Plusieurs décisions intéressantes ont été rendues au cours des 10 dernières années en matière de harcèlement psychologique au travail, et 2014 ne fait pas exception. La plupart des décisions de la Commission des relations du travail, des arbitres de griefs et des tribunaux judiciaires relatifs à des recours en vertu de l’article 123.6 de la Loi sur les normes du travail (L.N.T.) se sont penchées sur l’existence ou non de harcèlement psychologique. Elles ont analysé la preuve afin de déterminer si les éléments constitutifs de la définition de «harcèlement psychologique», énoncés à 81.18 L.N.T., étaient établis.

 Dans ce billet, je m’écarte de cette question, par ailleurs fondamentale, pour aborder brièvement d’autres sujets qui ont attiré mon attention.

La chose jugée

C’est un sujet qui a fait couler beaucoup d’encre et qui risque d’en faire couler encore! La question de la chose jugée se pose essentiellement lorsque la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) ou la Commission des lésions professionnelles (CLP) a déjà rendu une décision relativement aux événements qui sont à l’origine de la plainte ou du grief pour harcèlement psychologique.

Durocher c. Commission des relations du travail : Il n’était pas déraisonnable pour la CRT de conclure à l’irrecevabilité de la plainte pour cause de chose jugée. Dans une «décision parfaitement motivée» (paragr. 18), la CLP avait conclu que la salariée n’avait pas subi de harcèlement psychologique dans son milieu de travail. Selon le tribunal, il était alors «inutile de refaire tout le débat» (paragr. 18) devant la CRT. À noter que la requête pour permission d’appel de ce jugement a été accueillie.

Duclos et Industrielle Alliance, assurance et services financiers inc. : Seule la CRT détient la compétence pour déterminer les cas où il y a eu harcèlement psychologique au sens de l’article 81.18 L.N.T. Prétendre qu’une plainte fondée sur l’article 123.6 L.N.T. est irrecevable au motif de chose jugée parce que la CSST a conclu, en dehors de son champ de compétence, à l’absence de preuve de harcèlement psychologique revient à commettre une grave erreur de droit.

La prescription

Que doit faire l’arbitre pour trancher une objection fondée sur la prescription d’un grief pour harcèlement psychologique?

La réponse de trouve dans Syndicat des professionnelles et professionnels municipaux de Montréal c. Gravel : «1) vérifier si le grief ou la lettre expliquant les différentes manifestations de harcèlement psychologique indiquaient au moins un événement se situant dans la période critique de 90 jours précédant le dépôt du grief, 2) s’il y en avait, vérifier sommairement si les faits décrits pouvaient en apparence constituer des manifestations de harcèlement psychologique sur lesquelles l’enquête au mérite pourrait ensuite faire la lumière, une fois l’objection préliminaire tranchée et 3) motiver sa décision [si l’arbitre retient ou rejette] tel ou tel événement allégué durant la période de 90 jours» (paragr. 84).

L’intérêt juridique

Aux termes de l’article 69 du Code du travail, le syndicat «peut exercer tous les recours que la convention collective accorde à chacun des salariés qu’[il] représente sans avoir à justifier d’une cession de créance».

Syndicat des constables spéciaux du Gouvernement du Québec et Québec (Ministère de la Sécurité publique) (P.C.) : Le syndicat a déposé un grief à la suite du suicide d’un salarié qui serait attribuable à une situation de harcèlement psychologique survenue au travail. L’objection à l’arbitrabilité du grief a été rejetée. Le syndicat a l’intérêt juridique requis.

L’intervention d’un tiers

Une situation particulière…

Mercier et Sherbrooke (Ville de) : Une employée cadre se plaint d’avoir subi du harcèlement psychologique de la part de huit employés syndiqués. Ceux-ci et leur syndicat ont le droit d’intervenir à l’occasion de l’audition de la plainte devant la CRT. Compte tenu de la position adoptée par l’employeur – il a imposé des mesures disciplinaires aux prétendus harceleurs –, les requérants semblent être les seuls à vouloir contester l’existence même du harcèlement psychologique. La CRT précise les modalités de leur intervention.

