Récemment, un article a été publié dans le journal La Presse au sujet du droit du locataire de fumer dans son logement. Comme ce texte a suscité de vives réactions et des questionnements, je vous propose un bref survol de l’état du droit sur cette question, qui touche tant les fumeurs que les non-fumeurs. 

En 2008, dans  Koretski c. Fowler, la question de la validité d’une clause interdisant de fumer dans un bail de logement a été résolue par les propos suivants, tenus par le juge Barbe :

Quant à la senteur de cigarettes, il faut noter que la société devient de plus en plus sévère à l’égard des fumeurs; le Législateur a décrété des zones d’interdiction de fumer; il semble bien qu’un locateur pourrait édicter une telle prohibition dans ses logements puisqu’un fumeur ne peut quand même pas obliger ses voisins à être des fumeurs passifs, d’autant plus que la science médicale a maintenant établi que la cigarette et la fumée étaient une cause de cancer. (paragr. 82)

Il est également précisé qu’«aucune loi n’interdit formellement à une personne de fumer dans son logement.  Cependant, le droit du fumeur au respect de sa vie privée est limité par le droit des autres occupants d’un immeuble à jouir paisiblement de leur logement. Cette jouissance paisible inclut le droit de ne pas subir les effets négatifs de la fumée. » (paragr. 90 et 91)

D’ailleurs, l’article 1855 du Code civil du Québec (C.C.Q.) prévoit que le locataire a l’obligation d’user du logement avec diligence. Il doit donc «user de discernement lorsqu’une habitude de vie porte atteinte à la sécurité et à la santé des autres»  (Drescher c. Boucher, paragr. 35).

Dans cette dernière décision, rendue le 29 novembre 2016, la Régie du logement a décidé que le locateur avait le droit de retirer au locataire la permission de fumer dans son logement car, étant atteint d’un cancer, la fumée de cigarette, en ce qui le concernait, et selon la déclaration de son médecin, constituait pour lui une menace sérieuse pour sa santé et contrecarrait ses traitements en oncologie. Il a donc été ordonné au locataire de ne plus fumer à l’intérieur du logement, et ce, en vertu de l’article 1973 C.C.Q. Faute pour celui-ci de se conformer à l’ordonnance, le locateur pourrait obtenir la résiliation du bail.

Cette décision est également intéressante parce qu’elle traite de la tolérance manifestée par le locateur quant à l’habitude du locataire de fumer avant qu’il ne soit atteint du cancer. À cet égard, le tribunal précise que le locateur a le droit de retirer cette permission compte tenu des circonstances. «Une tolérance ne devient pas un droit en vertu du bail et elle ne confère aucun droit acquis. En termes plus simples, la tolérance n’est pas génératrice de droit.» (paragr. 26)

D’autre part, selon la loi, un locateur a la possibilité de modifier les conditions du bail à l’occasion de sa reconduction s’il donne un avis à cet effet au locataire dans les délais prescrits :

1942. Le locateur peut, lors de la reconduction du bail, modifier les conditions de celui-ci, notamment la durée ou le loyer; il ne peut cependant le faire que s’il donne un avis de modification au locataire, au moins trois mois, mais pas plus de six mois, avant l’arrivée du terme. Si la durée du bail est de moins de 12 mois, l’avis doit être donné, au moins un mois, mais pas plus de deux mois, avant le terme.
Lorsque le bail est à durée indéterminée, le locateur ne peut le modifier, à moins de donner au locataire un avis d’au moins un mois, mais d’au plus deux mois.

Ces délais sont respectivement réduits à 10 jours et 20 jours s’il s’agit du bail d’une chambre.

En cas de refus du locataire, le locateur peut alors demander au tribunal d’autoriser la modification demandée dans le mois suivant la réception du refus :

1947. Le locateur peut, lorsque le locataire refuse la modification proposée, s’adresser au tribunal dans le mois de la réception de l’avis de refus, pour faire fixer le loyer ou, suivant le cas, faire statuer sur toute autre modification du bail; s’il omet de le faire, le bail est reconduit de plein droit aux conditions antérieures.

