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Publié initialement dans Vigie RT.

Si la jurisprudence présente un éventail de plus en plus grandissant de situations d’écoute électronique faite par l’employeur, dont je traite dans un billet étoffé et qui a été publié sur le Blogue de SOQUIJ, elle recèle également des cas où, à l’inverse, ce sont des employés qui ont épié ou surveillé leurs collègues, leurs supérieurs et même des clients.

Ce genre de comportement de la part d’un salarié peut constituer un manquement à son obligation de loyauté envers l’employeur, laquelle est prévue à l’article 2088 du Code civil du Québec (C.C.Q.) et touche également le droit au respect de la vie privée, un droit fondamental protégé par l’article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne[1].

Je vous propose donc un survol de telles situations qui ressortent de la jurisprudence en arbitrage de griefs. 

1. Le congédiement imposé à un représentant syndical pour avoir enregistré systématiquement et à leur insu les conversations des représentants de l’employeur à l’occasion de diverses réunions traitant de points litigieux est confirmé; il s’agit d’un manquement grave à l’obligation de loyauté[2].

Décision

Ce représentant syndical a avoué avoir enregistré les réunions du comité de griefs et du comité paritaire de santé et de sécurité du travail, ainsi que les conversations, discussions et réunions dans le contexte des enquêtes qu’il menait. Il a affirmé qu’il n’enregistrait pas ses collègues. Ses enregistrements étaient faits à l’insu des personnes visées, totalisent 200 heures et sont classés méthodiquement dans un fichier Excel.

Il a fait valoir qu’il avait de la difficulté à se concentrer ainsi que des troubles de mémoire. Puis, il a consulté son médecin traitant et psychiatre, lequel a diagnostiqué un trouble du déficit de l’attention (TDA) sans hyperactivité.

L’employeur a exigé qu’il subisse une expertise médicale par le médecin psychiatre qu’il a mandaté. Le rapport de cet expert a révélé que le plaignant ne souffrait pas d’un diagnostic psychiatrique franc.

L’employeur a congédié le plaignant pour avoir manqué à son obligation de loyauté ou de confidentialité.

L’arbitre de griefs a décidé que la faute reprochée constitue effectivement un manquement grave au devoir de loyauté prévu à l’article 2088 C.C.Q. Il exige qu’un employé soit honnête avec son employeur, et il a comme prémisse qu’un employeur doit pouvoir avoir confiance en son employé, que ce soit sur les lieux du travail ou ailleurs. Il a insisté sur le fait que des enregistrements clandestins ne sauraient être tolérés en milieu de travail, peu importe les raisons menant à utiliser ce moyen.

Quant à la condition médicale invoquée, c’est au moment où l’employeur a découvert ses gestes que le plaignant a entrepris une démarche médicale. Même si l’existence d’une telle condition avait été établie, l’arbitre a mentionné qu’elle ne constituerait pas un motif valable afin de justifier son comportement. En effet, le fait de ne pas divulguer aux représentants de l’employeur que l’on enregistre des conversations va à l’encontre des exigences de la bonne foi et de l’éthique. De plus, selon la preuve médicale, des enregistrements n’étaient pas nécessaires afin d’améliorer des problèmes reliés à un TDA.

L’arbitre a également tenu compte des fonctions syndicales du plaignant. Ce dernier, en outre, ne s’est pas contenté d’enregistrer : il a versé des extraits dans les dossiers du syndicat et les a utilisés à l’occasion d’un litige.

Enfin, le fait que certains enregistrements vidéo étaient réalisés dans le milieu de travail par certains et, à l’occasion, diffusés sur YouTube et Facebook a été invoqué par le syndicat. L’arbitre a rejeté cet argument syndical et s’est dit d’avis que cela ne démontrait pas que l’employeur acceptait que toutes les conversations privées et confidentielles soient enregistrées par les employés.

2. Le congédiement imposé à un employé d’usine pour avoir enregistré des conversations de ses collègues, de ses supérieurs et de médecins experts avec lesquels il a parlé est confirmé; il s’agit d’une faute grave et il y a rupture du lien de confiance[3].

