À moins de vivre déconnectés de la civilisation moderne, peu de gens auront échappé au battage médiatique entourant le règlement du «recours collectif relatif à la mémoire vive», visant des fabricants de mémoire vive qui auraient fixé le prix de celle-ci entre 1999 et 2002.

Non seulement celui-ci a-t-il fait l’objet d’articles dans de nombreux médias traditionnels (par exemple dans La Presse et le Journal de Montréal) et électroniques (CBC News), mais il profite en outre d’une campagne publicitaire sans précédent sur Internet avec la mise en ligne du site cestmonargent.ca, où le public peut aller faire sa réclamation. Par exemple, pendant quelques jours, tous les espaces publicitaires de LaPresse.ca y étaient dédiés, et les réseaux sociaux sont également mis à partie (voir @cestmonargent.ca et Facebook.com/cestmonargentca).

Cette campagne vise évidemment à joindre le plus grand nombre possible de consommateurs afin de les informer du règlement et de les inciter à produire une réclamation s’ils sont visés par les termes de l’entente. Or, comme il s’agit d’un règlement de près de 80 millions de dollars et qu’il touche toute personne qui, du 1er avril 1999 au 30 juin 2002, a acheté de la mémoire vive ou un appareil électronique en contenant (un ordinateur, une imprimante, une console de jeu vidéo, un lecteur de DVD, un lecteur de MP3, etc.), le bassin de membres est imposant…

Une campagne de publicité d’une telle envergure est sans précédent et aura sans aucun doute un effet bénéfique sur le taux de réclamation. Il ne faut pas perdre de vue qu’en matière de recours collectif, lorsque des sommes d’argent peuvent être réclamées par les membres du groupe, il est important de tout mettre en œuvre afin que ceux-ci puissent toucher l’indemnité à laquelle ils ont droit. À quoi bon un règlement si en bout de piste peu de membres produisent une réclamation?

C’est la conclusion à laquelle arrivait le juge Pierre-C. Gagnon dans son jugement d’octobre 2014 qui entérine la transaction et le protocole de distribution :

[104] Les avocats de la demande ont confié un mandat préliminaire à Brad, une agence de publicité, à qui il a été demandé de proposer un plan de communication destiné aux membres des recours collectifs, à travers le Canada, en vue de les inciter à produire une réclamation.

[105] M. Patrick Gervais, vice-président de Brad, témoigne à l’audience du 5 septembre 2014. Il propose une approche fort novatrice, probablement inédite en matière de recours collectifs au Canada.

[106] M. Gervais énonce un objectif: recueillir 300 000 réclamations par autant de membres. Selon les statistiques de l’industrie, ceci requiert qu’entre 15 000 000 et 18 000 000 de Canadiens prennent conscience de la possibilité de réclamer une compensation dans le cadre de ces recours collectifs et ce, durant une période de 90 jours (qui devra vraisemblablement être portée à 120 jours, dans le sillage du présent jugement).

[107] Brad entend tenir compte que les personnes physiques qui ont acquis des produits avec DRAM entre 1999 et 2002, ont vieilli d’une quinzaine d’années depuis. Ce sont des hommes (surtout) et des femmes dont l’âge se situe présentement entre 35 et 54 ans, en majorité.

[108] Brad propose quatre plans (d’intensité et de coûts différents), à déployer durant trois mois à partir de janvier 2015. Chaque plan combine le recours à la télévision et à l’Internet, ajoutant (en défrayant un supplément) certaines options, dont le recours aux réseaux sociaux et aux blogues.

[109] Brad souhaite disposer du budget pour certaines audaces publicitaires en vue de capter l’attention du grand public, et donc des membres.

[110] Il faut opter parmi les divers plans pour lesquels les budgets vont de 1 295 000 $ à 4 610 000 $.

[111] À ce stade, la proposition de Brad est nécessairement sommaire. Même en supposant l’adoption de l’un ou l’autre plan, il va falloir encore raffiner un scénario précis et approuver le budget en conséquence.

[112] Il est ici question de dépenser des montants à même ceux détenus en fidéicommis pour les membres. Ce qu’on dépensera en publicité ne sera plus disponible pour la distribution aux membres eux-mêmes.

[113] Tout de même, le présent dossier se prête à une initiative publicitaire d’envergure, de crainte que les membres (et en particulier, les consommateurs finaux) ne réalisent pas qu’ils ont droit à compensation, ou encore ne fassent pas l’effort de produire une réclamation.

[114] Le Tribunal considère que, pour atteindre sa finalité, un recours collectif fructueux doit viser l’indemnisation adéquate du plus grand nombre possible de membres, même quand ceux-ci se chiffrent par centaines de milliers. Des critiques acerbes se font entendre quand une faible proportion des membres se prévaut des montants disponibles pour honorer les réclamations. Certains vont jusqu’à prétendre que les recours collectifs ne servent qu’à enrichir les avocats. Il en va de la crédibilité publique du processus judiciaire que constituent les recours collectifs.

[115] Se plaçant du point de vue des membres, le Tribunal voit mal que ceux-ci se plaignent que plus ou moins 5 % des montants disponibles soient dépensés pour les rejoindre, les informer que des indemnités leur sont disponibles et les inciter à accomplir des formalités raisonnablement simples à cet égard.

[116] Le Tribunal approuve le principe du Plan de communication et autorise les avocats de la demande à poursuivre les négociations avec Brad.

En effet, que ce soit au moyen d’un jugement qui donne raison au représentant ou dans le contexte d’un règlement approuvé par le tribunal, la même question se pose toujours lorsque vient le temps de distribuer une somme d’argent: comment faire pour joindre les centaines, voire les milliers de membres d’un recours collectif afin qu’ils puissent réclamer leur dû? Le Code de procédure civile prévoit, aux articles 1025 et 1030, qu’un avis doit être donné aux membres du groupe dans le cas d’une transaction ou d’un jugement final. La plupart du temps, ces avis font l’objet d’une publication dans les journaux ou les revues et entraînent parfois des résultats mitigés.

Aussi, si les procureurs qui pilotent le recours détiennent les coordonnées de certains membres parce que ceux-ci, par exemple, ont communiqué avec le cabinet afin d’obtenir des renseignements ou se sont inscrits par l’entremise d’un site Internet, il est alors possible de les joindre pour les prévenir qu’ils peuvent réclamer une somme d’argent. Mais qu’en est-il des autres membres, ceux qui n’auraient pas pris connaissance des avis ni reçu de lettre ou de courriel?

Vu l’ampleur des moyens déployés, il sera intéressant de voir combien de personnes auront réclamé une indemnité dans le contexte de ce règlement qui, de fait, touche des centaines de milliers de citoyens canadiens. Et vous, avez-vous réclamé votre argent?

Ce billet a été rédigé avec la collaboration de Geneviève Gélinas.

Référence

Option Consommateurs c. Infineon Technologie, a.g. (C.S., 2014-10-14), 2014 QCCS 4949, SOQUIJ AZ-51116866.

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