Introduction

Le protocole de l’instance n’est pas qu’un simple calendrier où l’on étale sur un horizon de 180 jours les étapes standard du déroulement d’un dossier.

Au contraire, et comme c’était le cas sous l’ancien Code de procédure civile (C.P.C.), il s’agit d’un contrat judiciaire qui pourra être opposé aux parties et qui constitue l’une des pierres angulaires des décisions prises par les juges en matière de gestion de l’instance.

Prolongation du délai d’inscription

Avant de passer en revue certaines décisions portant sur le sujet, il convient de mentionner une importante conséquence découlant de l’omission de convenir du protocole.

Selon le troisième alinéa de l’article 173 du nouveau Code de procédure civile, en cas d’omission de déposer le protocole de l’instance ou la proposition de protocole dans le délai imparti, le tribunal ne pourra proroger le délai de 6 mois pour inscrire que si l’une ou l’autre des parties démontre avoir été dans l’impossibilité d’agir.

Dans un tel cas, une partie demandant la prolongation du délai se trouve dans la même posture que si elle demandait, aux termes de l’article 177 C.P.C., à être relevée de son défaut d’avoir produit son inscription en temps opportun et sera vraisemblablement assujettie au même test applicable en la matière, lequel a été précisé par la Cour d’appel dans Heaslip.

Dans Innovtech Construction inc., la Cour du Québec a appliqué l’article 173 avec rigueur, rappelant au passage le devoir qu’ont les parties de conduire leur dossier avec célérité et diligence :

«[32] Le temps où les parties pouvaient se limiter à déposer leur demande introductive d’instance et cesser, par la suite, d’être proactives et de faire progresser leur dossier est révolu. En effet, le Code de procédure civile en vigueur depuis le 1er janvier 2016 fournit une multitude d’outils permettant aux parties de faire progresser leur dossier, dont notamment la conférence de gestion qui peut être convoquée à l’initiative de l’une des parties. De plus, l’article 152 du Code de procédure civile précise ce qui doit être fait lorsque les parties ne sont pas en mesure de convenir du protocole de l’instance. De toute évidence, Innovtech a choisi de ne pas utiliser l’un de ces mécanismes prévus par la Loi.»

Moyens préliminaires et compétence territoriale

Selon l’article 166 C.P.C., les moyens préliminaires (sauf en ce qui a trait à la compétence d’attribution ou aux moyens de non-recevabilité) doivent être dénoncés avant la date prévue pour le dépôt du protocole de l’instance, ou à la date prévue au protocole, ou encore au plus tard 3 jours avant la date fixée par le tribunal pour la tenue de la conférence de gestion sur le protocole. Une dénonciation tardive pourra être autorisée par le tribunal, mais pour des motifs sérieux.

Dans Richer, le tribunal, qui a refusé de donner effet à une clause d’élection de for, a précisé le sens des termes « motifs sérieux » :

«[21] Lorsque le législateur utilise les termes «motifs sérieux» au 3e alinéa de cet article 166, il réfère nécessairement aux raisons qui expliquent le retard à présenter le moyen déclinatoire et non aux motifs justifiant un transfert de district.

[22] Ce n’est qu’en présence d’un motif raisonnable et suffisant pouvant justifier le retard à présenter un moyen déclinatoire que l’autorisation sera donnée. Par exemple, le fait qu’une personne soit condamnée par défaut pourrait inciter le tribunal, une fois le jugement rétracté, à autoriser un changement de district bien que la date prévue pour le dépôt initial du protocole d’instance soit expirée.»

Dans cette affaire, le tribunal a également vu dans la conclusion du protocole de l’instance un acquiescement implicite à la compétence territoriale du tribunal :

«[25] Deuxièmement, la conclusion de l’entente sur le déroulement de l’instance, en décembre 2015, constitue une indication suffisante de l’acceptation tacite des défendeurs à la compétence territoriale de la Cour supérieure du district de Saint-François. Il s’agit d’un second motif de rejet du moyen déclinatoire.»

Respect du protocole

Toute partie qui, en cours de route, souhaite modifier la marche à suivre annoncée aura à se justifier. Plus les motifs invoqués porteront sur des éléments qui étaient prévisibles au moment de la conclusion du protocole, plus les tribunaux se montreront exigeants, d’autant plus si le dossier se trouve à un stade avancé ou si le changement convoité cause des délais, prend la partie adverse de court ou lui impose des frais additionnels.

