La Cour d’appel a récemment rendu un jugement important en matière de harcèlement psychologique.

Dans Durocher c. Commission des relations du travail, la Cour devait déterminer si, en rejetant la réclamation de la travailleuse fondée sur une lésion psychologique survenue au travail, la Commission des lésions professionnelles (CLP) avait clos le débat entre les parties de sorte qu’il y avait chose jugée empêchant Durocher, une employée cadre, de faire trancher par la Commission des relations du travail (CRT) sa plainte pour harcèlement psychologique (art. 123.6 L.N.T. ).

La CLP a rejeté la réclamation de Durocher, non pas parce que cette dernière ne présentait pas de lésion psychique – celle-ci n’étant pas contestée – mais parce qu’elle a estimé que les comportements de l’employeur n’avaient pas outrepassé les limites de ceux auxquels une gestionnaire peut raisonnablement s’attendre lorsqu’elle est nouvellement nommée responsable d’un service ou encore lorsqu’elle doit procéder à l’implantation de changements organisationnels (Durocher et Centre jeunesse de Montréal).

La juge Bélanger a noté que la compétence exercée par la CLP dans le dossier Durocher semblait se rapprocher de celle que doit exercer la CRT. Toutefois, après avoir analysé les dispositions pertinentes de la Loi sur les normes du travail, du Code du travail et de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, la juge a conclu qu’il n’y avait pas de litispendance ou de chose jugée à l’égard de l’un ou l’autre de ces organismes lorsqu’ils déterminent l’existence de harcèlement psychologique au travail.

  • Absence d’identité d’objet: «Le bénéfice juridique recherché par le recours devant la CRT est de faire reconnaître le droit du salarié à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique et à faire constater que l’employeur a contrevenu à son obligation de prévenir le harcèlement. La réclamation du travailleur auprès de la CSST vise à faire reconnaître qu’il a été victime d’une lésion professionnelle» (paragr. 90).
  • Absence d’identité de cause: Les faits matériels sont identiques, mais leur qualification juridique ne l’est pas. La CRT doit décider, d’une part, si un salarié a été soumis à des comportements vexatoires et, d’autre part, si l’employeur a omis de respecter les obligations décrites à l’article 81.19 L.N.T. Le harcèlement psychologique n’entraîne pas nécessairement une lésion professionnelle. «Le rôle de la CLP est fort différent. Elle doit d’abord décider de l’existence d’une lésion psychique et, ensuite, se demander s’il existe une relation entre cette lésion psychique et les événements vécus par le travailleur sur son lieu de travail. Ainsi, il pourrait y avoir une lésion professionnelle de type psychologique reconnue par la CLP, même si le comportement qui l’a causée ne constitue pas du harcèlement au sens de l’article 81.18 l.n.t» (paragr. 93).

La juge Bélanger souligne que la CLP décide si le travailleur a subi une lésion professionnelle «sans égard à la responsabilité de quiconque» alors que, compte tenu de la définition du «harcèlement psychologique», la CRT doit inévitablement procéder à l’examen des comportements des autres employés et de l’employeur afin de déterminer la présence d’une conduite vexatoire.

La juge précise que la véritable question en litige devant la CRT est de savoir si la conduite des employés et de l’employeur était vexatoire au sens de l’article 81.18 L.N.T. et qu’il n’appartient pas à la CLP d’y répondre. Elle écrit : «[La CRT] elle aurait dû refuser de conclure à la chose jugée implicite ou à l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, quoiqu’il faille admettre que la CLP a répondu à une partie de la question. Comme nous l’avons vu, il n’appartenait pas à la CLP de décider si l’appelante a subi du harcèlement au travail» (paragr. 118).

La Cour a ordonné le renvoi du dossier devant la CRT afin qu’elle statue sur le fond de la plainte.

Note : Les juges Bélanger et Chamberland ont choisi d’appliquer la norme de contrôle de la décision correcte. Quant au juge Giroux, dissident, il a estimé que la norme de la décision raisonnable devait s’appliquer. À son avis, la CRT pouvait raisonnablement conclure que la CLP avait décidé de façon définitive que Durocher n’avait pas réussi à prouver les allégations de harcèlement psychologique sur lesquelles elle fondait sa réclamation pour lésion professionnelle ainsi que sa plainte selon l’article 123.6 L.N.T.

Références

  • Durocher c. Commission des relations du travail (C.A., 2015-08-31), 2015 QCCA 1384, SOQUIJ AZ-51210382. À la date de diffusion, la décision n’avait pas fait l’objet d’un pourvoi à la Cour suprême du Canada.
  • Durocher et Centre Jeunesse de Montréal (C.L.P., 2008-09-29 (décision rectifiée le 2008-10-01)), 2008 QCCLP 5569, SOQUIJ AZ-50514472. Requête en révision rejetée (C.L.P., 2010-01-21), 2010 QCCLP 591, SOQUIJ AZ-50601812.
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