Notre société n’est pas permissive lorsqu’il s’agit de pornographie juvénile et les infractions liées à ce fléau reconnu par nos tribunaux sont punies notamment par l’imposition d’une peine minimale de détention. Encore faut-il prouver la commission de ces infractions et, à l’ère où Internet règne dans nos demeures, il est souvent ardu pour la police, les avocats et les juges de faire en sorte que justice soit rendue. 

La pornographie juvénile

Définie à l’article 163.1 du Code criminel (C.Cr.), la pornographie juvénile comprend notamment toute représentation photographique, filmée, sur bande vidéo ou autre, réalisée ou non par des moyens mécaniques ou électroniques où figure une personne âgée de moins de 18 ans ou présentée comme telle et se livrant ou présentée comme se livrant à une activité sexuelle explicite. Il est rigoureusement interdit de produire, de distribuer, de posséder et même d’accéder à du matériel de pornographie juvénile. Dans ce dernier cas, l’article 163.1 (4.1) C.Cr. interdit d’accéder à du matériel de pornographie juvénile et, de préciser l’article 163.1 (4.2), «accède à de la pornographie juvénile quiconque, sciemment, agit de manière à en regarder ou fait en sorte que lui en soit transmise». Enfin, en vertu de l’article 163.1 (3) C.Cr., il est aussi interdit de rendre accessible de la pornographie juvénile. Depuis quelques années, une peine minimale de détention de un an est prévue dans les cas de production ou de distribution, et de six mois dans les cas de possession et d’accès.

Cela dit, le problème n’est pas nouveau et, depuis des années, les forces policières luttent contre la pornographie juvénile, ici comme ailleurs. Devant le tribunal, tout devient une question de preuve. Or, celle-ci peut être particulièrement technique et faire référence à des connaissances dans le domaine de l’informatique qui ne sont pas des connaissances d’office et posent un réel défi pour le juge appelé à l’évaluer. 

Les difficultés que présente la preuve technique

Pour illustrer ce propos, prenons le cas de R. c. Veillette, jugement rendu au mois de décembre dernier par la Cour du Québec et pour lequel un appel a été déposé (2017-01-10 (C.A.), 500-10-006346-173). Dans cette affaire, l’accusé faisait face à des accusations d’avoir accédé à du matériel de pornographie juvénile (art. 163.1 (4.1) C.Cr.), de possession de tel matériel (art. 163.1 (4) a) C.Cr.) et d’avoir rendu accessible ce matériel (art. 163.1 (3) C.Cr.). Saisi du dossier, le juge Champoux explique fort bien dans son exposé des faits comment les enquêteurs s’y prennent pour déceler les prédateurs sexuels dans le monde virtuel d’Internet, ce qu’est un logiciel de partage et son utilisation.

Les faits

Dans notre affaire, c’est à l’issue d’une enquête policière qui a mené à placer en vigie le compte d’une certaine adresse IP, à savoir une adresse précise où sont fournis des services Internet et qui serait associée à des fichiers dont la valeur «Hash» est reliée à de la pédopornographie, que les policiers de la Sûreté du Québec ont ciblé l’accusé et ont ainsi pu télécharger 15 fichiers incriminants du compte de ce dernier. Une perquisition effectuée à son domicile a permis la découverte substantielle de matériel informatique, soit des CD, des DVD, des disquettes, des ordinateurs et des disques durs. Dans l’ordinateur de l’accusé se trouvaient 830 fichiers d’images et 25 vidéos de pornographie juvénile. Enfin, 33 fichiers graphiques destinés à l’exportation étaient dans la «bibliothèque» de l’accusé, laquelle est accessible aux autres usagers du logiciel de partage Shareaza, installé sur son ordinateur. 

La preuve

On aurait pu croire qu’une telle perquisition rendrait la suite des choses plus simple, mais l’accusé a reconnu l’existence du matériel illégal se trouvant dans l’équipement informatique et il a fourni des explications qui, selon lui, le disculpait des accusations portées. Il a affirmé n’avoir aucun intérêt pour la pédopornographie, ses seuls intérêts étant la musique et le bricolage. Il a expliqué qu’il était extrêmement difficile d’accumuler et de placer en bibliothèque une quantité significative ou utile de ce type de matériel qui fasse fonctionner le logiciel de partage. Il a donc utilisé le mot clé «porno» pour remplir sa bibliothèque et permettre le fonctionnement du logiciel de partage pour ses propres recherches sur les sujets l’intéressant véritablement. Il a expliqué avoir piraté la version du logiciel de partage et a émis l’hypothèse que les recherches avec mots clés avaient pu être effectuées avant qu’il n’obtienne le logiciel, et sans qu’il le sache.