Récemment, la Régie du logement a refusé de modifier les conditions du bail quant à l’interdiction de fumer à l’intérieur du logement. Dans Ladouceur c. Lebel, le droit de fumer dans les lieux loués était une condition qui avait été dûment consentie aux locataires lors de la négociation du bail. Le locateur devait donc démontrer la pertinence de la demande de modification. Pour rendre sa décision, la greffière spéciale Pelletier s’est appuyée sur Morin c. Vallières, où les faits étaient similaires à ceux à l’étude (paragr. 21) :

[32] Bien qu’aucune loi n’interdise à une personne de fumer dans son logement, depuis quelques années, les opinions ont beaucoup évolué concernant le tabagisme. La dépendance au tabac et les ravages de ce phénomène social qu’est le tabagisme sur la santé des fumeurs et sur la santé publique en général ont amené les gouvernements à légiférer et à interdire de fumer dans les lieux publics, dans un but de protection de la population contre les effets néfastes de la fumée secondaire, tel un objectif d’intérêt public légitime.

[33] Quant à la demande de modification visant l’interdiction de fumer dans le logement, la preuve présentée par la locatrice est-elle prépondérante permettant ainsi l’ajout au bail d’une clause interdisant au locataire de fumer dans le logement loué ?

[34] Il faut et il suffit pour la locatrice de prouver le bien-fondé de cette demande de modification au bail.

[35] Essentiellement, au soutien de cette demande, la locatrice soumet comme inconvénient que les odeurs de fumée du tabac provenant du logement du locataire dégradent l’immeuble dont elle est propriétaire, diminuent les perspectives d’augmentation de sa valeur et constituent une contravention et une entrave au droit de jouissance normale des lieux loués par les autres locataires et du droit de propriété dont elle est titulaire, dans un environnement sans fumée ni odeur secondaire provenant du tabac.

[36] En ce qui a trait à l’interdiction de fumer, Me Jean-Yves Landry, greffier spécial, s’exprimait ainsi dans une récente décision :

«La plupart des décisions rendues en matière de modification du bail visant à interdire de fumer à l’intérieur du logement (voir, entre autres, Vachon c. Gendron [2005] J.L. 283; Larivière c. Fortin, 22-000503-013 F, Régie du logement de Hull; Polacco c. Élément, 31-080311-010 F, Régie du logement de Montréal), indique que semblable modification constituerait une atteinte à la vie privée des locataires en contravention avec les articles 35 et 36 de la Charte des droits et libertés de la personne […]

De plus, la loi sur le Tabac [L.R.Q. chapitreT-0.01] prévoit à son article 2, par. 7°, qu’il est interdit de fumer dans « les aires communes des immeubles d’habitation comportant six logements ou plus, que ces immeubles soient détenus en copropriété ou non ». C’est dire que le législateur n’a jamais interdit aux locataires de fumer à l’intérieur d’un logement résidentiel, même dans les grands immeubles alors que seuls les espaces publics sont visés.

Conséquemment, même si la démarche des locateurs est compréhensible, le tribunal considère que la modification demandée constitue une atteinte sérieuse au droit au maintien dans les lieux des locataires qui ont droit au respect de leur vie privée à l’intérieur de leur logement.»

[37] De ce qui précède et cette constatation étant juste, le soussigné fait sien l’opinion de Me Jean-Yves Landry sur ce point et estime que les faits et les arguments de la locatrice sont insuffisants en ce qui concerne la modification demandée quant à interdire au locataire de fumer dans le logement loué et ne convainquent pas le Tribunal et ne permettent pas de lui accorder la modification demandée.

À la lumière de cette jurisprudence et des principes applicables, la greffière spéciale Pelletier a conclu que la modification au bail demandée par le locateur portait atteinte au droit au maintien dans les lieux des locataires et qu’il n’était pas impossible, irréaliste ou inapproprié de maintenir cette condition du bail. En conséquence, la demande de modification du locateur relativement à l’interdiction de fumer à l’intérieur du logement a été rejetée.

Espérons que le présent billet vous a éclairé sur l’état du droit en matière d’interdiction de fumer dans un logement, une question qui risque de faire couler encore beaucoup d’encre. 

Références

  • Koretski c. Fowler (C.Q., 2008-04-17), 2008 QCCQ 2534, SOQUIJ AZ-50486656, J.E. 2008-914, [2008] R.J.Q. 1155.
  • Drescher c. Boucher (R.D.L., 2016-11-29), 2016 QCRDL 40730, SOQUIJ AZ-51347602, 2017EXP-399.
  • Ladouceur c. Lebel (R.D.L., 2016-05-16), 2016 QCRDL 17138, SOQUIJ AZ-51288915, 2016EXP-2517.
  • Morin c. Vallières (R.D.L., 2015-02-06), 2015 QCRDL 3809, SOQUIJ AZ-51148296.
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