Une situation qui perdure

Des problèmes vécus dans plusieurs établissements de santé par le personnel soignant ont récemment fait l’objet d’une importante couverture médiatique. Il a notamment été question du recours fréquent aux heures supplémentaires afin d’assurer les services requis ainsi que des conséquences négatives que cela peut entraîner chez les travailleurs et les usagers.

Pénurie de personnel, absentéisme élevé, mauvaise organisation du travail, restrictions budgétaires sont quelques-uns des facteurs invoqués pour expliquer la situation. Celle-ci n’est pas nouvelle et on peut espérer que des solutions pointent à l’horizon, du moins à moyen terme. Dans l’intervalle, il reste que le recours au travail en heures supplémentaires est une réalité dans nos établissements de santé au Québec.

La question des heures supplémentaires chez les infirmières (les autres membres du personnel soignant sont aussi touchés) a donné lieu une abondante jurisprudence. Voici trois décisions intéressantes qui traitent du sujet. 

Le cas du CHUQ

Au Centre hospitalier universitaire de Québec (CHUQ), plus de 450 griefs ont été déposés au tournant des années 2010 afin de dénoncer le «temps supplémentaire obligatoire» (TSO). L’un de ces griefs a été tranché en faveur d’une infirmière détentrice d’un poste à temps plein de soir dans une unité d’obstétrique. Elle contestait le traitement abusif que l’employeur lui avait infligé en l’obligeant à faire des heures supplémentaires durant les nuits du 30 mai et du 8 juin 2010 (Syndicat interprofessionnel du CHU de Québec (FIQ) et Centre hospitalier universitaire de Québec (CHU de Québec) (Sylvie Gravel)).

Même si le grief dont il était saisi ne visait que le cas de la plaignante, le Tribunal d’arbitrage a reconnu que le litige avait une portée beaucoup plus large compte tenu des 465 autres griefs semblables et du nombre de journées d’audiences (10) consacrées à cette affaire. D’ailleurs, au début de 2017, le site Web de Radio-Canada a annoncé que dans la foulée de cette sentence arbitrale l’employeur et le syndicat avaient conclu une entente de plusieurs dizaines de milliers de dollars au bénéfice de quelque 200 infirmières.

Voici les grandes lignes de la décision de l’arbitre Marcel Morin:

  • La convention collective n’interdit pas le recours aux heures supplémentaires, volontaires ou obligatoires, dans la mesure où tous les moyens raisonnables ont été mis en application pour éviter d’y recourir;
  • Même si personne ne s’est vu imposer une mesure disciplinaire pour avoir refusé d’effectuer des heures supplémentaires, le système est en soi contraignant, voire intimidant;
  • L’employeur a enfreint la convention collective en recourant à du travail en heures supplémentaires dans le contexte d’une pratique systématique afin de pourvoir aux absences;
  • Il a exercé ses droits de direction d’une manière abusive mais n’a pas agi de mauvaise foi;
  • La plaignante ne pouvait à l’époque refuser de faire du TSO étant donné que sa présence était véritablement requise selon les circonstances révélées par la preuve.

Le Tribunal précise que, si le recours aux heures supplémentaires ne devient plus une pratique systématique, l’employeur pourrait dans l’avenir exiger que la plaignante effectue du TSO lorsque les circonstances l’exigent.

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Devoirs déontologiques et obligation d’assurer la continuité des services

Il est important de souligner que les établissements de santé ont l’obligation d’assurer la continuité des services. Dans une autre affaire (Centre de santé et de services sociaux de la Côte-de-Gaspé c. Gauvin), la Cour supérieure a infirmé une sentence arbitrale qui avait conclu que l’employeur abusait de ses droits de direction en exigeant qu’une infirmière effectue 16 heures consécutives de travail suivies d’une période de repos de seulement 8 heures avant de reprendre son service selon son horaire habituel.

Le juge Jean-Roch Landry a conclu que le recours aux heures supplémentaires dans les circonstances contestées par le grief était exceptionnel puisque l’employeur appliquait une procédure en cinq étapes prévoyant divers moyens d’assurer la continuité des services. Il a qualifié de «déraisonnable» la sentence arbitrale ayant conclu que l’employeur avait commis un abus de droit à l’égard de la plaignante.

Le juge précise qu’une infirmière ne peut invoquer les articles 54 du Code des professions et 16 du Code de déontologie des infirmières et infirmiers pour exiger une période de repos d’une durée égale à celle travaillée lors du précédent quart de travail ni pour refuser d’effectuer un quart supplémentaire si l’employeur ne peut garantir cet intermède de repos. Le juge estime que ces dispositions ne font qu’énoncer le devoir d’un professionnel de s’abstenir d’exercer sa profession ou d’accomplir certains gestes lorsque son état de santé y fait obstacle. Le juge conclut que l’interprétation faite par l’arbitre de ces deux dispositions est déraisonnable. À noter que le jugement ne traite pas de l’article 43 du code de déontologie, qui prévoit ceci : «À moins d’avoir une raison grave, l’infirmière ou l’infirmier qui fournit des soins et traitements à un client ne peut l’abandonner.»

Les périodes de repas payées en temps supplémentaire

Par ailleurs, un employeur doit rémunérer le salarié lorsque celui-ci est obligé de demeurer sur les lieux du travail durant sa période de repas. Dans Syndicat des professionnelles de la santé de Sorel-Tracy (FIQ) et Centre de santé et de services sociaux Pierre-de-Saurel (griefs syndicaux, griefs individuels, Chantal Larivière et autres), des infirmières d’un CHSLD affectées aux quarts de soir et de nuit ont réclamé d’être payées en heures supplémentaires durant les 45 minutes prévues pour la période de repas. L’employeur a soutenu qu’il n’avait jamais exigé officiellement que les infirmières demeurent dans l’établissement durant leur période de repas, ajoutant que la décision de rester sur place relevait de la discrétion de chacune.

L’arbitre Diane Veilleux a rejeté la prétention de l’employeur. Elle a conclu que les infirmières devaient raisonnablement demeurer dans l’établissement si elles voulaient se conformer à leurs obligations professionnelles. Elle ajoute que le silence de la convention collective ne prive pas les salariées de leur droit d’être rémunérés durant leurs périodes de repas compte tenu des articles 57 et 79 de la Loi sur les normes du travail, qui sont d’ordre public. L’arbitre a conclu que les plaignantes avaient droit au paiement de leur salaire à taux majoré de 50 % durant leurs périodes de repas.

Ce qu’en dit l’OIIQ

Pour terminer, je vous laisse sur un extrait d’un texte publié sur le site Internet de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec :

Le recours aux heures supplémentaires obligatoires est une mesure qui devrait toujours être envisagée dans le but de rendre à la population des soins et des services de qualité et en toute sécurité. Dans cette optique, nous encourageons l’employeur à communiquer aux infirmières l’ensemble des démarches qu’il a effectuées avant que cette mesure devienne incontournable. Nous encourageons aussi les infirmières à discuter avec les gestionnaires afin de trouver des solutions satisfaisantes au niveau de l’organisation du travail et des règles d’attribution des heures supplémentaires.

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