 La réparation du préjudice

En vertu de l’article 123.15 L.N.T., la CRT et l’arbitre de griefs détiennent de larges pouvoirs en matière de réparation du préjudice lorsque le recours pour harcèlement psychologique est accueilli. En règle générale, ils ordonnent le paiement d’indemnités afin de compenser le préjudice matériel ou moral. Plus rarement, on voit des ordonnances de type mandatoire.

Commission scolaire des Hautes-Rivières et Syndicat du personnel de soutien des Hautes-Rivières (Ginette Leblanc) : L’arbitre a recommandé à l’employeur de mettre en place des activités de sensibilisation et de formation en matière de harcèlement psychologique à l’intention de l’ensemble de son personnel. Dans l’éventualité où il ne donnerait pas suite à cette recommandation dans le délai imparti, une somme additionnelle de 10 000 $ à titre de dommages punitifs devra être versée à la plaignante. Il est à noter que cette sentence arbitrale a été portée en révision judiciaire (2014-03-21 (C.S.), 755-17-001910-143).

Rio Tinto Alcan, usine Alma c. Morency : L’arbitre a ordonné «la mise en place de voies et moyens pour rendre exempts de tout risque de harcèlement psychologique la gestion et le traitement des demandes de congé-maladie ou d’arrêt de travail» (paragr. 2). En révision judiciaire, la Cour supérieure a estimé qu’une telle ordonnance imposait une obligation de résultat (et non de moyens) à l’employeur. Elle a également conclu que, à sa face même, l’ordonnance n’était pas susceptible d’exécution. À noter que la requête pour permission d’appel de ce jugement a été accueillie.

Références

  • Durocher c. Commission des relations du travail (C.S., 2014-01-27), 2014 QCCS 237, SOQUIJ AZ-51039613, 2014EXP-696, 2014EXPT-381, J.E. 2014-359, D.T.E. 2014T-147. Requête pour permission d’appeler accueillie (C.A., 2014 04-10), 2014 QCCA 761, SOQUIJ AZ-51064312, 2014EXP-1382, 2014EXPT-776).
  • Duclos et Industrielle Alliance, assurance et services financiers inc. (C.R.T., 2014-07-31), 2014 QCCRT 0423, SOQUIJ AZ-51099036, 2014EXPT-1562, D.T.E. 2014T-601.
  • Syndicat des professionnelles et professionnels municipaux de Montréal c. Gravel (C.S., 2014-04-28), 2014 QCCS 2002, SOQUIJ AZ-51072814, 2014EXP-1669, 2014EXPT-982, J.E. 2014-944, D.T.E. 2014T-367.
  • Syndicat des constables spéciaux du Gouvernement du Québec et Québec (Ministère de la Sécurité publique) (P.C.), (T.A., 2014-06-20), 2014 QCTA 595, SOQUIJ AZ-51094218, 2014EXPT-1460, D.T.E. 2014T-557.
  • Mercier et Sherbrooke (Ville de), (C.R.T., 2014-05-02), 2014 QCCRT 0239, SOQUIJ AZ-51073749, 2014EXPT-1041, D.T.E. 2014T-390.
  • Commission scolaire des Hautes-Rivières et Syndicat du personnel de soutien des Hautes-Rivières (Ginette Leblanc), (T.A., 2014-02-24), 2014 QCTA 85, SOQUIJ AZ-51048724, 2014EXPT-518, D.T.E. 2014T-190.
  • Rio Tinto Alcan, usine Alma c. Morency (C.S., 2014-09-10), 2014 QCCS 4601, SOQUIJ AZ-51112141, 2014EXP-3428, 2014EXPT-1989, J.E. 2014-1937, D.T.E. 2014T-767. Requête pour permission d’appeler accueillie (C.A., 2014-12-11), 2014 QCCA 2278, SOQUIJ AZ-51134015).
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