un rôle que le législateur a confié au juge. Sa proposition détourne de ses fins une évaluation fondée sur des valeurs fondamentales de la Charte, sur des critères établis par la loi et sur une analyse rigoureuse et pondérée de toutes les circonstances» (paragr. 69).

La Cour n’a pas été tendre à l’endroit de la presse. Comme le dit si bien l’expression : «chacun son métier, les vaches seront bien gardées».

Références

  • c. Turcotte (C.A., 2013-11-13), 2013 QCCA 1916, SOQUIJ AZ-51017864, 2013EXP-3732, J.E. 2013-2027, [2013] R.J.Q. 1743.
  • Turcotte c. R. (C.S., 2014-09-12), 2014 QCCS 4285, SOQUIJ AZ-51107443, 2014EXP-2861, J.E. 2014-1635.
  • c. Turcotte (C.A., 2014-12-03), 2014 QCCA 2190, SOQUIJ AZ-51129980.
  • R. c. Coates (C.A., 2010-05-11), 2010 QCCA 919, SOQUIJ AZ-50635368, 2010EXP-1713, J.E. 2010-935.
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