Par exemple, l’affaire Centre intégré de santé et de services sociaux de Laval constitue un exemple parmi d’autres où le tribunal s’est fondé sur les divers protocoles de l’instance conclus entre les parties pour rejeter une demande de dépôt d’un rapport d’expert :

«[23] La partie demanderesse a renoncé à déposer son rapport d’expertise (P-27), puisque lors de la signature des divers ententes ou protocoles d’instance, et ce, à cinq reprises, la demanderesse a clairement indiqué ne pas avoir de rapport d’expertise à produire, alors qu’elle détenait déjà, du moins pour les derniers protocoles, le rapport du Dr Lamontagne. En agissant ainsi, elle renonçait à déposer un tel rapport.

[24] Il faut également considérer le préjudice et le retard qu’occasionnerait le dépôt de ce rapport, alors que le dossier est considérablement avancé et prêt à fixer pour audition.

[25] Le contrat judiciaire formé tout au long de l’évolution procédurale du dossier est important et doit être respecté à moins de circonstances importantes, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.»

Obligation de moyens raisonnables

Il ne faut cependant pas pécher par un excès de formalisme.

Dans Développement Olymbec inc. , une partie s’opposait à ce que l’autre apporte des modifications à son acte de procédure, en se fondant sur le protocole de l’instance. Le tribunal a remis les choses en perspective :

«[18] Ces arguments ne convainquent pas en l’espèce. Quoique le protocole de l’instance soit un contrat judiciaire et que les principes directeurs obligent une partie à agir de façon transparente et loyale, le législateur n’indique pas ces éléments à l’article 206 C.p.c. Certes, dans l’exercice de sa discrétion, le Tribunal peut les prendre en considération en soupesant dans quelle mesure ils militent contre les intérêts de la justice, mais il ne peut s’agir en soi d’une fin de non-recevoir à une demande de modification. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’une partie a souscrit au protocole de l’instance où elle n’identifie pas un redressement particulier qu’elle soit forclose, pour cette unique raison, de modifier sa procédure par la suite.»

Au même effet, dans 9154-6192 Québec inc., le tribunal s’inspire des propos énoncés dans Néron pour tempérer l’importance du protocole :

«[38] Il est vrai qu’un protocole de l’instance est en quelque sorte un contrat judiciaire qui impose aux parties une obligation de moyens raisonnables. Mais ce n’est pas un carcan rigide destiné à faire perdre des droits.»

Sanctions

Par ailleurs, si une violation du protocole n’est pas une fin de non-recevoir à une demande en cours d’instance, le tribunal peut toutefois assortir sa décision de sanctions.

Ainsi, dans Deschênes, le tribunal a autorisé le dépôt d’une expertise et des modifications non prévues au protocole, mais il a ordonné à la partie fautive de rembourser les frais engagés par l’autre partie pour sa propre expertise, laquelle était devenue caduque :

«[74] Nous croyons nécessaire d’intervenir à ce chapitre, car nous estimons qu’il faut mettre fin à cette façon de faire, qui devient une tendance quasi généralisée, qui consiste à mettre tout le monde devant le fait accompli et d’agir de telle manière que le contrat judiciaire soit bafoué et qu’on en retienne qu’il n’est pas aussi important qu’un autre contrat, alors que cela devrait être tout le contraire.»

Une condamnation semblable a été prononcée dans EF Projetec inc., où le tribunal avait constaté une violation flagrante et injustifiée du contrat judiciaire liant les parties, ainsi que des principes directeurs du Code de procédure civile.

Un motif parmi d’autres

Enfin, il peut arriver qu’une saine administration de la justice fonde à passer outre à une violation du protocole.

Par exemple, dans Office municipal d’habitation de Longueuil, le tribunal faisait face à une demande d’intervention forcée qui était tardive et contraire aux différents protocoles de l’instance convenus entre les parties. La demande a néanmoins été accueillie puisque l’intervention permettait une solution complète du litige, ce qui était « non seulement dans l’intérêt des parties mais aussi dans l’intérêt de la saine administration de la justice » (paragr. 54).

Conclusion

En somme, si le protocole de l’instance est un contrat judiciaire ayant des conséquences réelles sur le déroulement de l’instance et auquel doivent être tenues les parties, son application ne peut devenir un vecteur d’injustice ou nuire à une saine administration de la justice.

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