Ayant été accusé de possession simple de marijuana, un poseur de revêtements souples, compagnon, s’est vu refuser l’accès à un chantier de construction d’un centre de détention par le ministère de la Sécurité publique à la suite d’une enquête de sécurité. Le Ministère estimait que l’accusation de possession simple de marijuana représentait un risque pour la sécurité de l’établissement de détention.

Malgré les démarches de l’employeur afin de connaître les motifs de ce refus d’accès, cet employé de la construction a été privé d’environ 200 heures de travail.

La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a déposé un recours, alléguant que les défendeurs, soit le Ministère, la Société immobilière du Québec, qui avait procédé aux appels d’offres, et l’employeur, avaient compromis le droit du plaignant d’être traité en toute égalité sans discrimination fondée sur les antécédents judiciaires, réels ou perçus, le tout, en contravention de l’article 18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne.

Il s’agit de l’affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Québec (Ministère de la Sécurité publique).

Plusieurs questions juridiques se posaient ici, et elles sont énoncées plus loin dans ce billet. Mais j’attire immédiatement votre attention sur la question suivante : est-ce que l’article 18.2 de la charte peut protéger une personne accusée d’une infraction pénale ou criminelle et qui n’a pas été trouvée coupable?

Cette question est de première importance puisque, comme le souligne le Tribunal des droits de la personne, la Cour suprême du Canada n’a jamais analysé l’article 18.2 de la charte directement sous cet angle même si elle a, en trois occasions (Therrrien (Re); Montréal (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Maksteel Québec inc.), clarifié, en regard des faits qui lui étaient présentés, certaines caractéristiques propres à l’article 18.2 de la charte.

1) L’article 18.2 de la charte s’applique-t-il à une autre personne que l’employeur et, si oui, peut-il protéger une personne accusée d’une infraction pénale ou criminelle et qui n’a pas été trouvée coupable?

L’article 18.2 de la charte peut s’appliquer à une autre personne que l’employeur par l’utilisation du terme «Nul» au début du libellé de l’article 18.2 de la charte. La décision du Ministère a réellement empêché le plaignant d’occuper son emploi chez son employeur. Il a donc «autrement pénalisé» le plaignant dans le contexte de l’emploi qu’il occupait pour l’employeur au sens de l’article 18.2 de la charte.

D’autre part, la protection de l’article 18.2 de la charte ne bénéficie pas uniquement à la personne déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle, mais également à celle qui est accusée et non déclarée coupable. Il faut faire l’analyse de la question en tenant compte des principes d’interprétation de la charte. Compte tenu de la présomption d’innocence de l’article 33 de la charte, l’interprétation large et libérale de l’article 18.2 de la charte implique qu’une personne qui n’est qu’au début du processus judiciaire ne devrait pas être ostracisée et privée de son droit à l’égalité dans l’emploi.

Cette personne ne doit pas être congédiée ou privée d’un travail à la suite d’une accusation pénale ou criminelle sans lien avec l’emploi.

2) L’infraction de possession simple de marijuana avait-elle un lien avec l’emploi?

Si l’établissement carcéral avait été opérationnel, l’analyse de la preuve aurait été différente, selon le Tribunal. Ici, il s’agit d’un chantier de construction.

Même si le Ministère a établi la problématique de la drogue en milieu carcéral, il n’a établi aucun lien direct entre l’emploi du plaignant et l’accusation.

Le Tribunal souligne également que, informé de l’accusation criminelle, le Ministère n’a fait aucune enquête ou vérification additionnelle sur le plaignant.

3) Qui est responsable des dommages causés au plaignant?

Seul le Ministère connaissait la raison pour laquelle l’accès au chantier avait été refusé. Ni la Société ni l’employeur n’ont été informés des motifs du Ministère.

Le Ministère a contrevenu à l’article 18.2 de la charte, étant responsable d’avoir pénalisé le plaignant dans le contexte de son emploi du seul fait d’une accusation portée contre lui alors que celle-ci n’avait aucun lien avec son emploi.

4) Quel est le montant des dommages?

Le Ministère a été condamné à payer au plaignant la somme de 13 205,04 $, soit 6 705,04 $ pour compenser le nombre d’heures de travail dont il a été privé à l’égard de ce projet et 6 500 $ accordés à titre de compensation pour le préjudice moral subi.

Références

  • Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Québec (Ministère de la Sécurité publique), (T.D.P.Q., 2015-04-28), 2015 QCTDP 8, SOQUIJ AZ-51177516.  À la date de diffusion, la décision n’avait pas été portée en appel.
  • Therrien (Re), (C.S. Can., 2001-06-07), 2001 CSC 35, SOQUIJ AZ-50086978, J.E. 2001-1178, [2001] 2 R.C.S. 3.
  • Montréal (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), (C.S. Can., 2008-08-01), 2008 CSC 48, SOQUIJ AZ-50505405, J.E. 2008-1536, D.T.E. 2008T-632, [2008] 2 R.C.S. 698.
  • Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) Maksteel Québec inc. (C.S. Can., 2003-11-14), 2003 CSC 68, SOQUIJ AZ-50206959, J.E. 2003-2125, D.T.E. 2003T-1124, [2003] 3 R.C.S. 228.
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