D’entrée de jeu, le juge Champoux mentionne que «la preuve est fortement technique et met en jeu des questions au niveau de l’étendue de la connaissance judiciaire» (paragr. 41). Après un retour sur la jurisprudence, le juge rappelle que, «en l’absence de possibilité d’appliquer à un fait utile ou pertinent la notion de connaissance judiciaire ou d’office, une preuve est requise à son égard et un débat doit être tenu pour en décider» (paragr. 44). Ce problème exposé, le juge Champoux reconnaît que les explications de l’accusé ont suscité plusieurs questions qui sont restées sans réponses et qu’il lui était impossible de tirer certaines conclusions ou encore d’interpréter davantage la preuve présentée par le ministère public. Le juge a dit qu’il n’était pas en mesure de déterminer sur quelle base factuelle prouvée et établie il pouvait fonder une raison d’écarter le témoignage de l’accusé, et, tout en précisant qu’il avait de sérieuses réserves quant aux explications données par ce dernier, il a conclu que la preuve était défaillante et ne permettait pas d’écarter tout doute raisonnable. 

Bien sûr, il arrive que la preuve suffise pour reconnaître la culpabilité de l’accusé. Ainsi, par exemple, dans cette autre affaire, R. c. Rivard, le juge Champoux rappelle que, pour installer un logiciel de partage, il faut d’abord le trouver et que l’installation même de ce logiciel et les explications qui l’entourent sont très claires quant à son but et à son utilité. Il retient que, lorsque le logiciel est lancé, le bas de l’écran indique nettement ce que les autres usagers sont à extraire de l’ensemble des dossiers ou des fichiers de l’ordinateur, et en arrive à la conclusion que l’accusé, qui utilisait le logiciel de partage e.Mule, savait pertinemment qu’il lui était impossible de bloquer entièrement l’accès par les autres utilisateurs à sa bibliothèque contenant du matériel de pornographie juvénile et que, ce faisant, il avait rendu accessible ce matériel en violation de l’article 163.1 (3) C.Cr.

Conclusion

Cette petite illustration jurisprudentielle se veut une réflexion brève sur la technologie qui, d’une part, permet de cibler les contrevenants mais dont la complexité, d’autre part, entraîne son lot de difficulté. Je vous invite à prendre connaissance de la jurisprudence en matière d’infractions de nature sexuelle, dont particulièrement le leurre, prévu à l’article 172.1 C.Cr., qui regorge d’exemples où, sans qu’il y ait nécessairement en cause un logiciel de partage, les infractions ont été commises par l’entremise du monde virtuel des réseaux sociaux, d’Internet, etc. À titre d’illustration, qu’il suffise de mentionner la toute récente affaire R. c. Roussy, impliquant cet auteur de littérature jeunesse reconnu coupable notamment de leurre et d’agression sexuelle armée commise à l’endroit d’une jeune admiratrice et pour lesquelles il devra d’ailleurs purger plus de 55 mois de détention dans un pénitencier. Mentionnons que cette affaire a été portée en appel (2017-01-05 (C.A.), 500-10-006342-172).

Références

  • c. Veillette (C.Q., 2016-12-09), 2016 QCCQ 15192, SOQUIJ AZ-51350685, 2017EXP-291. Appel d’un acquittement, 2017-01-10 (C.A.), 500-10-006346-173.
  • c. Rivard (C.Q., 2015-09-04), 2015 QCCQ 7904, SOQUIJ AZ-51213450, 2015EXP-2901, J.E. 2015-1599.
  • c. Roussy (C.Q., 2016-12-06), 2016 QCCQ 15007, SOQUIJ AZ-51348690, 2017EXP-289. Appel sur la culpabilité, 2017-01-05 (C.A.), 500-10-006342-172.
  • R. c. Roussy (C.Q., 2017-03-03), 2017 QCCQ 1318, SOQUIJ AZ-51371033.
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