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Avec les avancées de la technologie, on assiste à une prolifération des moyens de surveillance électronique qui sont à la disposition de l’employeur.

D’une part, la surveillance électronique des employés fait partie des droits de la direction, lesquels doivent être exercés d’une façon qui n’est ni abusive, ni arbitraire, ni discriminatoire. D’autre part, elle met en cause les droits fondamentaux de l’employé, que sont le droit à la vie privée prévu à l’article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne et le droit à des conditions de travail justes et raisonnables prévu à l’article 46 de la charte.

Les caméras

Selon la jurisprudence, l’employeur ne peut effectuer une surveillance électronique continue, exercée à l’égard de personnes accomplissant leur prestation de travail (Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 7885 et Fabrimet inc. (T.A., 2010-10-17)) ni installer des caméras de surveillance qui sont constamment braquées sur des salariés et qui épient systématiquement leurs faits et gestes (Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal, section locale 301 et Montréal (Ville de) (arrondissement Côte-St-Luc—Hampstead—Montréal-Ouest), (T.A., 2005-04-14); Syndicat démocratique des employés de garage Saguenay—Lac-St-Jean (CSD) et 9034-4227 Québec inc. (St-Félicien Toyota), (T.A., 2013-03-21); Glopak inc. et Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 7625 (T.A., 2000-08-18)). Une caméra de surveillance à objectif fixe qui filme les sorties et les entrées de véhicules et de personnes et dont le champ de vision ne permet pas de surveiller en permanence les salariés à leur poste de travail (Syndicat démocratique des employés de garage du Saguenay—Lac-St-Jean (CSD) et Kia Harold Auto, (T.A., 2014-01-17); voir aussi : Aliments Multibar inc. et Unifor, section locale 698 (T.A., 2015-12-21)) sera par ailleurs permise.

La jurisprudence permet la surveillance par caméra si celle-ci est fondée sur des motifs réels et sérieux, s’il est probable qu’elle permette de régler ou d’élucider un problème, si aucun autre moyen d’enquête efficace ne permet de le faire et si elle porte atteinte aussi peu que possible au droit du salarié de ne pas être constamment épié. Un employeur aura un motif réel et sérieux d’entreprendre une telle surveillance s’il a une crainte légitime et fondée sur des faits objectifs qu’un salarié ne contrevienne à l’une des obligations fondamentales découlant de son contrat de travail, soit celles de prudence, de diligence et de loyauté (Hydro-Québec et Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1500 (T.A., 2015-01-29)).

La volonté de protéger ses biens du vol ou du vandalisme a été considérée comme un motif réel et sérieux si l’employeur est capable de démontrer qu’un tel problème existe au sein de l’entreprise (Aliments Multibar inc. et Unifor, section locale 698 (T.A., 2015-12-21); voir aussi Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleuses et travailleurs du Canada (TCA-Canada) et Cummins Est du Canada (T.A., 2007-06-15); Glopak inc. et Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 7625 (T.A., 2000-08-18)) de même qu’un contexte de plaintes récurrentes de vol de temps et de l’absence de résultats concluants relatifs à la surveillance effectuée sporadiquement (Unifor Québec et Moulage sous pression AMT inc. (T.A., 2015-04-10)).

L’utilisation de caméras peut être justifiée également pour des motifs de sécurité. À cet égard, leur installation dans les autobus scolaires (Syndicat du transport scolaire de la Mauricie-CSN et Autobus La Mauricie inc. (T.A., 2015-01-26)), dans l’habitacle de camions de transport de matières dangereuses afin d’améliorer la conduite de tels véhicules (Teamsters Québec, section locale 106 et Linde Canada ltée (T.A., 2014-10-24)) et près de chaînes de production dans l’entreprise alimentaire (Syndicat des travailleuses et travailleurs de Charcuterie Roy (CSN) et Aliments de consommation Maple Leaf inc. (T.A., 2012-01-06)) ainsi que la présence de caméras extérieures qui captent quelques tâches brèves ou les allées et venues des employés dans le stationnement d’une entreprise fédérale de transport (Société de transport de l’Outaouais et Syndicat uni du transport, unité 591 (T.A., 2011-08-12)) ont été considérées comme respectant le droit des employés à des conditions de travail justes et raisonnables prévu à l’article 46 de la charte.

Par contre, l’installation d’une caméra dans la chambre d’une résidente d’un CHSLD par le fils de cette dernière a constitué une violation du droit des salariés à des conditions de travail justes (Vigi Santé ltée c. Barrette (C.S., 2015-08-03); requête pour permission d’appeler accueillie (C.A., 2015-12-07)).

Enfin, les caméras ou systèmes de surveillance ne doivent pas avoir pour objectif premier de permettre à l’employeur d’imposer des mesures disciplinaires ni de contrôler le rendement ou la productivité des employés (Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleuses et travailleurs du Canada (TCA-Canada) et Cummins Est du Canada (T.A., 2007-06-15)).

