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Le «hot tubbing», vous connaissez? Non, il ne s’agit pas de spa, mais d’une méthode de présentation de la preuve d’experts qui sort des sentiers battus. Alors que, traditionnellement, chaque expert présente séparément ses conclusions et fait l’objet d’un contre-interrogatoire de la part de la partie adverse, dans le cas du «hot tubbing», la présentation de la preuve d’experts se fait de façon simultanée. Cette façon de faire est née en Australie et s’est répandue dans plusieurs pays, dont au Canada. Une décision appliquant cette procédure a été rendue au Québec récemment.

Dans Investissements Marova inc. c. Nominingue (Municipalité de), le Tribunal administratif du Québec (TAQ) a eu recours à la présentation simultanée de la preuve d’experts lors de l’évaluation de la valeur foncière d’immeubles. Le juge administratif Lanthier a fait référence au Manuel scientifique à l’intention des juges canadiens, de l’Institut national de la magistrature. Voici comment on y décrit le «hot tubbing»:

«[Il s’agit] essentiellement [d’]une discussion présidée par le juge dans laquelle les divers experts, les parties, les procureurs et le juge se livrent à une entreprise collaborative afin de cerner les questions en jeu et de parvenir, si cela est possible, à une résolution commune de celles-ci. Lorsque la résolution des questions n’est pas possible, une discussion structurée, présidée par le juge, permet aux experts de donner leurs opinions en l’absence des contraintes du processus accusatoire et dans le cadre d’une tribune qui leur permet de se répondre directement. Le juge n’est pas limité à l’avis d’un seul conseiller mais il bénéficie du point de vue de plusieurs conseillers qui sont rigoureusement examinés en public.» (Juge en chef de la Cour suprême de New South Wales) (p. 177)

Toujours selon le manuel, qui reprend les propos d’un autre juge australien, la présentation simultanée de la preuve d’experts se déroule en pratique ainsi: «D’abord, il est demandé à chaque expert de cerner et d’expliquer les enjeux principaux, tels qu’il les perçoit, en ses propres mots. Par après, chacun peut formuler des commentaires sur l’exposé de l’autre. Chacun peut alors, ou par après, poser des questions à l’autre au sujet de ce qui a été dit ou non dit. Par la suite, les procureurs sont invités à cerner les sujets sur lesquels ils procéderont à un contre-interrogatoire. Chacun des sujets est alors abordé tour à tour. Une fois de plus, et au besoin, les experts font connaître leurs commentaires sur la question, puis les procureurs, selon l’ordre, qu’ils ont choisi, commencent à interroger les experts. Si la question posée par le procureur reçoit une réponse négative, ou si un des procureurs ne la comprend pas dans son intégralité, il ou elle peut se tourner vers son expert et lui demander ce que ce dernier pense de la réponse de l’autre.» (p. 179)

Le manuel indique que ce processus peut être différent. Par exemple, dans une affaire au stade antérieur à l’instruction, «après que les experts eurent remis leurs rapports individuels, ils se sont rencontrés en l’absence des procureurs et on préparé un rapport commun sur les questions au sujet desquelles il y avait accord et désaccord. Ceci a aidé à réduire l’ampleur de divergences entre les experts». (p. 179)

Une recherche dans les banques de SOQUIJ confirme ce qui est indiqué dans le manuel, à savoir que l’affaire Apotex Inc. c. Astrazeneca Canada Inc., de la Cour fédérale, constitue la première décision rapportée au Canada sur la présentation simultanée de la preuve d’experts. En fait, toujours selon mes recherches, il s’agirait de la seule. La décision du TAQ serait la première au Québec. Toutefois, il faut noter que l’article 240 alinéa 2 du Code de procédure civile (ancien art. 413.1) prévoit que: «Si des rapports d’expertise sont contradictoires, les parties peuvent réunir leurs experts afin de concilier leurs opinions, de déterminer les points qui les opposent et, le cas échéant, de faire un rapport additionnel sur ces points. Le tribunal peut, à tout moment de l’instance, même d’office, ordonner une telle réunion et le dépôt d’un rapport additionnel dans le délai qu’il fixe.»

Le juge administratif Lanthier a proposé aux parties de procéder à la présentation simultanée de de la preuve d’experts. En tout temps, si les procureurs n’étaient pas à l’aise avec ce mode de témoignage, il était possible de revenir au processus traditionnel du TAQ. Les procureurs ont accepté la proposition.

La méthode «hot tubbing» a finalement été appliquée tout au long de l’audience. Le juge administratif Lanthier rapporte que les procureurs ont trouvé que les questions posées par les experts étaient intelligentes et pointues, ce qui a amené des recommandations par les parties intimées qui ont été acceptées par les parties requérantes.

Le manuel et le juge administratif Lanthier indiquent que: «ceux qui prônent la présentation simultanée de la preuve d’experts cernent quatre avantages qui découlent du processus: une plus grande clarté et compréhension des éléments de preuve, de meilleures communications et collaborations entre experts, une diminution du caractère accusatoire de la preuve d’expert, et l’efficacité. Toutefois, il est peu vraisemblable que la présentation simultanée de la preuve d’experts fonctionne dans les affaires âprement disputées. La présentation simultanée de la preuve d’experts exige la bonne volonté des parties de trouver une réponse efficace et en temps opportun à une question d’ordre technique. Pour que ce processus soit utile, les parties doivent être prêtes et disposées à collaborer afin de trouver la ou les bonnes réponses» (paragr. 7).

Ces propos sont corroborés par l’éditorial du Canadian Lawyer d’avril 2016, dans lequel Gail J. Cohen rapporte que la bonne volonté n’y est pas dans le cas des témoins experts médico-légaux dans l’industrie de l’assurance automobile en Ontario. Dans cette province, les compagnies d’assurances, soucieuses de réduire le plus possible les paiements, seraient avantagées, au détriment des victimes d’accidents. Les experts médicaux n’agiraient pas de façon aussi impartiale qu’ils ne le devraient. L’Ontario Trial Lawyers Association réclame une enquête puisqu’elle prétend notamment qu’un système d’experts médico-légaux déforme la preuve, y compris les rapports de la Cour, pour avantager les compagnies d’assurances.

Dans ce cas précis, Gail J. Cohen voit comme solution éventuelle d’avoir les rapports d’experts préparés par un groupe de praticiens agréés médico-légaux qui sont approuvés par les deux parties afin de gagner temps et argent.

Néanmoins, ce qu’il faut retenir, c’est que, dans les conditions actuelles, le «hot tubbing» devant n’importe quel tribunal ne peut pas fonctionner lorsque certains des acteurs en cause ont des réticences.

Références

  • Investissements Marova inc. c. Nominingue (Municipalité de), (T.A.Q., 2016-05-25), 2016 QCTAQ 05862, SOQUIJ AZ-51293391. À la date de diffusion, la décision n’avait pas été portée en appel.
  • Apotex Inc. c. Astrazeneca Canada Inc. (C.F., 2012-05-11), 2012 CF 559, SOQUIJ AZ-50880467, 2012EXP-3320. Appel rejeté (C.A.F., 2013-03-11), A-187-12, 2013 CAF 77, SOQUIJ AZ-50977633.
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