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Tout récemment, la juge Dominique Wilhelmy de la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, a dû se prononcer sur la peine à imposer à un adolescent qu’elle avait déclaré coupable d’infractions liées au terrorisme en décembre dernier. Dans un jugement rendu oralement, elle a condamné ce dernier à une peine de 24 mois de mise sous garde fermée, consécutive à toute autre peine, assortie d’une probation de 1 an avec certaines conditions. Les faits révélés dans cette affaire avaient pris naissance quelque temps avant les attentats terroristes survenus à Saint-Jean-sur-Richelieu et qui ont coûté la vie à un soldat.

L’adoption du projet de loi C-51, Loi antiterroriste de 2015, qui date de l’automne dernier, a fait l’objet de plusieurs critiques et commentaires quant à la nécessité de ces nouvelles dispositions et à leurs conséquences sur les droits et libertés garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. À cet égard, je vous invite à visionner la capsule juridique MAtv à la fin de ce texte. Certaines modifications ont aussi été apportées au Code criminel (C.Cr.) et à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Sans pour autant répondre à la question de savoir si elles étaient nécessaires ou si le droit existant répondait déjà au besoin de protection du public contre le terrorisme, reprenons l’exemple de cet adolescent qui voulait se joindre aux forces de l’État islamique (EI) pour démontrer comment le tribunal a pu conclure à sa culpabilité sur la base des dispositions existantes.

Contexte : 

En février 2014, l’accusé, un adolescent d’origine algérienne alors âgé de 15 ans, a subtilisé les numéros des cartes de crédit de ses parents et a tenté de faire un don, mais cette transaction a été refusée par la banque. Au mois de mai suivant, il a cherché en vain à acheter sur Internet un billet d’avion pour la Turquie avec le numéro de la carte de crédit de son père. À l’automne, il a commis un vol qualifié dans un dépanneur et a caché son sac contenant le produit de ce vol derrière le domicile familial. Le 12 octobre 2014, après avoir trouvé dans le sac à dos de son fils de l’argent, un couteau et un masque, le père de l’accusé a alerté la police afin de dénoncer le fait que son fils voulait quitter le pays pour se joindre à un groupe terroriste. Le lendemain, les parents ont aussi avisé la police qu’ils avaient trouvé un numéro de téléphone dans la poche du pantalon de l’accusé. Ce numéro s’est révélé être celui de Martin Couture-Rouleau, qui a tué un soldat au nom de l’EI quelques jours plus tard. L’accusé a plaidé coupable sous les accusations reliées au vol qualifié. Il a subi un procès quant aux accusations de vol qualifié commis au profit ou sous la direction d’un groupe terroriste en vertu de l’article 83.2 C.Cr. et d’avoir tenté de quitter le Canda dans le but de commettre un acte à l’étranger qui, s’il était commis au Canada, constituerait l’infraction visée à l’article 83.18 C.Cr. (participation à une activité terroriste), en violation de l’article 83.181 C.Cr.

Position des parties :

Précisant que l’adolescent n’avait pas été accusé d’avoir commis un acte terroriste, la Couronne a rappelé que c’est à la suite des événements du 11 septembre 2001 que l’article 83.2 C.Cr., et la plupart des articles traitant du terrorisme, ont été intégrés au Code criminel. Quant à l’article 83.181, il est entré en vigueur en 2013 en réponse à l’exode mondial décrit par son témoin expert. La Couronne a soutenu que le comportement que visait le législateur était justement celui de l’accusé et qu’il s’agissait de sanctionner, de façon préventive, une intention illégale. Pour sa part, la défense a allégué qu’il n’y avait aucune preuve directe des intentions de l’accusé ni d’un lien possible entre les gestes commis par celui-ci et l’EI. Elle a aussi invoqué «l’exception de conflit armé» suivant l’article 83.01 (1) C.Cr. et soutenu que l’enfant qui participe à un conflit armé est protégé par le droit international.

