Au niveau fiscal, la vente d’un immeuble entraîne généralement un gain en capital (imposable à 50 %). Par contre, si cet immeuble servait de résidence principale, le contribuable peut bénéficier d’une exemption et ne pas payer d’impôt sur le gain qui résulte de la vente. Il pourrait donc être tentant d’acheter un immeuble, de l’habiter pendant les rénovations et de le revendre rapidement pour profiter de cette exemption. Mais, attention, le fisc vous a à l’œil! En effet, la jurisprudence regorge de cas où le fisc a conclu qu’une telle transaction n’entraînait pas un gain en capital mais plutôt des revenus d’entreprise (imposables en totalité). 

Afin de déterminer si le gain est un revenu d’entreprise ou non, le juge doit évaluer si la vente d’immeuble est «un projet comportant un risque ou une affaire de nature commerciale». Il doit tenir compte de différents facteurs, dont l’intention du contribuable au moment de l’achat, la vraisemblance de cette intention, l’emplacement de l’immeuble et la période pendant laquelle le bien a été détenu par le contribuable. Aucun critère n’est absolu et chaque cas doit être examiné selon les circonstances particulières établies en preuve.

Dans Hardy c. Agence du revenu du Québec, la Cour d’appel a conclu que l’intention des contribuables était de loger leur famille et non de faire un profit. Ils avaient construit les immeubles pour répondre à leurs besoins et, par conséquent, les profits découlant de leur vente ne constituaient pas des revenus d’entreprise.

Voici d’autres exemples tirés de la décision Cantin c. Agence du revenu du Québec, dans laquelle le juge Landry fait une intéressante recension de la jurisprudence québécoise récente sur le sujet :

Ventes n’ayant pas généré de revenus d’entreprise :

  • La contribuable a acheté un immense entrepôt dans le but d’en tirer un revenu en louant des places afin d’entreposer des véhicules récréatifs. Elle a abandonné son projet en raison d’un problème de liquidités. Le terrain a été subdivisé et revendu en quelques mois. Le juge a conclu qu’elle n’avait jamais eu l’intention de faire du commerce et de spéculer avec son lot subdivisé. Il s’agissait donc d’un gain en capital (Tremblay c. Agence du revenu du Québec (Sous-ministre du Revenu du Québec)).
  • Il y a eu revente successive de deux immeubles en deux ans, mais les circonstances d’achat et de vente démontrent qu’il ne s’agissait pas d’une opération commerciale (Champagne c. Québec (Sous-ministre du Revenu)).
  • Même si le contribuable travaille dans le domaine de la construction, cela ne suffit pas pour le priver du droit d’acquérir et de vendre sa résidence principale si les circonstances font en sorte que cela est inévitable ou souhaitable, et ce, même si les transactions se réalisent durant une période de moins de 24 mois (Larose c. Agence du revenu du Québec).

Ventes ayant engendré des revenus d’entreprise :

  • L’intention première des contribuables (qui ont habité 11 résidences sur une période de 7 ans, qu’ils ont mises en vente très peu de temps après y avoir emménagé) était de tirer des revenus en revendant les immeubles. Les courtes périodes entre le déménagement de la famille et la mise en vente des résidences (de 3 semaines à 4 ou 5 mois) permettent de douter de leur intention d’en faire leur résidence principale (Alain c. Agence du revenu du Québec).
  • La vente de deux résidences autoconstruites en deux ans a engendré des revenus d’entreprise. Les résidences ont été construites dans le même secteur, les profits résultant de leur vente étaient très importants par rapport au coût réellement investi et les ventes n’étaient pas justifiées par des considérations familiales (Bossé c. Agence du revenu du Québec).
  • Les profits réalisés par les contribuables (un charpentier-menuisier et sa conjointe) à la suite de la vente des quatre résidences qu’ils ont construites et habitées au cours des quatre années d’imposition en cause constituent un revenu d’entreprise. Même si certaines des situations personnelles et familiales qu’ils invoquent peuvent justifier un changement de maison, elles n’expliquent pas tous ces déménagements successifs (Ouellette c. Agence du revenu du Québec).
  • L’analyse des transactions passées a démontré l’intention de spéculation de la contribuable, une courtière immobilière qui a acheté 12 immeubles et en a revendu 9 sur une période de 5 ans après les avoir détenus moins de 1 an (Constantinescu c. Agence du revenu du Québec). 

Références

  • Hardy c. Agence du revenu du Québec (C.A., 2015-03-24), 2015 QCCA 564, SOQUIJ AZ-51162696, 2015EXP-1120, J.E. 2015-613.
  • Cantin c. Agence du revenu du Québec (C.Q., 2016-06-13 (jugement rectifié le 2016-06-30)), 2016 QCCQ 6046, SOQUIJ AZ-51301855. À la date de diffusion, la décision n’avait pas été portée en appel.
  • Tremblay c. Agence du revenu du Québec (Sous-ministre du Revenu du Québec), (C.Q., 2013-12-20), 2013 QCCQ 15935, SOQUIJ AZ-51032607, 2014EXP-285, J.E. 2014-147.
  • Champagne c. Québec (Sous-ministre du Revenu), (C.Q., 2012-03-08), 2012 QCCQ 1710, SOQUIJ AZ-50839318, 2012EXP-1286.
  • Larose c. Agence du revenu du Québec (C.Q., 2013-06-06), 2013 QCCQ 6102, SOQUIJ AZ-50979297, 2013EXP-2556, J.E. 2013-1377.
  • Alain c. Agence du revenu du Québec (C.Q., 2015-12-18), 2015 QCCQ 14083, SOQUIJ AZ-51245039, 2016EXP-637, J.E. 2016-319. Requête en rejet d’appel rejetée (C.A., 2016-03-14), 2016 QCCA 537, SOQUIJ AZ-51264839. Constat de caducité (C.A., 2016-06-07), 500-09-025837-162.
  • Bossé c. Agence du revenu du Québec (C.Q., 2014-07-02), 2014 QCCQ 5993, SOQUIJ AZ-51092138, 2014EXP-3014, J.E. 2014-1723.
  • Ouellette c. Agence du revenu du Québec (C.Q., 2013-03-19), 2013 QCCQ 2786, SOQUIJ AZ-50953513, 2013EXP-1374, J.E. 2013-759.
  • Constantinescu c. Agence du revenu du Québec (C.Q., 2012-07-16), 2012 QCCQ 5909, SOQUIJ AZ-50881144, 2012EXP-3156, J.E. 2012-1690.
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