Le système de géolocalisation GPS

L’utilisation des fonctions de localisation GPS et d’écoute à distance installées dans les radios portatives dont étaient munis les salariés d’une raffinerie de pétrole et qui sont destinées à être activées en cas d’urgence pouvait porter atteinte à la vie privée de ceux-ci; toutefois, de telles fonctions étaient justifiées par un motif valable et important, soit la sécurité, et constituaient des moyens raisonnables pour atteindre la finalité recherchée qui sont très peu intrusifs (Travailleurs québécois de la pétrochimie, section locale 194, SCEP et Énergie Valero/Raffinerie Jean-Gaulin de Lévis (T.A., 2014-02-13)).

Le courriel et le contenu de l’ordinateur

Quant à une communication par courriel, les mêmes principes soulignés par la Cour d’appel dans l’affaire Placements JPM Marquis et l’affaire Srivastava (Ste-Marie c. Placements JPM Marquis inc. (C.A., 2005-03-18); voir aussi Srivastava c. Hindu Mission of Canada (Quebec) inc. (C.A., 2001-04-30)) relativement à l’interception d’une conversation téléphonique doivent s’appliquer au courriel. Dans Marquis, la conversation interceptée avait eu lieu sur les lieux du travail, pendant les heures de travail. La Cour a rappelé le critère de l’existence chez l’employé des expectatives légitimes de vie privée qui sont forcément moins élevées dans ce contexte. En pareil cas, le contenu de la conversation peut être pertinent quant à la détermination de l’existence ou non d’une violation de la vie privée.

Dans une affaire particulière, l’employeur, l’Université Laval, a exercé ses droits de direction de façon abusive et a porté atteinte au droit à la vie privée en interceptant sans motif raisonnable le courriel envoyé par une salariée à son syndicat, contrevenant ainsi à sa politique en matière d’utilisation du courriel (Université Laval et Association du personnel administratif professionnel de l’Université Laval (APAPUL), (T.A., 2011-02-03)).

Par ailleurs, une disposition d’une politique qui prévoit que l’employeur peut surveiller l’usage qui est fait de ses biens en tout temps, y compris la surveillance des réseaux informatiques et de télécommunications et des données et communications qui y transitent, a été déclarée valide. En effet, l’expression «en tout temps» signifie à «tout moment», et ce, selon les règles établies par la jurisprudence : la surveillance doit respecter le droit à la vie privée et à la dignité de chaque employé et être exercée de bonne foi et de manière raisonnable. L’employeur doit être en mesure de démontrer qu’il a des motifs sérieux pour l’exercer (Journal de Montréal et Syndicat des travailleurs de l’information du Journal de Montréal (CSN), (T.A., 2015-01-06)).

Il n’est pas illégal ni abusif de la part de l’employeur de vérifier le contenu d’un courriel afin de s’assurer que le salarié s’est conformé aux exigences du règlement d’entreprise, qui lui ont été rappelées dans divers avis et pour lesquelles il a été sanctionné (Alliance de la fonction publique du Canada et Musée des beaux-arts du Canada (T.A., 2002-11-05)). De la même façon, l’employeur n’a pas porté atteinte à la vie privée d’une salariée en accédant à son ordinateur à son insu et en prenant connaissance d’un document transmis à des tiers; il avait le droit de vérifier qu’un employé exécute ses tâches pendant ses heures de travail (Ghattas c. École nationale de théâtre du Canada (C.S., 2006-03-08)).

Utilisation des données recueillies et la recevabilité de la preuve

Le recours de l’employeur aux données recueillies, qu’elles l’aient été par les caméras de surveillance, le système de géolocalisation GPS, le courriel ou les historiques de navigation Internet, est approuvé par la jurisprudence afin de vérifier si l’employé respecte ses obligations fondamentales du contrat de travail. De façon générale, il s’agit d’une preuve jugée recevable par les décideurs qui appliquent les articles 2857 et 2858 du Code civil du Québec, à moins que son utilisation n’ait pour effet de déconsidérer l’administration de la justice.

De telles données pourront servir dans la preuve à faire dans un litige ayant trait à l’imposition de mesures disciplinaires, la règle en matière de recevabilité étant que le principal critère applicable est celui de la pertinence de la preuve.

Références

Le texte intégral et le résumé de toutes ces décisions sont disponibles dans Recherche juridique.

  • Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 7885 et Fabrimet inc. (T.A., 2010-10-17), SOQUIJ AZ-50684431, 2010EXP-3860, 2010EXPT-2524, D.T.E. 2010T-769.
  • Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal, section locale 301 et Montréal (Ville de) (arrondissement Côte-St-Luc—Hampstead—Montréal-Ouest), (T.A., 2005-04-14), SOQUIJ AZ-50315116, D.T.E. 2005T-507, [2005] R.J.D.T. 1068.
  • Syndicat démocratique des employés de garage Saguenay—Lac-St-Jean (CSD) et 9034-4227 Québec inc. (St-Félicien Toyota), (T.A., 2013-03-21), SOQUIJ AZ-50962756, 2013EXP-1863, 2013EXPT-1068, D.T.E. 2013T-384, [2013] R.J.D.T. 734.
  • Glopak inc. et Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 7625 (T.A., 2000-08-18), SOQUIJ AZ-00141257, D.T.E. 2000T-988, [2000] R.J.D.T. 1841.
  • Syndicat démocratique des employés de garage du Saguenay—Lac-St-Jean (CSD) et Kia Harold Auto (T.A., 2014-01-17), 2014 QCTA 207, SOQUIJ AZ-51056967, 2014EXPT-934, D.T.E. 2014T-351.
  • Aliments Multibar inc. et Unifor, section locale 698 (T.A., 2015-12-21), 2015 QCTA 1019, SOQUIJ AZ-51243200, 2016EXP-1270, 2016EXPT-750, D.T.E. 2016T-292.
  • Hydro-Québec et Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1500 (T.A., 2015-01-29), 2015 QCTA 90, SOQUIJ AZ-51148516, 2015EXP-675, 2015EXPT-348, D.T.E. 2015T-147.
  • Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleuses et travailleurs du Canada (TCA-Canada) et Cummins Est du Canada (T.A., 2007-06-15), SOQUIJ AZ-50441569, D.T.E. 2007T-678, [2007] R.J.D.T. 1227.
  • Unifor Québec et Moulage sous pression AMT inc. (T.A., 2015-04-10), 2015 QCTA 346, SOQUIJ AZ-51170901, 2015EXPT-1098, D.T.E. 2015T-417.
  • Syndicat du transport scolaire de la Mauricie-CSN et Autobus La Mauricie inc. (T.A., 2015-01-26), 2015 QCTA 73, SOQUIJ AZ-51147687, 2015EXP-1045, 2015EXPT-577, D.T.E. 2015T-232.
  • Teamsters Québec, section locale 106 et Linde Canada ltée (T.A., 2014-10-24), 2014 QCTA 943, SOQUIJ AZ-51127869, 2015EXP-172, 2015EXPT-88, D.T.E. 2015T-29.
  • Syndicat des travailleuses et travailleurs de Charcuterie Roy (CSN) et Aliments de consommation Maple Leaf inc. (T.A., 2012-01-06), SOQUIJ AZ-50833535, 2012EXP-1256, 2012EXPT-646, D.T.E. 2012T-211.
  • Société de transport de l’Outaouais et Syndicat uni du transport, unité 591 (T.A., 2011-08-12), SOQUIJ AZ-50801767, 2011EXP-3791, 2011EXPT-2184, D.T.E. 2011T-806, [2011] R.J.D.T. 1182
  • Vigi Santé ltée c. Barrette (C.S., 2015-08-03), 2015 QCCS 3564, SOQUIJ AZ-51201273, 2015EXP-2537, 2015EXPT-1612, J.E. 2015-1404, D.T.E. 2015T-627.
  • Travailleurs québécois de la pétrochimie, section locale 194, SCEP et Énergie Valero/Raffinerie Jean-Gaulin de Lévis (T.A., 2014-02-13), 2014 QCTA 78, SOQUIJ AZ-51045904, 2014EXP-1008, 2014EXPT-571, D.T.E. 2014T-208.
  • Ste-Marie c. Placements JPM Marquis inc. (C.A., 2005-03-18), 2005 QCCA 312, SOQUIJ AZ-50305595, J.E. 2005-711, D.T.E. 2005T-389, [2005] R.R.A. 295.
  • Srivastava c. Hindu Mission of Canada (Quebec) Inc. (C.A., 2001-04-30), SOQUIJ AZ-50085995.
  • Université Laval et Association du personnel administratif professionnel de l’Université Laval (APAPUL), (T.A., 2011-02-03), SOQUIJ AZ-50721993, 2011EXP-921, 2011EXPT-541, D.T.E. 2011T-189, [2011] R.J.D.T. 321.
  • Journal de Montréal et Syndicat des travailleurs de l’information du Journal de Montréal (CSN) (T.A., 2015-01-06), 2015 QCTA 52, SOQUIJ AZ-51147239, 2015EXPT-576, D.T.E. 2015T-231.
  • Alliance de la fonction publique du Canada et Musée des beaux-arts du Canada (T.A., 2002-11-05), SOQUIJ AZ-03142007, D.T.E. 2003T-89, [2003] R.J.D.T. 468.
  • Ghattas c. École nationale de théâtre du Canada (C.S., 2006-03-08), 2006 QCCS 1197, SOQUIJ AZ-50359606, J.E. 2006-644, D.T.E. 2006T-296, [2006] R.J.Q. 852, [2006] R.J.D.T. 55.
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