Le 8 juin dernier, le juge Riordan, de la Cour supérieure, a rendu un jugement historique (en anglais) en accueillant en partie deux recours collectifs intentés contre les défenderesses, les compagnies canadiennes de cigarettes. Le premier recours a été exercé au nom des personnes qui sont ou qui ont été victimes d’un cancer ou qui souffrent d’emphysème après avoir inhalé directement de la fumée de cigarette, et le second, au nom des personnes qui sont ou qui ont été dépendantes de la nicotine contenue dans les cigarettes fabriquées par ces compagnies. Mon billet ne sera pas un résumé des 276 pages de cette décision, mais un compte rendu des différentes questions soulevées par les requérants dans ces deux recours.

Tout d’abord, le juge a conclu que les défenderesses ont fabriqué et mis en marché un produit dangereux et nocif pour la santé des consommateurs. Ces dernières connaissaient les risques et les dangers associés à la consommation de la cigarette, et ce, bien avant la période couverte par les deux recours, soit de 1950 à 1998, année où le recours collectif leur a été signifié. Par contre, les requérants n’ont pas prouvé que les défenderesses avaient sciemment mis sur le marché un produit qui crée une dépendance et qu’elles ont fait en sorte de ne pas utiliser les parties du tabac comportant un taux de nicotine tellement bas qu’il aurait pour effet de mettre fin à la dépendance d’une bonne partie des fumeurs. Par ailleurs, il n’a pas été prouvé que les défenderesses ont mis sur pied des stratégies de marketing véhiculant de fausses informations sur les caractéristiques du bien vendu.

L’une des parties importantes du jugement porte sur le manquement des défenderesses à leur devoir d’information concernant les risques et les dangers associés à leurs produits (art. 1468 et ss. du Code civil du Québec (C.C.Q.)). En fait, l’industrie a adhéré à la politique du silence sur ces questions. En choisissant de ne pas informer les autorités de la santé publique ni le public directement de ce qu’elles savaient, les défenderesses ont fait passer le profit au détriment de la santé de leurs clients. Dans ces circonstances, elles ont manqué à l’obligation générale de ne pas causer de préjudice à autrui énoncé à l’article 1457 C.C.Q. Par ailleurs, les défenderesses ont conspiré entre elles pour maintenir un front commun visant à empêcher que les utilisateurs de leurs produits ne soient informés des dangers inhérents à leur consommation. En poursuivant cette collusion pendant de nombreuses décennies, elles ont participé à un fait collectif fautif qui a causé un préjudice, engageant ainsi leur responsabilité solidaire.

D’autre part, les défenderesses ont contrevenu à l’article 228 de la Loi sur la protection du consommateur en omettant d’informer les consommateurs des risques et des dangers associés à leurs produits. Quant à l’article 219 de la loi, il prévoit qu’aucun commerçant ou fabricant ne peut, par quelque moyen que ce soit, faire une représentation fausse ou trompeuse à un consommateur. Comme certaines publicités des défenderesses donnent l’impression que la cigarette n’est pas nocive pour la santé et que cela ne correspond pas à la réalité, ces dernières ont aussi contrevenu à cette disposition.

De plus, les compagnies de cigarettes ont intentionnellement porté atteinte au droit à la vie, à la sécurité et à l’intégrité des membres (art. 1 et 4 de la Charte des droits et libertés de la personne). Enfin, un lien de causalité a été prouvé entre les maladies ou la dépendance dont souffrent les membres et les fautes commises par les défenderesses.

Comme les médias ont parlé amplement des sommes accordées aux membres par le juge Riordan, je vous invite à lire à ce sujet le résumé de ce dernier qui se trouve au début du jugement. À titre de conclusion, il y a lieu de citer le juge Riordan relativement à la responsabilité des défenderesses : «Elle était la chef de file dans l’industrie sur de nombreux fronts, y compris ceux de cacher la vérité et tromper le public»!

Cette saga est loin d’être terminée, car les défenderesses ont porté cette décision en appel! À suivre…

Référence

Létourneau c. JTI-MacDonald Corp. (C.S., 2015-05-27 (jugement rectifié le 2015-06-08)), 2015 QCCS 2382, SOQUIJ AZ-51180718. Requêtes pour suspendre l’exécution provisoire du jugement, 2015-06-26 (C.A.), 500-09-025385-154, 500-09-025386-152 et 500-09-025387-150.

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