Au cours des dernières semaines il a beaucoup été question de harcèlement sexuel et de harcèlement en milieu de travail, mais savez-vous que le Code civil du Québec (C.C.Q.) contient une disposition qui interdit le harcèlement envers le locataire?

Il s’agit de l’article 1902 C.C.Q., lequel se lit comme suit :

Le locateur ou toute autre personne ne peut user de harcèlement envers un locataire de manière à restreindre son droit à la jouissance paisible des lieux ou à obtenir qu’il quitte le logement.

Le locataire, s’il est harcelé, peut demander que le locateur ou toute autre personne qui a usé de harcèlement soit condamné à des dommages-intérêts punitifs.

Définition du harcèlement et principes généraux

Dans Entreprise Serge Savard inc. c. De Carvalho, la Régie du logement fait référence à une étude de l’auteur Me Pierre Pratte, lequel définit le harcèlement en ces termes :

De façon générale, le harcèlement suppose une conduite qui, en raison de l’effet dérangeant qu’elle produit avec une certaine continuité dans le temps, est susceptible de créer éventuellement, chez la victime, une pression psychologique suffisante de manière à obtenir le résultat ultimement recherché par l’auteur de cette conduite. Plus spécifiquement, le harcèlement interdit aux termes de l’article 1902 pourrait, à notre avis, être décrit comme suit :

Une conduite se manifestant par des paroles ou des actes et ayant comme conséquence de restreindre, de façon continue, le droit d’un locataire à la jouissance paisible des lieux ou d’obtenir qu’il quitte le logement.

L’effet de durabilité de la conduite fautive est une composante essentielle dans l’identification du harcèlement. À l’instar du harcèlement sexuel ou discriminatoire spécifique au logement, nous croyons que la continuité dans le temps s’établit soit par la répétition de certains actes, soit par un seul acte grave dans la mesure où il cause un préjudice nocif continu dans le temps.

En 2004, dans Huot c. Martineau, le juge Richard, de la Cour supérieure, a énuméré 19 types de harcèlement invoqués par les locataires et retenus par la jurisprudence. Dans cette cause, le locateur avait commis pas mois de 14 d’entre eux :

1) Intimidation;

2) Attitude envahissante et contrôlante du locateur;

3) Langage abusif lorsqu’il menace le locataire sans droit de le dénoncer pour des infractions fausses et qu’il savait fausses;

4) Envoi de courrier qu’il allait lui-même livrer à la résidence louée;

5) Note visible sur la porte du locataire;

6) Présence fréquente chez le locataire pour lui réclamer le loyer qu’il savait ne pas être en retard;

7) Invitation du locateur à mettre fin au bail qui le liait sous de faux prétextes disant qu’il l’avait vendue, elle n’était que louée à compter du mois de juillet. Il a même prétendu qu’il voulait l’habiter. Il avait su qu’en utilisant ce motif, ç’aurait été plus facile de faire sortir son locataire;

8) Violation du domicile ou violation de la vie privée et intrusion;

9) Coupure de services;

10) Plaideur abusif et vexatoire;

11) La contestation tout à fait loufoque présentée;

12) Reprise de possession de mauvaise foi; le défendeur n’a même pas obtempéré aux termes de l’injonction lui ordonnant de permettre au locataire de réintégrer les lieux;

13) Meubles et effets mobiliers jetés aux rebuts et retirés du logement sans préavis;

14) Le fait qu’il ait, avec ses préposés, pris des photos à tout bout de champ, le jour ou la nuit sur les lieux loués.

Par contre, ce n’est pas parce qu’il existe un conflit entre le locataire et le locateur que nous sommes en présence d’un cas de harcèlement. Celui-ci doit s’évaluer objectivement et non subjectivement (Gavrina c. Capital BLF inc.). En fait, il ne faut pas qualifier la situation à partir de la perception personnelle du locataire.

Attribution de dommages punitifs

Lorsque le tribunal est d’avis que le locataire a droit à des dommages punitifs en vertu de l’article 1902 C.C.Q., ceux-ci doivent être évalués suivant les critères de l’article 1621 C.C.Q. :

Lorsque la loi prévoit l’attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.

Ils s’apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers.

À la lumière de la jurisprudence, les sommes allouées à titre de dommages punitifs se situent entre 1 000 $ et 3 000 $. Dans certains cas, une indemnité supérieure à 5 000 $ a été attribuée au locataire harcelé. À ce sujet, je vous renvoie à Malo c. Higgins, soit une décision qui contient un tableau dans lequel ont été colligés des cas de harcèlement et les sommes accordées par les tribunaux.

Cas d’application

Pochoshajew c. Luykshyna,

Le juge administratif a conclu qu’outre le fait que certaines procédures de la locatrice avaient eu un effet humiliant sur le locataire, celles-ci étaient manifestement non fondées. L’utilisation d’un recours dans le but de harceler un locataire devant être sanctionné, la locatrice a été condamnée à payer 4 000 $ en dommages punitifs.

Lebel c. Larivière
La locatrice s’est acharnée à vouloir pénétrer dans la cage d’escalier des locataires et à déplacer, semaine après semaine, malgré leur refus, leurs souliers, et ce, dans un endroit qui constituait un danger pour eux. Elle a également laissé de nombreuses notes sur la porte des locataires et demandé le paiement du loyer avant terme ou au petit matin. La Régie du logement a estimé que la conduite de la locatrice était inacceptable, répréhensible et malicieuse. En outre, il était manifeste qu’elle voulait tout régir et qu’elle a fait fi des droits des locataires. Même si les événements décrits sont pour la plupart banals en soi, lorsqu’on les regroupe, on constate qu’ils sont répétitifs et ont pour but de nuire aux locataires et de les priver de la pleine jouissance des lieux. Dans ces circonstances, les locataires, victimes de harcèlement au sens de l’article 1902 C.C.Q., ont eu droit à 2 000 $ à titre de dommages punitifs.

9207-4772 Québec inc. (Gestion Noto) c. Lazarre
En imposant sa volonté au locataire et en lui présentant un projet de bail contenant des annotations abusives afin de lui imposer une charge financière supplémentaire exorbitante pour une personne à faible revenu, la locatrice s’est rendue coupable de harcèlement, ce qui justifiait des dommages punitifs de 2 000 $.

St-Pierre c. Laroche
La locataire a subi le harcèlement du locateur lorsque celui-ci l’a expulsée de son logement et a profité de son absence pour entreposer ses biens et changer les serrures. Cette manœuvre radicale, bien qu’elle ait été constituée d’un seul événement, était grave et a engendré un préjudice nocif et continu à la locataire. En conséquence, le locateur a été condamné à verser la somme de 2 000 $ à cette dernière à titre de dommages punitifs.

Malheureusement, il arrive que le locateur persiste dans ses agissements plutôt que de s’amender et de cesser les comportements pour lesquels il a été condamné par une première décision de la Régie, se rendant ainsi coupable de récidive. C’est ce qui est survenu dans Brisset c. 9272-8120 Québec inc., où la locatrice, qui avait déjà été condamnée à payer au locataire des dommages punitifs pour harcèlement (5 000 $), a récidivé; en conséquence, elle doit maintenant verser 7 500 $ en dommages punitifs à ce dernier. La même somme a été accordée dans Malo c. Higgins, un autre cas de récidive.

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