Je vous ai déjà entretenus des conséquences des mots que l’on dit ou que l’on écrit (voir les billets Tout ne se dit pas au nom de l’Art et L’affaire Dulac : suite et fin).

Cette fois, je voudrais attirer votre attention sur le phénomène nouveau de la cyberintimidation, dont R. c. Lafortune constitue une belle illustration. Dans cette affaire, un seul accusé en paiera le prix et, pourtant, plusieurs personnes sont à blâmer. Il est à noter que cette affaire a été portée en appel, 2015-02-05 (C.S.), 500-36-007490-157.

L’histoire a commencé lorsqu’une cliente d’un concessionnaire d’automobiles qui cherchait à se faire rembourser une somme de 500 $ qu’elle avait laissée en dépôt s’est adressée à un ami afin d’obtenir son assistance. Celui-ci s’est rendu sur les lieux et a réalisé une bande vidéo ou on le voit discuter vivement avec le directeur des ventes, réclamant le remboursement de la somme en question sous menace de diffuser la bande vidéo et de la rendre ainsi accessible aux 25 000 personnes qui étaient ses adeptes sur les médias sociaux. Le concessionnaire a accepté de remettre le dépôt, mais l’ami en question a quand même diffusé sa bande vidéo sur YouTube en y mentionnant notamment l’adresse courriel du directeur des ventes, qui, dès lors, a reçu une pluie de courriels et d’appels téléphoniques de la part de certains adeptes, appelés communément des «trolls», contenant toutes sortes de menaces. Parmi ces courriels se trouvait celui envoyé par l’accusé, qui, dans un langage cru, projetait de faire exploser l’entreprise et de s’en prendre à la famille du directeur.

La suite des choses démontre le sérieux de telles actions. Le lendemain, le concessionnaire a été incendié. Le directeur des ventes a par la suite perdu son emploi. Il gagnait alors plus de 100 000 $ annuellement et n’a pu se trouver un autre emploi dans le domaine. Il a dû déménager avec sa famille et inscrire ses enfants à une autre école. Il doit toujours prendre des médicaments pour dormir. Quant à l’accusé, un jeune homme de 21 ans sans antécédents judiciaires, il a été reconnu coupable sous 2 chefs de menaces à la personne et aux biens (art. 264.1 (1) a) et (2) b) et 264.1 (1) b) et (3) b) du Code criminel). Il a expliqué qu’il ne pensait pas qu’il y aurait de telles conséquences à son geste et il a rédigé une lettre d’excuses à la victime.

Appelé à se prononcer sur la peine, le juge Denis Laberge a rejeté la suggestion de la défense d’absoudre conditionnellement l’accusé. Il analyse ainsi l’affaire: «Je considère effarants et incroyables les dommages qui peuvent être causés par des gens sans scrupule, qui se croient autorisés à utiliser les services d’internet pour détruire ainsi la réputation de personnes» (paragr. 23). Il décrit les «trolls» comme des personnes qui se permettent, cachées derrière leur ordinateur, de souscrire et de participer à des opérations de salissage, sans réfléchir aux conséquences de leurs actes. Pour le juge, il s’agit bel et bien d’une situation de cyberintimidation qu’il faut dénoncer avant qu’elle ne devienne — si ce n’est déjà fait — un véritable fléau pouvant causer de graves préjudices à des personnes et à des organisations. Ainsi, bien qu’il reconnaisse l’intérêt véritable de l’accusé à bénéficier d’une absolution, le juge Laberge retient la nécessité de dénoncer le comportement de ceux qui pratiquent la cyberintimidation et conclut dès lors que l’intérêt public doit primer.

Par ailleurs, le juge reconnaît qu’en théorie l’accusé ne devrait pas être le seul à payer pour les dommages, que le réalisateur de la bande vidéo est le premier à blâmer et que des dizaines de trolls ont expédié des courriels mais n’ont pas été retrouvés. Toutefois, cela ne change en rien la gravité du geste personnel de l’accusé ni la violence des mots utilisés, lesquels étaient de nature à faire craindre. Le juge en conclut que seule une peine d’incarcération est en mesure d’accorder la priorité aux objectifs de dénonciation et de dissuasion générale, en particulier chez les jeunes. C’est ainsi que ce jeune homme reconnu coupable de menaces par cyberintimidation a été condamné à 40 jours de prison à purger de façon discontinue, soit à raison de 2 jours par semaine.

Dans ce même ordre d’idées, je vous invite à prendre connaissance de R. c. Le Seelleur. L’affaire est simple. En février 2014, en réaction à un article de journal relatant la possibilité d’élections, une jeune étudiante âgée de 19 ans a écrit sur le réseau social Twitter qu’il était bon que la première ministre du Québec de l’époque déclenche des élections avant qu’elle-même ne la fasse exploser. Bien mal lui en prit puisque des policiers ont rapidement retrouvé l’origine du message et sont intervenus en conséquence. La jeune fille a expliqué qu’elle était frustrée et fâchée lorsqu’elle a écrit ces propos et qu’elle n’avait pas l’intention de mettre à exécution ses menaces. Cela n’a pas suffi à l’innocenter des accusations d’avoir proféré des menaces. Le juge Poulin, de la Cour du Québec, a reconnu que celle-ci avait exprimé des regrets lorsque les policiers l’avaient appelée et qu’elle n’avait pas l’intention de mettre à exécution ses menaces. Cependant, de préciser le juge, au moment où elle a envoyé ce message, elle avait l’intention d’être prise au sérieux et elle ne pouvait prétendre qu’elle ne serait pas lue, la preuve ayant démontré que plus de 100 personnes avaient accès à son compte Twitter. 

Références

  • R. c. Lafortune (C.M., 2015-01-16), 2015 QCCM 1, SOQUIJ AZ-51141424, 2015EXP-395, J.E. 2015-202.
  • R. c. Le Seelleur (C.Q., 2014-12-12), 2014 QCCQ 12216, SOQUIJ AZ-51135054, 2015EXP-309.
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