Décision

Le plaignant a enregistré des conversations privées auxquelles il ne participait pas dans le but de démontrer qu’il avait subi une lésion professionnelle.

L’arbitre a souligné que ces gestes étaient «éminemment stupides, inconsidérés et illégaux, accomplis dans l’unique but de s’avantager lui-même[4]». Le simple fait d’avoir procédé à ces enregistrements démontrait qu’il avait manqué totalement de loyauté envers son employeur et qu’«il a agi de façon à ébranler le processus arbitral, un des fondements des relations de travail[5]». Les gestes du plaignant constituent une atteinte majeure et illicite à la vie privée de ses collègues ainsi que de ses supérieurs. L’arbitre qualifie ce comportement d’«espionnage», ce qui est tout à fait inadmissible.

Le plaignant a invoqué le fait qu’il souffrait d’une maladie d’ordre psychiatrique qui l’empêchait de savoir ce qu’il faisait. Le Tribunal n’a pas conclu en ce sens.

Il a insisté sur le fait que le plaignant représentait, par le biais de ses agissements, une nuisance à la paix industrielle et au bon fonctionnement des relations entre les salariés. Il a ajouté enfin que, étant donné la gravité des gestes commis par le plaignant et leur connotation criminelle, l’employeur était tout à fait fondé à ne plus avoir confiance en lui et à mettre définitivement fin à son emploi.

3. Le congédiement imposé à un sergent affecté à la sécurité industrielle d’une grande entreprise pour avoir installé sans autorisation une caméra personnelle dans son véhicule et avoir filmé des collègues est confirmé; il avait déjà été avisé très clairement de modifier son attitude à l’endroit de ses collègues parce qu’il était responsable de la détérioration du climat de travail[6].

Décision

Le plaignant a travaillé pendant près de sept ans au service de sécurité de l’employeur, Hydro-Québec. Au moment de son congédiement, il était sergent.

L’arbitre de griefs a qualifié le geste du plaignant de manque de respect à l’égard de ses collègues et a conclu qu’il avait contribué à détériorer le climat de travail.

Il a fait état du sévère avertissement que le plaignant avait reçu auparavant. Il s’est dit d’avis que l’utilisation de divers moyens afin d’épier un collègue constitue une faute grave, fondant à maintenir le congédiement.

L’arbitre a tenu compte du fait qu’aucune circonstance atténuante n’avait été démontrée. De plus, les patrouilleurs sont assujettis à la Loi sur la police[7] et au Code de déontologie des policiers du Québec[8]. Ils doivent être intègres et honnêtes et faire preuve de jugement et de discernement. Le plaignant jouissait également d’une grande autonomie de travail et occupait une position d’autorité au sein de l’équipe. Tous ces éléments ainsi que son refus de reconnaître ses torts et de se corriger ont constitué des facteurs aggravants. L’arbitre a conclu qu’aucune réhabilitation ne pouvait donc être envisagée et que l’employeur ne pouvait plus lui faire confiance.

4. Le congédiement imposé à un technicien de Bell Canada ayant intercepté des conversations privées de son ex-conjointe, une cliente de l’employeur, est confirmé[9].

Décision

Alors qu’il était en couple avec sa conjointe, une cliente de Bell, il s’adonnait déjà à l’écoute illégale des conversations de celle-ci. Il a poursuivi ces activités après sa séparation.

Le plaignant a partiellement admis les fautes qui lui étaient reprochées en expliquant son geste par des motifs de sécurité et de détresse psychologique. D’une part, ses aveux n’ont pas été retenus puisqu’ils manquaient de sincérité et de constance et, d’autre part, la défense de détresse psychologique n’était pas appuyée par une preuve médicale.

L’arbitre a retenu que le plaignant avait commis des gestes prémédités et répétés tout en utilisant les moyens mis à sa disposition à son travail pour violer le droit à la confidentialité des clients de l’employeur, un droit que ce dernier est tenu de protéger. Par conséquent, il s’agit de manquements très graves.

