Un professionnel peut être appelé à user de son expertise afin d’apporter un éclairage pertinent sur une situation litigieuse, que ce soit à la demande d’un employeur, d’un assureur, d’une partie ou même de la Cour. Lorsqu’il agit à titre d’expert, il peut avoir à témoigner devant un tribunal ou une autre instance. Dans ce contexte, il arrive que son statut d’expert ne soit pas reconnu, que son opinion ne soit pas retenue ou encore que le décideur lui reproche d’avoir formulé des commentaires se situant hors de son champ de compétence, d’avoir laissé dans l’ombre un aspect du dossier ou d’avoir manqué de rigueur. Le rôle de l’expert fait d’ailleurs l’objet d’une abondante jurisprudence. Ce billet s’intéresse aux cas où les membres d’un conseil de discipline ont eu à juger de la conduite de leurs pairs ayant agi à titre d’experts. Voici quelques exemples.

Médecin : témoin expert pour l’employeur devant un arbitre de griefs et un juge administratif de la CLP

Un médecin agissant à titre d’expert pour l’employeur dans le contexte de litiges avec un travailleur a récemment été acquitté sous la plainte privée dont il faisait l’objet. Le plaignant, soit le travailleur, lui reprochait d’avoir contrevenu aux articles 5, 24, 32 et 65 du Code de déontologie des médecins.

Le Conseil de discipline du Collège des médecins a distingué le rôle du médecin traitant et celui du médecin expert, indiquant que ce dernier n’a pas de lien thérapeutique avec la personne qui le consulte et s’en est également remis au guide d’exercice du Collège des médecins intitulé : La médecine d’expertise.

Ergothérapeute : rapport d’expert et témoignage devant la CLP

Une ergothérapeute ayant reçu le mandat de la part d’un employeur de procéder à l’évaluation du poste d’un travailleur en prévision d’une audience devant la CLP a été déclarée coupable sous deux des trois chefs de la plainte déposée contre elle, notamment pour avoir omis de prendre certaines mesures correctrices puisqu’elle avait constaté que son rapport, «Évaluation du poste de journalier pour Simmons Canada — Poste aux sommiers », contenait des extraits plagiés. Le Conseil de discipline de l’ordre professionnel des ergothérapeutes appelé à rendre la décision sur sanction a mentionné que le plagiat était un élément central du dossier et il a notamment insisté sur le fait que :

[42]        Toutefois, le Conseil n’est pas en présence d’un acte isolé de la part de l’intimée. La conduite dérogatoire de l’intimé est répétée et réfléchie tout au cours du 16 mars 2012.

[43]        Plus particulièrement à l’égard du chef 2, pour lequel les parties suggèrent l’imposition d’une période de radiation de quatre semaines, le Conseil voit une certaine préméditation puisque la transcription du témoignage de l’intimée laisse voir certaines occasions où elle aurait pu informer la Commission des lésions professionnelles que de nombreux extraits de l’ « Étude sur l’appréciation des facteurs de risque dans la reconnaissance du syndrome du canal carpien relié au travail » de Rodica Tcaciuc étaient reproduits à son expertise.   

Ingénieur : rapport d’expertise déposé devant la Cour supérieure

La Société de l’énergie de la Baie James a déposé une plainte privée contre un ingénieur, auquel elle reprochait, notamment, d’avoir omis de s’acquitter de ses obligations professionnelles avec intégrité en demandant à un autre ingénieur de cosigner un rapport d’expertise alors que ce dernier n’avait aucunement participé à sa rédaction et n’en avait pas vérifié les travaux. Le Conseil de discipline de l’Ordre des ingénieurs du Québec a retenu :

[105]        Pour les membres du Conseil, le fait que le Rapport d’expertise P-6 a été signé conjointement par messieurs Brais et Habashi laissait entendre que les deux (2) ingénieurs avaient participé à la préparation et à la rédaction de celui-ci.

[106]        Ce faisant, les deux (2) ingénieurs faisaient en sorte d’induire en erreur le juge de la Cour supérieure, les autres parties et leurs avocats, en laissant croire qu’ils avaient tous deux (2) préparé le Rapport d’expertise en question, alors que seul monsieur Habashi en est l’auteur.

L’ingénieur intimé a été déclaré coupable sous les deux chefs de la plainte et des amendes totalisant 3 500 $ lui ont été imposées.

