Dans Lafrance c. Carter, le juge Martin Tétreault s’est longuement penché sur une question controversée ayant fait l’objet de plusieurs décisions, principalement à la Division des petites créances de la Cour du Québec, soit l’effet du travail au noir sur la validité du contrat. Plusieurs décisions affirment, souvent sans distinction, que toute entente conclue au noir est nulle de nullité absolue, certaines allant même jusqu’à conclure à la nullité intégrale du contrat dès qu’une partie du prix ou des travaux se fait «sous la table». Dans un billet paru en 2014, j’avais d’ailleurs présenté quelques cas illustrant les conséquences juridiques du travail au noir.

Les conditions à remplir pour conclure à la nullité intégrale du contrat

Or, après une analyse exhaustive de la question, le juge Tétreault a pour sa part adopté une approche plus nuancée. Il a choisi d’énoncer les conditions précises qui doivent être remplies pour conclure à la nullité intégrale du contrat :

[109]     Ainsi, lorsqu’il y a apparence de transactions impliquant du travail au noir, le tribunal, à titre de gardien de l’intérêt général, devrait intervenir d’office (art. 1418 C.c.Q.) et vérifier successivement les éléments suivants :

  1. S’agit-il d’une transaction taxable au sens des lois fiscales ?
  2. Si oui, les parties ont-elles éludé les taxes ?
  3. Si oui, l’exclusion des taxes avait-elle pour objet ou était-elle un élément essentiel ou déterminant de l’engagement des parties ?
  4. a) si oui, le contrat est nul de nullité absolue (art. 1417 C.c.Q.) et les effets de la nullité s’appliquent (art. 1422 C.c.Q.);

    b) si non, seule la clause d’exclusion des taxes est nulle et le reste du contrat est valide (art. 1438 C.c.Q.).

[110]     En cas de réponse négative aux questions 1 et 2, il n’y a pas lieu de se préoccuper du travail au noir.

Ainsi, à moins que l’évitement des taxes ne soit la cause déterminante de l’engagement des parties, auquel cas le contrat est alors nul dans son intégralité, seule la clause illicite est nulle, et le reste du contrat demeure valable.

Dans la présente affaire, les parties avaient bel et bien conclu un contrat pour des travaux assujettis aux taxes de vente, et elles ont effectivement éludé les taxes qui auraient dû être payables. Par contre, le travail au noir n’était pas un élément essentiel ou déterminant de leur engagement. Le client n’avait pas retenu les services de l’entrepreneur parce que celui-ci acceptait d’effectuer les travaux «en dessous de la table». Le contrat n’est donc pas nul dans son intégralité. Cependant, le juge a rejeté le recours de l’entrepreneur contre son client vu son omission de démontrer, de façon probable, que les sommes réclamées lui étaient dues.

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