L’article 10 b) de la Charte canadienne des droits et libertés prévoit que «[c]hacun a le droit […] d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit».

J’aimerais porter votre attention sur l’affaire R. c. Graveley, où le juge Laurin, de la Cour du Québec, a eu à décider si la preuve obtenue par échantillon sanguin de l’accusé, inculpé de conduite avec les facultés affaiblies, était recevable.

Ce dernier soutenait que son droit garanti à l’article 10 b) de la charte avait été violé avant le prélèvement de l’échantillon de sang. Le juge lui a donné raison à la lumière de l’enseignement de la Cour suprême dans R. c. Taylor. Rappelons que dans cette affaire le plus haut tribunal devait décider si les policiers s’étaient acquittés de leur obligation d’aider l’accusé à communiquer avec un avocat sans délai. Au moment de son arrestation, ce dernier avait été avisé de ses droits constitutionnels, dont le droit à l’assistance d’un avocat. Or, bien qu’il ait demandé à exercer son droit, les policiers ne lui avaient pas donné accès à un téléphone, ni sur les lieux de l’accident ni une fois rendus à l’hôpital avant qu’une infirmière n’ait prélevé des échantillons sanguins. Par la suite, les policiers avaient obtenu un mandat de perquisition pour saisir les échantillons prélevés. Le plus haut tribunal a alors réitéré certains principes, repris ainsi par le juge Laurin dans l’affaire qui nous occupe (paragr. 28) :

  • l’obligation d’informer le détenu de son droit à l’assistance d’un avocat prend naissance immédiatement après l’arrestation ou la mise en détention, et celle de faciliter l’accès à un avocat prend pour sa part naissance immédiatement après que le détenu a demandé à parler à un avocat;
  • le policier a l’obligation de faciliter, à la première occasion raisonnable, l’accès à l’assistance d’un avocat et nul ne conteste que, tant que l’accès à l’avocat demandé n’a pas été fourni, les policiers doivent s’abstenir de prendre d’autres mesures d’investigation pour soutirer des éléments de preuve à l’accusé;
  • la personne qui entre dans un l’hôpital pour y recevoir des soins médicaux ne se trouve pas dans une «zone sans Charte»;
  • l’existence d’obstacles à l’accès doit être prouvée et non pas supposée; et
  • des mesures proactives sont requises pour que le droit à un avocat se concrétise en accès à un avocat.

Appliqués au cas de M. Graveley, le juge Laurin a conclu que, à partir du moment où le médecin avait informé les policiers qu’ils n’auraient aucune difficulté à obtenir un échantillon d’haleine et le moment où il a informé ces derniers que l’accusé devait subir une imagerie digitale, il y avait près d’une heure qui s’était écoulée, ce qui aurait amplement permis aux policiers de faciliter l’accès à un avocat à M. Graveley. Partageant l’opinion de la Cour suprême dans Taylor, le juge Laurin a estimé que la violation de la charte et l’incidence de la conduite des policiers sur les intérêts de M. Graveley étaient telles que l’utilisation des éléments de preuve ainsi obtenue minerait à ce point la confiance du public dans l’administration de la justice et que, par conséquent, il y avait lieu d’écarter ces éléments de preuve.

Cette application des principes élaborés par la Cour suprême n’est pas simple et, pour l’illustrer, je vous renvoie aussi à R. c. Deblois, affaire dans laquelle le juge Lambert en est venu à la conclusion qu’il n’y avait pas eu violation du droit prévu à l’article 10 b). Il est à noter que, dans ce cas-ci, un accident de motoneige est à l’origine des choses. L’accusé était blessé et a dû être transporté en ambulance à l’hôpital. Arrêté à 16 h 56, il n’a pas pu parler à un avocat avant 20 h 30 et le prélèvement sanguin a eu lieu 15 minutes plus tard. L’agent en question a affirmé avoir toujours voulu, tout au long de l’intervention, permettre à l’accusé d’exercer son droit à l’assistance d’un avocat. Il a attendu de connaître l’avis du médecin concernant l’état de santé de l’accusé et l’autorisation de la prise de sang avant de prendre les dispositions nécessaires à l’exercice par ce dernier de son droit. Le juge a retenu que l’agent avait notamment privilégié les soins médicaux même si l’attente avait été très longue et que, dans ce cas particulier, le délai avant que l’accusé n’ait pu exercer son droit était raisonnable. Enfin, pour le juge, dans la mesure où le délai était déraisonnable, la preuve eût été tout aussi recevable à la lumière des critères établis dans R. c. Grant.

Références

  • c. Graveley (C.Q., 2015-03-09), 2015 QCCQ 1648, SOQUIJ AZ-51157659, 2015EXP-1459, J.E. 2015-805.
  • c. Taylor (C.S. Can., 2014-07-18), 2014 CSC 50, SOQUIJ AZ-51092418, 2014EXP-2257, J.E. 2014-1291, [2014] 2 R.C.S. 495.
  • c. Deblois (C.Q., 2015-02-20), 2015 QCCQ 1653, SOQUIJ AZ-51155865, 2015EXP-1788, J.E. 2015-990.
  • R. c. Grant (C.S. Can., 2009-07-17), 2009 CSC 32, SOQUIJ AZ-50566222, J.E. 2009-1379, [2009] 2 R.C.S. 353.
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