Ces décisions sur culpabilité et sanction ont toutefois été infirmées par le Tribunal des professions, qui a acquitté l’ingénieur, notamment après avoir souligné :

[32]        Le Conseil cible la demande de M. Habashi à M. Brais de cosigner le rapport P-6 comme étant une contravention à son obligation d’intégrité.  Monsieur Brais n’a pas participé à la rédaction ni supervisé l’exécution de ce travail contrairement à ce que laisse entendre sa signature.

[33]        Le Conseil reconnaît cependant que M. Brais a relu le rapport, y consacrant 29.5 heures. Pour lui ce n’est pas suffisant. L’effort de confection et de rédaction du rapport aurait dû être conjoint pour justifier une cosignature par deux ingénieurs de la même entreprise.

[34]        En quoi cela constitue pour M. Habashi un manque d’intégrité ? Pour le Conseil, cela induit en erreur les acteurs au litige en Cour supérieure sur la contribution réelle de M. Brais. Monsieur Habashi a accepté que M. Brais témoigne éventuellement à sa place en Cour malgré son faible degré d’implication dans la réalisation de l’étude.

[35]        L’erreur manifeste et dominante de cette décision est qu’elle évalue déraisonnablement la nature, le contenu et le contexte de rédaction du rapport P-6 et omet de tenir compte du caractère hypothétique du témoignage de M. Brais.

Architecte : production d’un rapport d’expertise dans un dossier de la Cour supérieure

Après avoir reconnu la culpabilité de l’architecte intimé sous 11 chefs d’une plainte disciplinaire lui reprochant essentiellement ses agissements dans le contexte de la préparation d’un rapport d’expertise concernant une copropriété, le Conseil de discipline de l’Ordre des architectes lui a imposé des amendes et a recommandé au Bureau de l’Ordre d’obliger l’intimé à compléter un stage supervisé d’une durée de 50 heures ayant comme objectif de lui apprendre à faire les analyses nécessaires à une expertise et à rédiger de façon adéquate un rapport d’expert et de limiter le droit de l’intimé de rédiger, de signer et de sceller un rapport d’expert de façon qu’il ne puisse y procéder que sous la supervision de l’architecte agréé par l’Ordre, et ce, jusqu’à la réussite du stage de perfectionnement imposé.

Travailleur social : avoir préparé un rapport d’expertise pour la Cour dans le contexte de procédures de divorce

Une travailleuse sociale est déclarée coupable sous quatre chefs d’une plainte lui reprochant notamment d’être intervenue auprès d’un enfant dans le contexte d’un suivi en psychothérapie et d’avoir préparé et déposé dans le dossier de Cour un rapport d’expertise sans posséder les données suffisantes pour porter un jugement éclairé sur la situation. Le Conseil de discipline de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec lui a imposé des amendes ainsi qu’une limitation permanente de son droit d’exercice dans le domaine des évaluations psychosociales portant sur toute situation de conflits familiaux mettant en cause des relations entre parents et mineurs.

Psychologue : témoignage devant la Cour supérieure

Une psychologue faisant l’objet d’une plainte comportant 18\chefs a été acquittée sous 9 d’entre eux, notamment celui qui lui reprochait d’avoir omis d’éviter toute situation où elle serait en conflit d’intérêts, en agissant comme experte devant la Cour dans le contexte d’une audience concernant un enfant à qui elle offrait un suivi thérapeutique avant et après sa comparution devant la Cour. En effet, le Conseil de discipline de l’Ordre des psychologues du Québec a retenu que :

[121]     Ainsi, le plaignant n’a pas présenté une preuve prépondérante permettant au Conseil de conclure que l’intimée a témoigné à titre de témoin expert dans le dossier présidé par la juge Mireault et elle est acquittée d’avoir contrevenu à l’article 29 du Code de déontologie.

Prenez note que cette décision a été portée en appel (2017-05-16 (T.P.), 460-07-000006-172).

Conclusion

Un professionnel qui produit un rapport d’expert ou témoigne à ce titre devant un tribunal ou une instance décisionnelle peut faire l’objet d’une demande d’enquête et, éventuellement, d’une plainte disciplinaire. Il appartient toutefois au plaignant de démontrer que le professionnel a commis une faute disciplinaire. Le cas échéant, le professionnel en cause s’expose à un éventail de sanctions, comme l’illustrent les quelques décisions portées à votre attention.

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