Une bombe ambulante! C’est le qualificatif donné par l’arbitre de griefs Louise Viau aux véhicules qui font le transport d’hydrogène liquide et gazeux. L’employeur, une filiale d’une entreprise américaine située à Magog, en fait la distribution aux États-Unis. Il a installé sur ses camions le système de caméras DriveCam.

Au bénéfice des profanes comme moi, il s’agit d’un système de caméras installées sur un véhicule et dans son habitacle qui permet de capter en permanence les sons et les images des chauffeurs, qui travaillent généralement en équipes de deux. Cependant, ce système n’enregistre ceux-ci que s’il y a un incident déclencheur. Si c’est le cas, les huit secondes précédant l’incident et les quatre secondes le suivant sont enregistrées et transmises aux analystes de l’entreprise fabriquant les caméras DriveCam, lesquels font ensuite rapport à l’employeur et lui font des propositions afin d’améliorer la formation des chauffeurs.

Y a-t-il violation des droits au respect de la vie privée et à des conditions de travail justes et raisonnables des chauffeurs de camion protégés par les articles 5 et 46 de la Charte des droits et libertés de la personne? C’est la question soumise par le syndicat à l’arbitre de griefs Louise Viau dans l’affaire Teamsters Québec, section locale 106 et Linde Canada ltée. Le syndicat voyait également poindre à l’horizon le spectre de l’imposition de mesures disciplinaires en cas de manquements aux politiques de l’employeur.

La décision

L’arbitre de griefs mentionne que l’expectative de vie privée d’un chauffeur de camion transportant des matières dangereuses et de son coéquipier, qui occupe le siège du passager, est faible puisqu’il s’agit d’un lieu de travail à la vue du public. Elle cite plusieurs décisions arbitrales et constate une réticence chez les arbitres à permettre l’installation de caméras de surveillance constamment braquées sur les salariés.

Ici, l’arbitre de griefs met l’accent sur la nature des activités de l’employeur, qui fabrique et distribue des matières dangereuses. Elle insiste sur l’obligation de celui-ci d’assurer la sécurité de ses travailleurs et du public, laquelle commande des règles nettement plus strictes relativement à la conduite sécuritaire des véhicules que pour beaucoup d’autres entreprises de camionnage. Le but poursuivi par l’installation du système DriveCam est un objectif de prévention.

De plus, même si les caméras du système filment de façon continue tout ce qui se passe, aussi bien dans le véhicule qu’à l’extérieur de celui-ci, l’employeur n’exerce pas une surveillance constante de la prestation de travail de ses chauffeurs, car seules les images captées au moment d’un incident déclencheur relié à la conduite du véhicule seront enregistrées et analysées.

D’autre part, conformément à la jurisprudence arbitrale, le risque pour les chauffeurs de subir une mesure disciplinaire pour une violation des règles de l’entreprise ne constitue pas une violation de leur droit à des conditions de travail justes et raisonnables s’ils sont conscients du fait que leur conduite peut être filmée et que l’employeur se réserve le droit d’utiliser les enregistrements à des fins disciplinaires.

En conséquence, il y a une atteinte minimale au droit à la vie privée des chauffeurs qui est justifiée notamment par le fait que ceux-ci adopteront une conduite plus sécuritaire dans l’exécution de leur travail. Il ne s’agit pas non plus d’une condition de travail déraisonnable.

Je vous invite à prendre connaissance de cette décision très bien étayée et qui fait une revue de la jurisprudence récente sur le sujet en soulignant les distinctions nécessaires.

Références

  • Teamsters Québec, section locale 106 et Linde Canada ltée (grief syndical), (T.A., 2014-10-24), 2014 QCTA 943, SOQUIJ AZ-51127869, 2015EXP-172, 2015EXPT-88, D.T.E. 2015T-29. Voir aussi sur le même sujet l’affaire BFI Canada Inc. and Teamsters, Local Union 213 (B.C. L.A., 2012-06-11).
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