La théorie de l’enfant soldat et le droit international :

Retenant de la preuve que l’EI avait mis sur pied un système qui lui permettait de recruter et d’endoctriner des enfants de tous âges et que l’accusé partageait l’idéologie des groupes terroristes du Moyen-Orient et adhérait aux préceptes des djihadistes, la juge a noté que sa situation pouvait ressembler à celle d’un enfant soldat, mais elle n’a pas retenu cet argument. En effet, l’adolescent ne pouvait bénéficier de l’exception de conflit armé puisque le conflit armé en question, qui se déroule en Syrie, ne respectait pas les normes du droit international. Par ailleurs, suivant l’article 3.6 des principes de Paris, les enfants soldats sont protégés de façon particulière lorsqu’ils commettent des crimes de droit international alors qu’ils sont associés à des groupes armés (UN Children’s Fund (UNICEF), Les Principes de Paris. Principes et lignes directrices sur les enfants associés aux forces armées ou aux groupes armés, février 2007, 54 p.). Or, de dire la juge, ce n’était pas le cas de l’accusé. Non seulement le Canada n’est pas en guerre mais, en outre, les actes reprochés à l’adolescent ne sont pas des crimes de droit international; il s’agit de crimes «nationaux», prévus au Code criminel. Ce dernier ne bénéficiait donc d’aucune protection prévue aux traités, engagements et protocoles soumis par la défense, d’autant moins qu’aucun d’eux n’a force de loi au Canada.

Les infractions en vertu du Code criminel :

Quant aux éléments constitutifs des infractions alléguées, ils ont tous été démontrés. En ce qui a trait à la première infraction, les éléments matériels, soit la commission d’un acte criminel et l’existence d’un groupe terroriste au sens des articles 83.01 et 83.05 C.Cr., ont été prouvés hors de tout doute raisonnable. En effet, l’accusé a plaidé coupable sous l’accusation de vol qualifié, et l’EI est une entité inscrite par la Sécurité publique du Canada. Par ailleurs, la Couronne devait prouver que l’accusé savait qu’il commettait ce geste «en association avec» une organisation qu’il savait être terroriste. Or, il a été démontré que l’adolescent accordait son appui non équivoque aux gestes, aux revendications et aux crimes commis par l’EI. Il a affirmé qu’il appuyait les moudjahidines engagés dans le djihad, qu’il partageait leur idéologie et qu’il utilisait leur langage. Il était donc «en lien» avec un groupe terroriste.

Quant à la deuxième infraction reprochée, l’élément matériel a été prouvé par la tentative de l’accusé d’acheter un billet d’avion à destination de la Turquie. Les informations fournies sur Internet pour l’achat du billet d’avion ne laissaient aucun doute quant à son intention de quitter le pays. Pour ce qui est plus particulièrement de l’intention spécifique requise, la juge a retenu que la présence de symboles reliés aux djihadistes dans l’ordinateur de l’accusé et l’utilisation de concepts associés à l’EI dans ses paroles et ses écrits permettaient de conclure que ce dernier voulait contribuer à une activité d’un groupe terroriste au sens de l’article 83.18 (4) C.Cr. Elle a conclu que l’adolescent avait tenté de prendre un avion pour la Turquie et que son intention était de rejoindre la Syrie pour combattre dans les rangs de l’EI.

Cette décision, fort détaillée, démontre le caractère sérieux de ces infractions et l’attention apportée par le législateur à ce que tous les éléments la composant soient démontrés hors de tout doute raisonnable avant de condamner l’adulte ou l’adolescent accusé de ce type d’infractions. Pour d’autres exemples jurisprudentiels, je vous invite à consulter R. c. Khawaja, R. c Boulanger et R. c. Namouh (culpabilité et peine), quant à la constitutionnalité des sous-paragraphes a) (iv), a) (x) et b) (ii) de l’article 83.01 (1) «activité terroriste» et des articles 83.18 et 83.19 C.Cr.

Références

  • LSJPA – 1557 (C.Q., 2015-12-17), 2015 QCCQ 12938, SOQUIJ AZ-51239494, 2016EXP-140, J.E. 2016-65.
  • c. Khawaja (C.S. Can., 2012-12-14), 2012-12-14), 2012 CSC 69, SOQUIJ AZ-50921265, 2012EXP-4411, J.E. 2012-2337, [2012] 3 R.C.S. 555.
  • c. Boulanger (C.Q., 2011-04-28), 2011 QCCQ 4380, SOQUIJ AZ-50751770, 2011EXP-1931.
  • c. Namouh (C.Q., 2009-06-10), 2009 QCCQ 5833, SOQUIJ AZ-50560669, J.E. 2009-1334, [2009] R.J.Q. 1809.
  • c. Namouh (C.Q., 2009-10-01), 2009 QCCQ 9324, SOQUIJ AZ-50577480, J.E. 2009-1839, [2009] R.J.Q. 2665; (C.Q., 2010-02-17, décision rectifiée 2013-05-13), 2010 QCCQ 943, AZ-50609175, 2010EXP-800, J.E. 2010-444. Désistement d’appels, (C.A., 2014-03-27), 500-10-004488-092 et 500-10-004600-100.
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