Pour la première fois, le Tribunal administratif du travail (TAT) s’est prononcé sur l’admissibilité d’une réclamation alléguant que la lésion psychologique diagnostiquée était en relation avec la mise en application des nouvelles dispositions de la Loi concernant les soins de fin de vie, communément appelée l’aide médicale à mourir. La réclamation a été refusée (François et Centre hospitalier de l’Université de Montréal).

Les faits

La travailleuse occupait un poste d’infirmière à l’unité des soins palliatifs depuis plusieurs années. Le 15 décembre 2015, la Loi concernant les soins de fin de vie est entrée en vigueur. Le 29 décembre suivant, l’employeur a validé la mise en application de la procédure d’aide médicale à mourir pour un patient dont la travailleuse avait la charge. Ce dernier est décédé le 30 décembre. Le 8 janvier 2016, un diagnostic de syndrome de stress post-traumatique a été posé chez la travailleuse. Cette dernière a produit une réclamation à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, alléguant que sa pathologie était reliée à la mise en application du nouveau protocole de l’aide médicale à mourir. Sa réclamation a été refusée. L’instance de révision a confirmé cette décision. Par la suite, un diagnostic de trouble de l’adaptation a également été posé chez la travailleuse.

La décision du TAT

Le juge administratif Michel Larouche a conclu qu’un événement imprévu et soudain avait été démontré :

[42]        Le Tribunal est d’avis que la mise en application du protocole d’aide médicale à mourir chez l’employeur revêt les caractéristiques d’un événement imprévu et soudain.

[43]        En effet, lorsque le patient a manifesté son intention de recourir aux dispositions de la Loi concernant les soins de fin de vie, l’employeur n’avait encore dispensé aucune formation à son personnel quant à l’application du protocole. Il s’agissait d’une première chez l’employeur. De plus, l’équipe médicale était en désaccord avec la mise en place de ces mesures. Il s’agissait en sorte d’une modification substantielle des us et coutumes au sein de l’unité des soins palliatifs.

[…]

[45]        La preuve révèle que malgré que la date de l’entrée en vigueur des dispositions de la loi ait été connue à l’avance, l’équipe n’était pas prête pour intervenir. Le tout s’est déroulé dans une certaine précipitation. La nouveauté de l’application du protocole de même que ce manque de préparation constituent un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause au sens de l’article 2 de la loi.

[46]        Il ne fait aucun doute que cet événement imprévu et soudain était intimement associé à l’exercice du travail. Il survient donc par le fait ou à l’occasion du travail.

Toutefois, le juge administratif a conclu que la travailleuse n’avait pas subi de lésion professionnelle puisque le lien de causalité entre la lésion psychologique diagnostiquée et l’événement imprévu et soudain n’avait pas été démontré :

[63]     [La travailleuse] n’a pas eu à jouer de rôle actif. [… Elle] n’était pas présente lors de l’administration du traitement de fin de vie et en aucun temps on ne lui a demandé de poser des actes qui allaient à l’encontre de ses valeurs personnelles. Le plus qu’elle a eu à faire était de vérifier si le patient avait une veine permettant l’installation d’un cathéter. Il ne s’agit pas d’une tâche nouvelle et elle n’a eu aucune incidence sur la suite des choses puisqu’on a décidé d’installer un cathéter central en radiologie.

[64]        Le manque de formation du personnel n’a eu aucun impact puisqu’elle n’a pas joué de rôle actif dans l’administration du protocole. Elle a continué à exercer les tâches pour lesquelles elle détient la formation appropriée. Ce n’est pas l’exercice de ces tâches qui est la source de sa condition psychologique.

[65]        Le Tribunal retient que la travailleuse est en désaccord avec le choix du législateur de permettre aux patients qui se qualifient pour le faire de demander l’aide médicale à mourir. Essentiellement, ce sont des facteurs intrinsèques à la travailleuse, soit ses propres convictions qui sont à l’origine de la réaction psychologique. Elle n’a pas eu à poser de gestes allant à l’encontre de ses valeurs.

La travailleuse a également allégué qu’un autre événement, survenu le 24 décembre 2015, alors qu’un patient inconscient présentait des signes de douleurs malgré l’administration d’une sédation continue, pourrait être à l’origine de sa lésion psychologique. Le Tribunal a conclu que ces faits n’étaient pas objectivement traumatisants pour une infirmière ayant plusieurs années d’expérience dans un département de soins palliatifs. Il a de plus retenu que cet épisode n’était pas rapporté aux notes de consultations médicales concomitantes de l’événement.

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