C’est l’histoire d’un gars qui n’était pas content que son patron repousse de quelques jours le versement de la paie des employés en raison d’un manque ponctuel de fonds. Le meilleur moyen qu’il a trouvé pour exprimer sa frustration a été de quitter les lieux après avoir changé le mot de passe de l’ordinateur qu’il utilisait pour accomplir ses fonctions de directeur artistique, photographe et superviseur.

Il a ensuite informé son patron qu’il ne pourrait accéder au contenu de l’ordinateur si son salaire et sa paie de vacances ne lui étaient pas versés immédiatement. L’employeur a refusé de se prêter à un tel chantage. À la suite d’une plainte pour méfait, le salarié a finalement accepté de fournir le nouveau mot de passe aux policiers.

L’employeur n’a pas donné suite à une mise en demeure de la Commission des normes du travail (CNT) lui réclamant deux semaines de salaire et l’indemnité de congé annuel pour

le compte du salarié. En défense, il a fait valoir que le geste criminel intentionnel du salarié constituait une fin de non-recevoir opposable à son recours pour salaire impayé et à celui que la CNT exerçait en son nom.

Le juge Jeffrey Edwards a fait droit à cet argument. Il souligne que le salarié pouvait exercer plusieurs recours afin d’assurer le «respect intégral et sans retard de ses droits» mais qu’il a plutôt décidé de se faire justice lui-même. Il a tenté de forcer l’employeur à le payer en retenant et en s’appropriant sans droit la propriété de ce dernier.

Le juge écrit : «C’était un acte criminel de méfait et de sabotage d’une entreprise commerciale. [Le salarié] a été inculpé de cette accusation et en a été trouvé coupable. En agissant ainsi, il a saboté les œuvres journalistiques et artistiques de son employeur en y bloquant l’accès au moment même où l’employeur en avait besoin. En se livrant à de telles actions, [il] a en réalité détruit la propriété de son employeur et de même, il a rétroactivement anéanti et réduit à zéro toute valeur aux heures de travail qu’il réclamait ainsi qu’à certaines heures de travail passées, y compris des semaines d’ouvrage pour lesquelles il a été payé» (paragr. 62).

Le juge a conclu que la gravité des gestes commis par le salarié ne pouvait être banalisée. Il a rejeté l’argument de la CNT selon lequel la fin de non-recevoir peut uniquement sanctionner et paralyser une créance née après le geste répréhensible et non avant. Il a estimé que l’interprétation proposée par la CNT des conditions d’application de la fin de non-recevoir était indûment restrictive et contraire à la jurisprudence et à la doctrine. Il a souligné que la fin de non-recevoir est une sanction judiciaire fondée sur l’exigence de la bonne foi, laquelle doit gouverner les parties à un contrat de travail.

Le juge Edwards a opposé une fin de non-recevoir à la réclamation de salaire impayé au salarié pendant ses deux dernières semaines de travail. Il a cependant ordonné à l’employeur de lui verser sa paie de vacances (4 %) pour la période de référence antérieure à ces deux semaines.

Se faire justice à soi-même… une mauvaise idée.

Référence

Commission des normes du travail c. Groupe HMX inc. (C.Q., 2015-04-29), 2015 QCCQ 3403, SOQUIJ AZ-51171149, 2015EXPT-995, D.T.E. 2015T-385.

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