Un homme qui réclame une rente de conjoint survivant à la suite du décès de celle qui a partagé sa vie pendant près de 10 ans, c’est une situation triste mais qui, sur le plan légal, est assez simple. Cependant, les choses se corsent si cet homme a annoncé, une semaine avant le décès, son intention de mettre fin à l’union à une date précise. Et le tout se complique encore plus lorsque la conjointe décède avant cette date. Est-ce que l’homme a droit à une rente de conjoint survivant? 

C’est la question à laquelle le TAQ a dû répondre (F.K. c. Retraite Québec, décision faisant l’objet d’un pourvoi en contrôle judiciaire, 2017-06-14 (C.S.), 200-17-026121-178).

Voici les faits. Le 23 décembre 2013, le requérant a annoncé à la conjointe, dans une lettre qu’il lui a remise devant témoins, son intention de mettre fin à leur relation au plus tard le 31 janvier 2014, le temps de finaliser les aspects financiers de la rupture. La conjointe a réagi plutôt mal et les policiers ont été appelés sur les lieux. Une fois le calme revenu, elle a fait une tentative de suicide. Elle a été hospitalisée deux jours et le requérant lui a rendu visite.

La conjointe s’est suicidée dans la nuit du 30 au 31 décembre suivant. Elle a mis en œuvre un scénario avec un enregistrement vidéo et une série d’instructions. L’une d’elles révoquait son premier testament fait en faveur du requérant. Celui-ci s’est adressé à la Cour supérieure, laquelle a rejeté sa requête en jugement déclaratoire visant à se faire déclarer seul héritier. La Cour a déclaré que la conjointe avait institué ses filles à titre de légataires universelles. Entre-temps, le requérant avait demandé et obtenu une rente de conjoint survivant. Cependant, Retraite Québec s’est par la suite rétractée, a annulé la rente et a réclamé au requérant les sommes reçues de janvier 2014 à février 2015. Ce dernier a contesté cette décision devant le TAQ.

Le TAQ a conclu que le requérant avait droit à la rente de conjoint survivant pour les motifs qui suivent.

Le requérant et la conjointe n’étaient pas mariés ni liés par une union civile et un enfant était né de leur union, de sorte que la vie maritale devait avoir existé dans les 12 mois précédant le décès de la conjointe pour que le requérant ait droit à la rente.

En l’espèce, une telle situation de vie maritale a existé de 2004 à décembre 2013. Il est vrai qu’elle était sur le point de se terminer. Cependant, c’est le décès de la conjointe qui y a mis fin abruptement et non la remise par le requérant d’une lettre énonçant les raisons de son intention de mettre fin à la relation.

La vie maritale ne cesse pas nécessairement d’exister du simple fait que l’un des conjoints décide d’y mettre fin. Cela dépend des faits de chaque affaire.

La conclusion de la Cour supérieure ne s’applique pas mutatis mutandis à la situation dont le TAQ était saisi. La question à laquelle devait répondre la Cour supérieure était en lien avec les dernières volontés de la conjointe alors que le TAQ devait évaluer si, au jour du décès, une situation de vie maritale existait depuis au moins 12 mois.

Puisque le décès est survenu au cours du même mois au cours duquel la vie maritale aurait pris fin, le requérant se qualifie comme conjoint survivant. D’ailleurs, prétendre à la fin de la vie maritale sur la foi de la lettre du 23 décembre 2013 est inconciliable avec les agissements du requérant dans les jours suivants. Si tant est que la rupture ait véritablement eu lieu de manière définitive à cette date, il n’aurait pas porté secours à la conjointe lors de sa première tentative de suicide.

Qui plus est, si l’on considère la période de vie maritale visée, c’est-à-dire de décembre 2012 à décembre 2013, en interprétant la Loi sur le régime de rentes du Québec de manière large et libérale, la vie maritale a existé pendant toute la période, même si l’on retient — ce que le TAQ ne fait pas — la date du 23 décembre 2013 comme date de fin de la vie maritale. En effet, au cours du mois de décembre 2013, plus de la moitié du mois était écoulé lors de l’annonce de la rupture.

Que l’on analyse la situation en termes de mois ou en termes d’année, le résultat est le même : une vie maritale existait, au jour du décès, depuis au moins un an. Le requérant et la conjointe ont continué de vivre maritalement postérieurement à l’annonce de la rupture. D’abord, au jour du décès, ils étaient toujours copropriétaires du domicile conjoint et ni l’un ni l’autre n’avait véritablement quitté le domicile. Le critère de la cohabitation est donc rempli. Des éléments probants de secours mutuel ont continué d’exister entre eux. Il faut aussi prendre en considération la situation patrimoniale du requérant et de la conjointe au jour du décès. À cet égard, rien n’était véritablement finalisé. Ainsi, au jour du décès, la fin de la vie maritale, quoique annoncée, n’était pas encore matérialisée. Le requérant se qualifie donc comme conjoint survivant.

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