5. Le congédiement imposé à un opérateur dans une usine pour avoir installé une caméra de surveillance dans le vestiaire des employés afin de trouver la personne qui touchait à ses effets personnels est remplacé par une suspension de six mois; il a reconnu ses torts et a présenté des excuses[10].

Décision

L’arbitre de griefs a conclu que la faute reprochée au plaignant était intentionnelle, volontaire et préméditée, mentionnant que ce dernier avait décidé de se faire justice à lui-même et qu’il avait commis une atteinte majeure et illicite à la vie privée de ses collègues. L’employeur lui avait dit de placer ses effets personnels dans la case qu’il lui avait fournie, laquelle est fermée à clé.

Quant à la proportionnalité de la sanction, l’arbitre a tenu compte de certains facteurs atténuants, soit l’aveu du plaignant à la première occasion, l’expression d’excuses, ses six ans d’ancienneté et son dossier disciplinaire vierge.

Il n’y avait en outre aucune réticence de la part de ses collègues à retravailler avec lui.

L’arbitre a fait la distinction d’avec la jurisprudence arbitrale relative à des cas de voyeurisme ou de violation d’intimité, qui n’est d’aucune pertinence.

Il s’est dit d’avis que le congédiement était une mesure trop sévère dans les circonstances, même si la faute est grave, et y a substitué une suspension de 180 jours.

En conclusion, ce genre de comportement constitue une faute grave et a été qualifié, à l’occasion, d’«espionnage». Les arbitres n’hésitent pas à dire qu’il s’agit d’une «atteinte majeure et illicite à la vie privée des collègues et des supérieurs» des employés visés.

Quand un employé manque à son obligation de loyauté, le lien de confiance qui doit unir l’employé et l’employeur est mis à mal. Afin de justifier un congédiement pour avoir enregistré des conversations de façon clandestine au travail, il ne s’agit pas pour l’employeur d’invoquer simplement le fait qu’il y a eu rupture du lien de confiance : il doit le prouver. L’existence de remords et d’excuses de la part de l’employé constitue des facteurs atténuants qui sont pris en considération et qui, comme à l’occasion de tout autre manquement, permettent de croire qu’il n’y aura pas de récidive. La détérioration ou non du climat de travail est également un facteur important dans la décision de réintégrer un employé dans son emploi.

Enfin, comme l’a mentionné d’ailleurs la jurisprudence arbitrale, il faut faire une distinction d’avec le voyeurisme et la violation de l’intimité qui pourrait être faite par un employé.

Références

[1] RLRQ, c. C-12.

[2] Syndicat des travailleurs de Demix (Longueuil et LaSalle)-CSN et Demix Béton, une division de Holcim (Canada) inc. établissements de Longueuil et LaSalle (T.A., 2016-09-27), 2016 QCTA 727, SOQUIJ AZ-51328728, 2017EXPT-43.

[3] Unifor, section locale 199 (anciennement SCEP) et Owens Corning Celfortec, l.p. (T.A., 2016-08-08), 2016 QCTA 781, SOQUIJ AZ-51331907, 2016EXPT-2133, D.T.E. 2016T-891. Cette décision cite plusieurs décisions de la jurisprudence dont je discute plus amplement.

[4] Id., au résumé.

[5] Id., paragr. 67.

[6] Fraternité des constables spéciaux d’Hydro-Québec, section locale 4785 (SCFP-FTQ) et Hydro-Québec (T.A., 2016-06-13), 2016 QCTA 500, SOQUIJ AZ-51302174, 2016EXPT-1493, D.T.E. 2016T-621.

[7] RLRQ, c. P-13.1.

[8] RLRQ, c. P-13.1, r. 1.

[9] Bell Canada et Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP), (T.A., 2005-03-17), SOQUIJ AZ-50305865, D.T.E. 2005T-408.

[10] Alstom Énergie et transport Canada inc. et Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 511 (Unifor Québec), (T.A., 2015-02-17), 2015 QCTA 193, SOQUIJ AZ-51160642, 2015EXPT-775, D.T.E. 2015T-309.

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